L’expérimentation « Primordial » : nouveaux aspects du plan Macron de destruction du système de santé
Alors que le régime d’exception mis en place avec la loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 se prolonge, Macron poursuit la politique de destruction du système de santé.
Les fermetures de lits continuent et nombre d’hôpitaux publics sont contraints de lancer des appels à dons pour se financer : à cette fin, des tracts sont distribués, à l’AP-HP de Paris, aux HCL de Lyon, dans le Val d’Oise, la Loire, à Bordeaux, Cahors, etc. Dans le même temps, Macron mandate le cabinet de conseil américain MacKinsey pour s’occuper du cadrage logistique et de la coordination opérationnelle de sa stratégie vaccinale (coût de la prestation : 2 millions d’euros par mois). Le développement de la « e-santé » est encouragé, de même que le décloisonnement entre la médecine de ville et l’hôpital afin de limiter au maximum le recours à la médecine hospitalière… Ces mesures participent du plan Macron-Buzyn de transformation du système de santé « Ma santé 2022 ». L’expérimentation “PRIMORDIAL : les soins primaires c’est primordial” accordée pour 5 ans au groupe d’hospitalisation privé commercial Ramsay Santé participe de ce processus.
PRIMORDIAL ? Soumission des soins à des protocoles standardisés
L’arrêté publié au Journal officiel du 31 octobre alors que Macron annonçait le 2e confinement est passé inaperçu. Le texte autorise, pour une durée de cinq ans, le groupe à ouvrir et exploiter, à titre expérimental, des centres de santé pluri-professionnels destinés à délivrer des soins primaires sur la base du modèle forfaitaire (paiement en équipe de professionnels de santé / PEPS) [1].
Le cahier des charges donne les objectifs de cette « expérimentation innovante » : adapter aux spécificités françaises « l’activité primaire de soins existant en Suède depuis 2010 ». Au final, il s’agit d’étendre ce système à « l’ensemble des parties prenantes du système de santé français » et à tout le territoire.
Le groupe Ramsay-Générale de Santé va ouvrir cinq centres de santé (Argenteuil et Regis Orangis en Ile-de- France ; Pierrelatte, Oyonnax, et Saint-Julien-en-Genevois en Auvergne-Rhône-Alpes). Chaque structure sera organisée autour d’une équipe pluriprofessionnelle avec au minimum médecine générale et infirmier (voire d’autres professionnels de santé) et correspondra à une patientèle de 7000 personnes minimum. Les professionnels seront salariés avec un temps de travail modulable.
Les centres de santé mettront en place un « parcours standard de prise en charge des patients ». Le patient qui souhaite consulter prendra contact par le biais d’une infirmière ou d’un outil digital, lesquels évalueront ses besoins. Il sera alors « orienté » vers une « consultation personnalisée » qui pourra se décliner diversement : simples conseils, prescription d’examens, consultation paramédicale, consultation médicale, visite à domicile, téléconsultation. Ramsay veut accroître de façon importante les consultations en ligne, appuyé sur l’expérience de Capio en Suède et celle développée lors de la crise du Covid.
Nombre de tâches seront déléguées à une infirmière de pratique avancée (IPA) : prescription et réalisation de vaccination, de sérologie et remise des résultats ; suivis, prescription, orientation des patients atteints de maladie Alzheimer ou apparentée ; prise en charge des infections urinaires (cette liste sera complétée selon l’évolution des protocoles). Des « dérogations de prélèvements et de réalisations des examens de sérologies et d’examens de biologie médicales » vont être autorisées (art. 14 du PLFSS). La standardisation des processus médicaux sur la base de protocoles et la télémédecine sera accrue.
L’objectif est de réduire les coûts, en réduisant l’accès à l’hôpital et en mettant en œuvre la capitation pour les soins primaires (laquelle initie aussi une limitation de l’accès au médecin de ville).
