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Non à la casse de la maternelle ! Retrait des projets Blanquer !
Le 1er septembre 2020, Jean-Michel Blanquer a adressé une lettre de mission au Conseil Supérieur des programmes (CSP) pour l’école maternelle. Celui-ci a bien travaillé car il en est sorti une note le 8 décembre dernier, qui définit un recadrage important du programme de maternelle en vue d’une réécriture des programmes à la rentrée 2021.
Un programme adapté aux objectifs de la loi Blanquer
La Lettre de mission de Blanquer était explicite. Il demandait au CSP de proposer des « pistes d’aménagement du programme » de la maternelle afin de le mettre en conformité avec « l’esprit des évolutions apportées par la loi » et les recommandations pédagogiques du ministre [1]. Rappelons que la loi « pour une École de la confiance du 28 juillet 2019 » a rendu « L’instruction obligatoire pour chaque enfant dès l’âge de trois ans et jusqu’à l’âge de seize ans. » [2]. La note du CSP [3] participe de la mise en œuvre de la loi Blanquer.
L’article de L’insurgé de juin 2019 portait l’appréciation suivante sur cette loi : « les enfants de maternelle doivent « entrer dans les apprentissages » dès trois ans. Mais cette vision des apprentissages normatifs et évalués est singulièrement réductrice. (…) L’exigence aujourd’hui affirmée est celle de la rentabilité immédiate des heures de présence en maternelle. La totalité des 24 heures hebdomadaires doit être consacrée à l’enseignement des disciplines scolairement rentables et vidées de leur dimension culturelle : un vocabulaire minimum, le code alphabétique, la phonologie, l’apprentissage des nombres. À cela s’ajoute l’intégration des outils numériques dans le quotidien de la classe de maternelle. L’obligation de résultats sera mesurée par les performances scolaires des élèves ».
Alors que 97,5% des enfants de 3 ans sont déjà scolarisés, quel est l’objectif de cette « instruction obligatoire dès 3 ans » ?
Les recommandations du CSP sur les programmes sont en réalité une remise en cause de l’école maternelle dans son ensemble et surtout dans ses missions. L’association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publiques (Ageem) « souligne l’importance de la prise en compte du respect des besoins physiologiques et psycho-affectifs des enfants ». Or, les « recommandations » du CSP sont cadrées uniquement par les savoirs fondamentaux : « lire, écrire, compter ».
Ainsi l’école maternelle est menacée par la trop grande importance laissée à la maîtrise de la langue sous la forme d’une insistance particulièrement forte donnée au vocabulaire sous forme de listes. Le côté formel des apprentissages se recentre sur les savoirs fondamentaux (langue, numération…) qui se retrouvent renforcés et soumis à des évaluations de compétences. La note explique également que les programmes de 2015 se sont trompés, alors que des chercheurs et spécialistes de la petite enfance insistent à leur manière sur les effets délétères et producteurs d’inégalités de ces attentes de performance scolaire sur les savoirs fondamentaux dès l’entrée en maternelle.
Un exemple est illustratif des objectifs de Macron-Blanquer. S’agissant des premiers apprentissages mathématiques, la note du CSP propose un « recentrage sur l’apprentissage, sur l’utilisation et la connaissance des nombres » afin d’éviter, disent les auteurs, de « réduire les mathématiques à des outils dont la seule finalité serait de structurer la pensée ». Si les mathématiques permettent de structurer la pensée, quel mal y aurait-il à cela ? La suite révèle les objectifs recherchés : « Compte tenu de l’abaissement de l’instruction obligatoire à 3 ans et des acquis hétérogènes des élèves à l’entrée au CP, une consolidation de leurs connaissances à l’issue de l’école maternelle dans la compréhension et l’utilisation des nombres est souhaitable ». L’objectif n’est plus de développer les potentialités de l’enfant mais de rentabiliser la scolarisation obligatoire (de 3 à 16 ans) en décalant en maternelle nombre d’acquisitions qui relèvent de l’école élémentaire.
Toutes les autres disciplines ont disparu de cette note et apparaissent comme superflues. L’importance du corps, la place des activités physiques et artistiques sont totalement ignorées. Va-t-on déléguer les activités sportives, culturelles, artistiques aux collectivités territoriales ou aux ATSEM comme les 2SC2 qui mêlent temps scolaire et périscolaire, ce qui tend à sortir certaines disciplines du système scolaire en les confiant aux collectivités locales, voire au privé ?
En vue de la préparation de l’évaluation au cours préparatoire, deux évaluations sont prévues : une en petite section, l’autre en grande section qui vérifiera l’acquisition des attendus. Pour le SNUipp, le « seul objectif [est] d’en faire un outil de pilotage des enseignements ». Et plus encore : « Mettre en place des évaluations normatives à un instant T, c’est faire fi des différences de rythme et de développement des élèves, c’est créer artificiellement de l’échec en traduisant les résultats en réussites ou échecs prédictifs d’une trajectoire scolaire ».
Cette primarisation de l’école maternelle est une véritable rupture avec toute l’histoire de l’école maternelle. Et ce faisant, un tremplin vers l’explosion des inégalités.
Police des familles et formatage dès le plus jeune âge
Cette note fait référence aux avis d’experts proches de Blanquer et du gouvernement (comme Bentolila, Villani…). Mais à quoi servent les références aux études scientifiques sur le développement du cerveau et l’émergence des fonctions cognitives des jeunes enfants si rien n’est fait pour régler les enjeux auxquels l’école maternelle est confrontée, qu’il s’agisse de son accessibilité à tous les enfants, du taux d’encadrement, de la qualité de l’accueil soumise à des très fortes inégalités territoriales, du manque d’enseignant, du manque d’ATSEM ? Comment permettre l’attention de l’enfant, son engagement actif, l’alternance entre action physique et mentale dans des classes surchargées ?
