L’arnaque des retraites par points
La réforme du système des retraites inscrite dans le programme de Macron est un marqueur de son quinquennat. Initialement prévu début 2019, le projet de loi ne serait présenté qu’en 2020. Le dossier est en effet explosif. En quoi cette réforme diffère-t-elle des précédentes ?
En 25 ans, les gouvernements successifs ont initié six réformes des retraites. Toutes ont conduit vers une régression des droits. Macron présente son système par points, universel (mêlant retraites des salariés et celles des indépendants), comme « plus juste et plus transparent ». Après 18 mois de concertations auxquelles les dirigeants syndicaux se sont soumis, Jean-Pierre Delevoye, Haut commissaire à la réforme des retraites, a remis, le 18 juillet, le rapport commandé par Macron : « Pour un système universel de retraites ». Ses bons et loyaux services lui ont valu d’être nommé ministre le 3 septembre.
En finir avec la solidarité entre salariés actifs et retraités ?
Selon le programme de Macron, « Un euro cotisé doit donner les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ». Ce serait là, dit-il, « Un système juste, unique et transparent pour protéger mieux ceux dont les carrières sont hachées, instables et atypiques ». [1]
Il s’agirait d’assurer davantage d’équité. Mais Macron veut-il demander des efforts aux patrons, aux actionnaires ? Que neni.
La branche retraite est un pilier essentiel du système de Sécurité sociale arraché au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. La fraction mutualisée du salaire des actifs (cotisations sociales) finance les pensions des retraités, créant une solidarité entre salariés actifs et salariés retraités.
Quelle est son origine ?
En 1944-45, alors que se disloquait l’État bourgeois (l’État de Vichy dirigé par Pétain), la question de la nature de l’État à reconstruire était essentielle. Nombre de travailleurs gardaient en mémoire la révolution ouvrière de 1917 en Russie, l’expropriation du capital. Et le système de sécurité sociale proclamé dès novembre 1917 (assurance sociale pour tous les salariés et les pauvres, couvrant tous les risques – maladie, accidents, invalidité, vieillesse, maternité, veuvage, orphelinat, chômage – dont le coût repose sur les entreprises) [2], influença le plan de sécurité sociale élaboré par la CGT en 1943.
En 1945, par peur de tout perdre (le contrôle de l’État, la propriété des moyens de production), la bourgeoisie dut lâcher d’importantes réformes (la Sécurité sociale, le statut des fonctionnaires…), permettant aux appareils contre-révolutionnaires (celui du PCF lié à l’appareil stalinien de Moscou, celui de la SFIO, et celui du syndicat) de collaborer, dans le cadre du gouvernement provisoire dirigé par de Gaulle, à la reconstruction de l’État bourgeois (la IVe République). C’est ce qu’en 2007, Denis Kesseler appelait le « compromis entre gaullistes et communistes ». En finir avec tous les acquis arrachés à la Libération, tel est l’objectif fixé par ce patron du CNPF (ancêtre du Medef) dans un article faisant date. [3]
Après les coups portés par les « réformes » antérieures (dont les exonérations massives de cotisations sociales), Macron veut franchir une étape irréversible : briser le système de solidarité de la Sécurité sociale.
Les points ne sont pas des droits acquis
Conformément aux exigences de Macron, le rapport Delevoye stipule (p.16) : « Les droits à retraite seront comptabilisés en points. Le système universel comptabilisera les droits constitués par les assurés par l’acquisition de points tout au long de la carrière. ».
Dans ce système qui devrait se mettre en place en 2025, les cotisations sont transformées en points selon une valeur d’achat, fixée pour le moment à 10 euros. Le montant de la pension dépendrait de la valeur de service du point, fixée pour le moment à 0,55 euros.
Mais il faudra respecter une « règle d’or » : les dépenses de retraites devront être inférieure à 14% du PIB et ce, quel que soit le nombre de pensionnés. La valeur du point sera variable, fluctuant année après année, en fonction de la situation économique et de la démographie. Les points ne sont donc pas des « droits acquis ».