Le paiement à la capitation
La Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2018
autorise l’expérimentation de nouvelles organisations en santé (article 51) avec des financements dérogeant à de nombreuses règles de droit commun, applicables en ville, en établissement hospitalier ou médico-social. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’expérimentation Primordial. Mais dès 2019, le ministère des Solidarités et de la Santé et l’Assurance Maladie s’active. Et d’autres expérimentations sont lancées, comme le paiement à l’épisode de soins (EDS) pour la chirurgie du cancer colorectal, la prothèse totale de hanche et la prothèse totale de genou (juillet 2019). Actuellement 43 établissements (CHU, hôpitaux privés lucratifs et privés non lucratifs…) participent à l’expérimentation EDS.
L’expérimentation « paiement en équipe de professionnels »/PEPS concerne la médecine de ville (maison ou centre de santé) : une rémunération forfaitaire collective (à la capitation) des professionnels de santé se substitue au paiement à l’acte. La structure est libre dans son utilisation et dans sa répartition. Cette expérimentation s’adresse à toute équipe pluri-professionnelle de santé, exerçant en mode d’exercice coordonné. Cette équipe comporte au minimum 5 professionnels conventionnés (médecin généraliste/infirmier) dont au minimum 3 généralistes et 1 infirmier. Ce paiement au forfait concerne 3 types de patientèle : soit l’ensemble de la patientèle « médecin traitant » des médecins généralistes ou du centre de santé, soit la patientèle « médecin traitant » des personnes âgées de plus de 65 ans, soit la patientèle « médecin traitant » diabétique (de type 1 ou 2) [2].
Le paiement collectif forfaitaire se substitue au paiement à l’acte de soins ; il est versé à une structure juridique pour une équipe volontaire. Ce système encourage le décloisonnement entre professionnels, accélère les transferts de compétences de médecins vers d’autres professions de santé. Ce type de transfert se développe, par exemple, entre le médecin ophtalmologue (11 à 14 ans d’études) et l’orthoptiste (3 années d’études spécialisées) qui réalise, à la place du médecin, certains actes comme des bilans de la vue, des actes de rééducation des troubles de la vision comme le strabisme, les défauts de convergence… Le plan Macron-Buzyn Ma santé 2022 prévoit ainsi de déléguer nombre de tâches administratives et soignantes à des assistants ou auxiliaires médicaux. C’est ce que Buzyn nomme « redonner du temps aux médecins pour soigner » ! Un moyen pour rentabiliser le système de santé.
Ce système exige aussi la numérisation avancée des données médicales et des structures. Or, la crise du Covid-19 a accéléré la transformation numérique du système de santé. La téléconsultation a fait en France un grand bond en avant, grâce à un assouplissement du cadre réglementaire et une prise en charge à 100% par l’Assurance Maladie. Entre mars et avril 2020, 5,5 millions de téléconsultations ont été remboursées par l’Assurance Maladie. Le gouvernement entend davantage accompagner les professionnels dans l’utilisation des nouvelles technologies. Le télé-soin – pratique à distance qui met en rapport un patient avec un ou plusieurs auxiliaires médicaux ou pharmaciens – devrait lui aussi se développer dans ce contexte de crise. Des décrets encadrent déjà cette pratique à distance en France.
Le gouvernement Macron a créé dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 un fonds pour l’innovation du système de santé (FISS).Le FISS participe au financement et à l’évaluation des expérimentations. On fait payer ce « décloisonnement », ces transferts de compétences et innovations à la sécurité sociale. L’expérimentation « Primordial » du groupe privé RAMSAY sera financée par le FISS.
Les PDES : bilan des expériences internationales
Quelques expériences à l’échelle internationale montrent les dangers du paiement à la capitation.