Ainsi, par exemple, 67 % seulement des enfants de 3 ans sont scolarisés dans le département de la Seine-Saint-Denis, et 70% dans les territoires d’Outre-mer. L’instruction obligatoire à 3 ans donnera-elle « à tous les enfants les mêmes chances d’entrer dans de meilleures conditions à l’école élémentaire » ainsi que l’affirme Blanquer ? Comment le croire alors que, par exemple, en novembre 2020, un appel de l’intersyndicale de Seine-Saint-Denis indiquait : « Le nombre d’enseignant-es et d’agent-es techniques non remplacé-es augmente de jour en jour. Cela entraîne une dégradation importante des conditions de travail, des conditions d’apprentissage et des conditions sanitaires » ? Et alors que le SNUipp 93 revendiquait « un véritable plan d’urgence pour l’école passant par un recrutement massif de personnels, notamment celui des 103 personnes de la liste complémentaire au CRPE supplémentaire 2020 » ?
Pour ses premiers pas à l’école maternelle, indique l’Association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publique (Ageem), « l’enfant sera accueilli dans le respect de ses rythmes et dans le respect de ses besoins pour son épanouissement personnel garantissant ainsi de bonnes conditions quant à ses capacités à apprendre ». Où sont les mesures prises par le gouvernement pour créer les conditions favorables et nécessaires à cette première scolarisation ?
Alors que la territorialisation de l’enseignement s’accélère, les conditions d’accueil et d’enseignement sont de plus en plus soumises aux pouvoirs locaux. Ainsi le projet de loi 4D prévoit que les communes pourront décider des pièces nécessaires pour inscrire un enfant à l’école… Combien d’enfants se retrouveront demain exclus de l’école ? (Rappelons qu’aujourd’hui, certaines municipalités tergiversent, voire refusent l’inscription d’enfants de parents « sans papiers » alors que la loi impose l’accueil à l’école de tous les enfants quelle que soit leur origine sociale, ethnique…).
Quant à la scolarisation des 2-3 ans, suite aux réformes successives depuis les années 2000, elle est passée de 35% en 2000 à 11,8% en 2018. Avec Blanquer, c’est la disparition définitive de la scolarisation des deux ans qui est programmée. Et c’est un boulevard pour le développement des écoles maternelles privées avec des fonds publics.
Vers 1881-82, Pauline Kergomard dénonce la méthode des salles d’asile où les enfants étaient dressés à réciter et prier tous ensemble au son du claquoir et du sifflet. (cf. l’article de L’insurgé : https://insurge.fr/bulletins/bulletins-2018/l-insurge-no33/defense-inconditionnelle-de-l-ecole-maternelle,124.html )
L’école maternelle jusqu’alors plébiscitée, car conçue pour permettre le développement des potentialités de l’enfant, pour former sa personnalité et se doter des meilleures chances pour réussir à l’école et dans sa vie risque fort de devenir synonyme de nouvelle « police des familles » et de contraintes scolaires accrues. C’est d’autant plus inquiétant lorsqu’on lit l’un des objectifs fixés à l’apprentissage de la langue française : « À l’école maternelle, l’enfant apprend la langue française qui est la langue de la Nation, creuset commun qui lui est ouvert dès l’âge de 3 ans. Cette langue, facteur de cohésion nationale et de rayonnement culturel, constitue le socle de son identité en France et dans le monde. Vecteur d’échanges et de culture, elle joue un rôle primordial dans le parcours de formation et l’insertion sociale et professionnelle des individus. La langue française est, en effet, au cœur du pacte républicain. » [4]
Quels combats en défense de l’école maternelle ?
Le gouvernement bien qu’affaibli poursuit donc ses attaques. Un des objectifs de Macron et de Blanquer est de réorganiser le système scolaire, en particulier sur les savoirs fondamentaux, qui doivent servir de base pour la masse des futurs salariés. Pour atteindre ces objectifs il doit donc « réformer » l’école maternelle.
La note du CSP réduit l’école maternelle à l’antichambre de l’école élémentaire avec un enseignement limité au lire, écrire, compter, celui des savoirs fondamentaux et des évaluations nationales (deux évaluations sur trois années scolaires, c’est énorme).
Les situations inscrites dans le vécu sont ignorées au profit d’exercices formels. Au cours de ces années de scolarisation, les besoins des enfants évoluent : les récréations, l’accompagnement des moments de repos, de sieste, d’hygiène sont des temps d’éducation à part entière. Et comment tenir compte des différences d’âge et de maturité au sein d’une même classe avec des effectifs qui explosent ?
Quant à la liberté pédagogique des enseignants elle va être particulièrement mise à mal : guidage-flicage sur le vocabulaire, la phonologie, les mathématiques…
Pourtant les revendications pour l’école maternelle devraient avoir des finalités éducatives qui embrassent l’ensemble des domaines d’apprentissage et ne pas être seulement centrées sur le vocabulaire ou la préparation à l’école élémentaire. Cela va de pair avec un amélioration significative des conditions d’accueil et d’enseignement : avec le recrutement massif d’enseignants, l’arrêt des fermetures de classes, la réduction des effectifs : 20 en petite, moyenne et grande section (PS, MS, GS) et 15 en toute petite section (TPS), une formation initiale et continue spécifique des professeurs des écoles, des locaux et matériels adaptés, UNE ATSEM par classe à temps plein.
Ce sont ces revendications qu’il faut défendre, dans l’unité des organisations syndicales. NON à la primarisation de l’école maternelle, NON à la réécriture Blanquer des programmes !
Et au-delà, la défense de l’école maternelle implique d’exiger l’abrogation des textes qui l’ont mise en cause à commencer par la loi Blanquer sur l’école.