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Défense inconditionnelle de l’école maternelle
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnyk a été chargé par le Ministre de l’Éducation nationale Blanquer de préparer les « assises de la maternelle » qui se sont déroulées les 27 et 28 mars 2018 avec la présence d’Emmanuel Macron.
Au moment où 1000 classes maternelles vont être supprimées à la rentrée (le ministère récupère ainsi des postes pour le dispositif Blanquer de CP, puis de CE1 à 12 élèves en REP et REP+), ces Assises génèrent les plus grandes craintes sur l’avenir de maternelles. Fondée en 1881 comme un lieu spécifique pourvu d’une pédagogie adaptée aux jeunes enfants, l’école maternelle est devenue un modèle éducatif pour assurer l’éveil et la socialisation des jeunes enfants. Mais durant les dernières années divers projets l’ont mis particulièrement en danger. Le projet de Macron et Blanquer va-t-il porter un coup de grâce à la maternelle ?
Les salles d’asile apparaissent en France dans les années 1828-1837. En 1801 Mme de Pastoret avait fondé à Paris une « salle d’hospitalité », qui tenait davantage de la crèche que de la maternelle. Les « salles d’asile » se multiplient à Paris et dans les grandes villes ; la circulaire d’application de la loi Guizot s’en occupe (1833). En 1837, au nombre de 800, elles accueillent environ 23 000 enfants et l’ordonnance du 22 décembre leur apporte alors une reconnaissance officielle.
Les salles d’asile répondent à une nécessité sociale évidente, qui en assure le succès. L’essor des manufactures mobilise les femmes et, dès qu’ils ont l’âge de raison, des enfants. Mais que faire des plus petits ? Les salles d’asile viennent à leur heure. De cet asile, les fondateurs veulent faire aussi une école. L’œuvre est d’éducation. La circulaire de 1833, l’ordonnance de 1837 les lient et Cochin définissait les salles d’asile comme « des maisons d’hospitalité et d’éducation ».
L’éducation demande des soins plus minutieux, une pédagogie spécifique que Denys Cochin s’efforce de présenter dans son Manuel des salles d’asile paru en 1833.
Pour la mettre en œuvre, il faut donner aux directrices des salles d’asile une formation spéciale : une maison est fondée dans ce but en 1847 et Marie Pape-Carpentier, qui la dirige pendant 27 ans, prolonge l’inspiration de Cochin.
Cette pédagogie fut conçue essentiellement pour des classes nombreuses de l’ordre de 150 enfants, mais parfois jusqu’à 3 ou 400. Dans la tradition de Cochin, la leçon est le centre de l’éducation, qu’il faut présenter aux enfants comme un travail.
La salle d’asile ne peut être qu’une garderie propre et chauffée.
Octave Gréard, Jules Ferry, Ferdinand Buisson reprennent l’intention de Cochin, et remplacent le terme de salle d’asile par celui d’école maternelle dans le décret du 2 août 1881. Ce principe conduit à intégrer fortement l’école maternelle à l’édifice scolaire.
L’école spéciale qui formait les directrices de salles d’asile est supprimée en 1878 : désormais, elles se recruteront dans les écoles normales d’institutrices et devront posséder leur brevet. Mais elles conservent jusqu’en 1921 des obligations de service bien plus lourdes que leurs collègues hommes. La loi Goblet reconnaît solennellement la place des maternelles dans l’architecture primaire et le décret d’application du 18 janvier 1887 les définit comme « des établissements de première éducation ».
Le décret du 28 juillet 1882 limite à 150 l’effectif de l’école maternelle qui est elle-même divisée en deux sections suivant l’âge des enfants. L’école maternelle devient donc une école.
Commencée de façon très précoce avec les instructions de 1887, continuée avec celles de 1905 et 1908, elle s’achève dès 1921 avec le décret du 15 juillet qui lui donne son statut actuel. Une disposition capitale atteste de sa spécificité : on nommera de préférence dans les écoles maternelles des institutrices ayant obtenu au brevet supérieur une mention spéciale, et les directrices seront choisies parmi des institutrices ayant exercé cinq ans au moins dans des maternelles.
Le décret de 1921 limite à 50 enfants l’effectif de chaque section.