En Suède, en 2009, le comté de Stockholm a lancé un vaste programme de transformation de son système de santé. L’objectif principal était de supprimer les longues listes d’attente en chirurgie. Cette réforme comprenait la suppression des plafonds de volume des actes chirurgicaux imposés aux hôpitaux, le libre choix de son établissement et la mise en place du PEDS pour la prothèse totale de hanche. Si une baisse des complications post-opératoires, des indemnités journalières, et une diminution des coûts par patient ont été observées, la réforme a entrainé un transfert massif des actes chirurgicaux concernés des centres hospitalo-universitaires vers les centres spécialisés et les cliniques privées. D’autres comtés, qui n’ont pas mis en place le PEDS, ont eu de meilleurs résultats que Stockholm sur certains indicateurs de qualité.
Aux États-Unis, en 2013 un programme national a été lancé avec Medicare (le BPCI) sur 48 épisodes de soins, basé sur le volontariat. Le PEDS a généré un choc organisationnel nécessitant un investissement très lourd de la part des hôpitaux pour former le personnel existant, recruter du personnel administratif, créer des organisations dédiées …
Après 5 ans, le PEDS s’est révélé être un tel échec que l’État de Californie s’est retiré du programme. En 2018, la Commission de Conseil de Medicare a demandé à être retirée de ce programme jugé trop coûteux et inefficace (lourd coût administratif, manque d’infrastructures techniques pour gérer le process et payer les nombreuses réclamations, scepticisme sur la qualité des soins… Et surtout les hôpitaux ont dû mettre en place un système de sélection conduisant à l’exclusion des patients fragiles (refus de soins ou report des soins liés à des complications au-delà de la période post opératoire retenue dans le forfait).
Le salaire : il dépend en général du niveau de qualification du médecin et du nombre d’heures travaillées. Considéré isolément, il n’encourage pas le médecin à maximiser le volume des soins produits, ni la productivité.
La capitation : une somme forfaitaire per capita, est versée au producteur de soins. Elle est déterminée en fonction du nombre de patients inscrits sur sa ‘’liste’’ et de leurs caractéristiques socio-démographiques.
Plutôt utilisée pour les soins primaires elle est versée à une structure qui décide de la rémunération partagée entre les intervenants. Elle incite les médecins à être productifs, à réaliser des actes de prévention afin de réduire leur charge de travail. Elle n’incite pas à augmenter les volumes d’activité et peut inciter les médecins à adresser trop rapidement leurs patients au spécialiste ou à l’hôpital en cas de problème.
Chaque patient se voit attribuer un forfait correspondant à sa catégorie, laquelle est définie selon certains critères (exemple : sexe, âge, nombre d’affections de longue durée déclarées…).Si la formule d’ajustement servant à déterminer le montant per capita n’est pas adaptée, elle peut inciter les médecins à sélectionner des patients en meilleure santé.
Paiement à l’épisode de soins : paiement global pour les divers intervenants qui prennent en charge un patient durant une période donnée (x mois pour une hospitalisation, x mois pour telle intervention ou telle maladie chronique…).
La rémunération à l’acte étant directement liée à l’activité du médecin, elle encourage l’activité et la productivité. Comme la capitation, elle incite à satisfaire les attentes des patients lorsque ceux-ci peuvent choisir leur médecin. Elle ne garantit pas la pertinence des soins et favorise la demande induite, en particulier lorsque la densité de médecins est élevée.
https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2013-3-page-45.htm
PRIMORDIAL : une « expérimentation » à combattre
Le groupe RAMSAY bénéficiera pour mettre en place cette « expérimentation » d’un certains nombre « d’aides » : réductions de charges patronales, aides à l’équipement, etc.
Le gouvernement entend multiplier les expérimentations afin d’aller vers un système de rémunérations mixtes (à l’acte, à la capitation, voire le salariat dans le cadre de centres de santé). Il compte sur les modifications du mode de rémunération pour modifier l’organisation structurelle des soins.