Dans le régime général de la Sécurité sociale, comme dans le système des fonctionnaires (Code des pensions de la Fonction publique d’État), le droit à la retraite du salarié et le montant de sa pension sont liés au salaire (à la qualification) et aux droits acquis durant toute sa vie active. Avec le système « universel » de Macron, on n’aurait plus aucun droit. La baisse du niveau des pensions, déjà programmée par les « réformes » passées, serait fortement aggravée. La valeur fluctuante du point s’appliquera à tous les retraités : le taux de remplacement (pension/salaire) diminuera pour toute augmentation de l’espérance de vie.
Diminuer les pensions, augmenter les profits
Dans le régime général des salariés du privé, le calcul s’opère sur les 25 meilleures années (c’était les 10 meilleures avant la réforme de 1993). Pour les fonctionnaires le calcul s’opère sur les 6 derniers mois (soit le meilleur salaire de la carrière).
C’est désormais l’ensemble d’une carrière (comptabilisant les années de travail précaires, de temps partiel, de chômage…), qui serait prise en compte, et non plus les meilleures années.
Cela conduirait à la chute du montant des pensions, à une baisse drastique pour les fonctionnaires, de 25 à 30%, voire plus.
La bourgeoisie n’a jamais accepté que cette fraction du salaire mutualisée qui finance la Sécurité sociale (les cotisations sociales) lui échappe. Elle veut s’approprier une fraction plus importante de la valeur produite par le travail salarié, augmenter la plus value empochée par le patronat : une « baisse du coût du travail ».
Nouvelle version de la « retraite des morts »
Le gouvernement veut procéder en deux étapes :
•Imposer des mesures d’économies d’ici 2025
Suite aux réformes antérieures, le système actuel est fondé sur un âge légal de départ à 62 ans (et non plus 60 ans comme en 1981), avec un taux plein si la personne qui liquide ses droits a cotisé 43 annuités (et non plus 37,5 années). Or, avant même que la retraite à points soit mise en place, le gouvernement a annoncé soit un allongement du nombre d’annuités cotisées pour une retraite à taux plein, soit un âge pivot de 64 ans au-dessous duquel le retraité serait pénalisé par une décote même avec le nombre d’annuités requises.
Puis, à la mi-novembre, un rapport qu’il a commandé cherche à accréditer l’idée que le système est déficitaire et donc qu’il faudrait des mesures de correction avant 2025, « pour redresser l’équilibre financier du régime ». Il faudrait augmenter l’âge minimal de départ à 64,3 ans pour la génération née en 1963, ou augmenter la durée de cotisations requises pour le taux plein à 46,3 ans, ou baisser de 1,1% par ans le pouvoir d’achat des retraités (par la non indexation des pensions sur les prix).
•Légaliser une nouvelle version de la « retraite des morts » à partir de 2025
Le rapport Delevoye précise qu’avec la retraite à points, « Le système universel offrira la possibilité de choisir la date de son départ en fonction de son niveau de retraite, la notion de durée d’assurance s’effaçant derrière celle de points acquis ».
Cela signifie qu’avec un tel système, il n’y aurait plus d’âge de retraite commun à tous les salariés. Avec la baisse drastique du niveau des pensions, le salarié serait automatiquement incité à reculer l’âge de départ.
Voilà ce que Macron et Delevoye appellent la « liberté de choix » ! L’objectif de Macron est clair : « travailler plus longtemps ».
Il s’agit là d’une nouvelle version de la « retraite des morts ».
Capitalisation et « minijobs »
« Non à la retraite pour les morts ! ».
C’est sous ce slogan percutant qu’en 1910, la CGT avait mené campagne contre la loi sur les retraites ouvrières et paysannes défendue par le socialiste indépendant René Vivani et qui instituait des systèmes de retraite par capitalisation et à adhésion obligatoire.