Le succès des maternelles, dû précisément à leur pédagogie, fait reconnaître leur valeur éducative et la scolarisation deviendra presque générale à ce niveau : en 1965 les trois quarts environ des enfants de quatre ans et plus vont à l’école maternelle. Aujourd’hui 97 % des enfants de trois ans sont scolarisés (99% des 4 à 6 ans). Le taux de scolarisation à deux ans est lui très fluctuant : il est soumis au nombre de postes disponibles dans l’Éducation nationale et aux politiques d’ouverture de classe spécifiques pour ces enfants.
L’école maternelle qui jouissait d’une autonomie importante a été profondément remise en cause par l’introduction de la réforme des cycles (loi Jospin de 1989).
Plus récemment, la secrétaire d’État Nadine Morano proposait en 2008 de créer des « jardins d’éveil » pour les 2/3 ans. Et les propositions de « « grand service public de la petite enfance » que l’on trouve dans le programmes de partis « de gauche » sont pour le moins ambigües. Rappelons aussi que l’école maternelle est gratuite, alors que les crèches et jardins d’enfants sont payants.
Les écoles normales primaires qui formaient des instituteurs sont supprimées et remplacées par des IUFM, dont les enseignements sont réduits et où la formation consacrée à la maternelle s’élève à 30 heures sur 450. Fillon décide en 2005 de rattacher les IUFM aux universités et en 2010, d’instaurer un MASTER 2. Aujourd’hui la formation initiale des maîtres est arrivée à son terme, au profit d’une formation sur le tas et d’embauche massive de contractuels. Cela s’inscrit dans la marche à la casse du statut de fonctionnaire. Un nouveau pas est franchi avec le plan de Macron-Blanquer.
Pour Boris Cyrulnyk, spécialiste de la petite enfance, chargé par Blanquer de préparer ces assises, l’école maternelle doit apporter plus de « sécurité affective » !
« L’école maternelle est très bonne, elle sert encore de modèle à beaucoup de pays mais deux facteurs nouveaux sont apparus depuis 15-20 ans qu’il faut prendre en compte ». (…)
« le développement neurologique psychologique affectif des enfants est devenu beaucoup plus rapide qu’avant. Les filles ont notamment une maturité plus précoce. Les enfants qui entrent à l’école ne sont plus les mêmes qu’avant ». (…)
« Par ailleurs « la niche sensorielle » des enfants a changé, c’est à dire leur environnement : les enfants ne sont plus entourés de la même façon qu’avant par leurs parents qui travaillent. Ce sont donc aux crèches et à l’école de créer l’attachement qui va permettre de se sentir plus sécurisé et de pouvoir entrer pleinement dans les apprentissages ». (…)
« Il faut mettre l’accent sur le langage et le bien être des enfants. Il faut insister sur l’importance de l’affect : si un professeur des écoles est rigide, il inhibe le développement de l’enfant. Il faut donc revoir la formation des professeurs des écoles. C’est un point central. Les professeurs des écoles ont un bon niveau universitaire mais qui n’est pas adapté à la fonction sécurisante qu’ils doivent offrir aux enfants ». (…)
« Il faut revoir la formation des ATSEM. Il ne s’agit quasiment que de femmes et elles servent de médiation entre l’enfant, la famille et le professeur. Quand quelque chose ne va pas, elles sont les premières à s’en apercevoir car ce sont vers elles que se tournent les enfants. Elles jouent un rôle crucial. Il faut donc leur donner une formation adaptée. » (1)
Tout est dit, l’objectif est donc de repenser l’école maternelle en modifiant le rôle des ATSEM. De plus, l’école maternelle coûte très cher pour ce gouvernement : 6350 euros annuel et par enfant, un coût supérieur à celui d’un élève de l’élémentaire qui s’élève à 6090 euros.
Comment faire des économies, sinon en supprimant nombre de postes de professeurs des écoles en maternelle et en modifiant le statut des ATSEM ? D’ailleurs, le ministre de l’éducation nationale Darcos en 2008 avait déclaré : « je ne comprends pas pourquoi il faudrait recruter des bac +5 pour faire faire la sieste à des enfants » ? (Il y a eu des interventions allant dans le même sens aux Assises).