En France, la tarification à l’activité (T2A) fait l’objet de multiples critiques. Alors que les expérimentations du paiement à l’épisode de soins n’ont pas fait leurs preuves à l’étranger, depuis cinq ans, ce paiement fait partie d’un des cinq chantiers de transformation de notre système de santé [3]. Le paiement groupé ne change pas la logique de la T2A puisque les tarifs seront toujours fondés sur une évaluation des coûts mais de plusieurs actes. C’est une sorte de T2A globalisée. Ce forfait unique sur l’ensemble de l’épisode de soins est ajusté à la performance. Il incite à la rationalisation des soins et à une profonde réorganisation des structures. Il favorise le transfert d’un certain nombre d’activités de l’hôpital vers la ville, et s’inscrit dans le processus de financiarisation du système de santé.
Le paiement au forfait incite les médecins à passer moins de temps auprès des patients (utilisation du téléphone, du mail, délégation certaines tâches (assistants, infirmières). Cela lui permet soit de dégager du temps libre, soit d’augmenter le nombre de patients suivis.
Macron entend s’appuyer sur la pénurie de médecins (induite par les réformes successives) et sur la crise sanitaire (amplifiée par les dégradations du système hospitalier et la gestion délétère de son gouvernement) pour passer à la vitesse supérieure, asphyxier l’hôpital public, aller plus loin encore dans la destruction de la Sécu, accentuer la privatisation et la financiarisation de tout le système.
La défense d’un système de santé public, de l’hôpital public, de la sécurité sociale et des bases sur lesquelles elle a été crée, des retraites par répartition, du code des pensions implique de faire connaître et combattre tous les aspects du plan Macron-Buzyn en en montrant la cohérence. Les dépenses des hôpitaux publics ne doivent dépendre que des exigences des soins à donner aux malades ainsi que de leur fonctionnement.
On ne peut condamner, par principe, la création de centres de santé en médecine de ville employant des médecins et soignants salariés. Mais la logique du profit et de la « rentabilité » capitaliste conduit à ce que les groupes privés qui veulent dégager des dividendes pour leurs actionnaires cherchent à réduire les coûts des prises en charge des patients par la sélection des patients, générant une exclusion des soins des patients fragiles, à une baisse de la qualité (fréquente dans l’approche forfaitaire)… Elle amène à accroître la pression sur les salaires des soignants. Selon Indeed (moteur de recherche d’emploi), dans le groupe Ramsay, le salaire des infirmiers serait inférieur de 12% à la moyenne nationale.
La revendication fondamentale du droit à la santé implique la gratuité totale de tous les soins médicaux et para-médicaux pour l’ensemble de la population. En avril 2017, L’insurgé rappelait que « La seule solution, pour assurer un remboursement à 100% par l’Assurance maladie des soins prescrits, c’est de rétablir la Sécurité sociale sur les bases qui l’ont fondée : un financement par les seules cotisations sociales. Cela impose de supprimer toutes les exonérations de cotisations sociales qui asphyxient l’Assurance maladie et au-delà toute la Sécurité sociale et les différents risques qu’elle couvre (retraites, accidents et maladies professionnelles, famille…) ». [4] Cela impose aussi de soustraire toute la médecine, la recherche médicale, la production de médicaments et biens médicaux à la recherche du profit capitaliste.
La défense de l’hôpital public, du statut de fonctionnaire des soignants, du droit à la santé impose d’exiger en premier lieu l’abrogation de la loi Buzyn et de toutes les mesures actuellement mises en œuvre.
Mais un tel combat ne peut se mener sans rompre avec la politique de dialogue social qui désarme les mobilisations. Le Ségur de la santé en est le dernier exemple [5].
Un véritable service public de la santé implique l’expropriation des trusts pharmaceutiques et de matériel médical, des laboratoires, des groupes capitalistes d’hospitalisation privée, la socialisation de tout ce qui concerne la santé ! Cela pose une question de fond, celle du combat pour un gouvernement au service des travailleurs.