Sur une affiche de la CGT, on pouvait lire : « En somme, camarade, si tu n’es pas crevé avant les 65 ans d’ici l’année 1950, tu auras 27 centimes et demi à manger par jour. Quelle duperie et quelle ironie que ces retraites pour les morts ! ». Rappelons que Viviani reconnaissait qu’à cette époque, c’est entre 60 et 65 ans que « la mortalité jouait de façon effroyable ».
L’expression « système universel » revient 271 fois dans le rapport Delevoye. De quoi s’agit-il en réalité ?
On peut lire, page 31 du document : « les employeurs et les salariés qui le souhaiteront pourront compléter le niveau de retraite par la mise en place de dispositifs collectifs d’épargne retraite ».
C’est la reconnaissance du fait que les retraites publiques ne permettront pas de vivre décemment, et donc la porte grande ouverte aux retraites d’entreprises et à la capitalisation, et aux fonds de pension. La capitalisation se développerait d’autant mieux que l’incertitude sur le niveau des pensions persistera quasiment jusqu’au départ en retraite, et que le niveau des pensions des retraités pourra aussi dépendre des évolutions économiques et démographiques : comme cela se pratique en Suède.
À noter que le mot « retraité » est de plus en plus remplacé dans les textes officiels par « personne âgée ».
Cela transforme la retraite (droit acquis du salarié) en une allocation d’assistance variable selon la conjoncture.
Une masse des travailleurs devenus retraités pauvres devront reprendre une activité.
Ils pourront travailler même après avoir atteint l’âge du taux plein. Et cette activité, nous dit Delevoye, leur permettra même de constituer de « nouveaux droits » à retraite !
Avec le système à points universel de Macron, c’est donc l’exploitation jusqu’à la tombe pour la masse des travailleurs…
Avec la participation des syndicats
Pour Macron, aucun des acquis arrachés par les luttes ne doit survivre : il veut passer d’une société de statuts à une société de mobilité. Et les syndicats devraient participer à cette politique de la terre brûlée.
C’est encore ce que prévoit le rapport Delevoye : « Ainsi, c’est dans le cadre juridique et financier déterminé par le gouvernement et le Parlement que les adaptations du système seront définies par les partenaires sociaux, notamment en matière de cotisations et de droits liés à l’activité professionnelle, ainsi que par l’État, notamment en matière de dispositif de solidarité ». (page 9)
Le gouvernement déciderait de l’évolution des paramètres ; les syndicats participeraient à la mise en œuvre de cette politique réactionnaire, apportant ainsi leur caution à la baisse drastique du niveau des pensions.
Définir clairement les objectifs de la mobilisation
Mais, d’ores et déjà, s’exprime le rejet de ce projet par les travailleurs : suite à la grève massive du 13 septembre à la RATP, puis de l’annonce de cinq syndicats RATP - UNSA, CFE-CGC, SUD, Solidaires et FO, rejoins ensuite par la CGT – d’appel à une grève illimitée à compter du 5 décembre 2019, les appels à la grève le 5 décembre se multiplient. Alors que dans le même temps, depuis 8 mois, la mobilisation des personnels hospitaliers se développe et s’amplifie.
La volonté de combattre la politique du gouvernement tend à se cristalliser contre le projet de réforme des retraites. Raymond Soubie, ancien conseiller de Sarkozy, exprime dans L’Express les inquiétudes de la bourgeoisie : « Nous vivons dans un monde où les risques sociaux qui proviennent du terrain ne sont pas canalisés par les centrales syndicales. Ils sont potentiellement beaucoup plus dangereux ».
C’est pourquoi le gouvernement entend mettre en place un dialogue social renforcé afin de disloquer la mobilisation prévue à partir du 5 décembre. Or, ce projet n’est ni amendable ni négociable. Au plan du gouvernement, il faut opposer la rupture des concertations et tout entreprendre pour mobiliser sur le mot d’ordre clair du retrait de tout projet de retraites à points, lequel unifie tous les secteurs.
Infliger une défaite au gouvernement sur les retraites créerait un nouveau rapport de force pour combattre les régressions en cours et à venir.