Et Boris Cyrulnik renchérit :
« Le premier principe est de sécuriser les enfants... L’expérience montre que les enfants ne s’attachent pas forcément aux adultes qui ont le plus de diplômes mais à ceux qui établissent de meilleures interactions. »
À quoi sert d’abaisser l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans, alors que 97 % des enfants fréquentent l’école maternelle, si ce n’est pour pouvoir subventionner fortement les écoles privées ? Les municipalités sont, depuis 2004, obligées de subventionner l’enseignement obligatoire en écoles privées. Et cette annonce est aussi un écran de fumée pour masquer le contenu réel de sa politique de casse de l’enseignement public, de la maternelle à l’université. Pas un mot, pas une ligne sur la scolarisation des enfants de deux ans qui étaient une priorité en REP.
L’alibi du neuropsychiatre est donné, comme en 1969-1972 pour la réforme des rythmes (suppression du samedi après midi, puis déplacement du jeudi au mercredi) où Pompidou avait fait appel au psychologue spécialiste de la pédagogie active sur l’apprentissage, Jean Piaget, et son ouvrage « Où va l’éducation ? » et comme en 2013 où Peillon a utilisé les chrono-biologistes pour justifier sa réforme.
Bref tout converge vers un service public réduit, dégradé, difficile d’accès pour les plus pauvres.
L’école maternelle est une école à part entière.
L’école maternelle n’est ni une garderie, ni un jardin d’enfants mais « le socle éducatif sur lequel s’appuient et se développent les apprentissages ! ».
- Défense inconditionnelle de la maternelle,
- Abrogation des réformes qui la remettent en cause,
- Création massive de postes de professeurs d’école ; un maître, une classe,
- Rétablissement des postes supprimés,
- Classes à 25, 20 en REP et 15 en toute petite section,
- Véritable formation des maîtres de maternelle.
Les agents spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) sont principalement « chargés de l’assistance au personnel enseignant pour la réception, l’animation et l’hygiène des très jeunes enfants ainsi que de la préparation et la mise en état de propreté des locaux et du matériel servant directement à ces enfants. Ils peuvent, également, être chargés de la surveillance des très jeunes enfants dans les cantines. Ils peuvent, en outre, être chargés, en journée, des mêmes missions dans les accueils de loisirs en dehors du domicile parental des très jeunes enfants. »
En 2016-2017, les ATSEM ont fait grève pour exiger notamment : une ATSEM par classe, un déroulement de carrière catégorie B, l’augmentation de leur salaire et la revalorisation des grilles salariales. Elles réclamaient un cadrage national des horaires et que les conditions de travail soient définies par décret. Ces revendications ont été refusées par les employeurs (collectivités territoriales représentées par l’Association des maires de France, AMF)*.
Les deux décrets parus le 3 mars ne disent mot de la revalorisation salariale. Par contre, ils introduisent de nouvelles missions, indiquant que les ATSEM peuvent « participer à la mise en œuvre des activités pédagogiques prévues par les enseignants et sous la responsabilité de ces derniers (…) assister les enseignants dans les classes ou établissements accueillant des enfants à besoins éducatifs particuliers ... (surveiller) les enfants des classes maternelles ou enfantines dans les lieux de restauration scolaire... (Participer à) l’animation dans le temps périscolaire ou lors des accueils de loisirs ... ».
Il s’agit donc d’accroître la polyvalence des ASTEM, en leur permettant de prendre en charge des groupes d’élèves (sous la responsabilité d’un enseignant), d’être utilisées officiellement par les communes comme animateurs scolaires sur le temps périscolaire, de remplacer les AVS auprès des enfants handicapés (source de nouvelles économies pour l’État) … Le nouveau décret permet le passage possible en agent de maitrise (catégorie C+) ou animateur (catégorie B) ; mais cela ne concernerait qu’une infime minorité des ATSEM.
Rappelons que les ATSEM sont en majorité diplômés du CAP Petite Enfance et ne souhaitent ni devenir animateurs, ni changer de filière, mais être reconnus comme ATSEM.
Cet élargissent des missions et des possibilités d’évolution professionnelle ne sont donc qu’un leurre utilisé pour masquer une importante attaque contre les maternelles et contre le statut des personnels (professeurs des écoles ou ATSEM).