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Loi Vidal : diplômes et qualifications en miettes
Le « Plan étudiant » transcrit dans le projet de loi Vidal est une véritable machine de guerre contre la licence, et la valeur nationale des diplômes. Il programme une hiérarchisation des universités, la mise en place de licences modulaires et l’individualisation des cursus. Il répond ainsi aux exigences patronales de mise en concurrence des étudiants et des salariés.
Un lycéen pourra postuler partout en France. Mais lorsque « l’effectif des candidatures excède, les capacités d’accueil d’une formation », l’inscription pourra être refusée. Or, dans nombre de cas, les candidatures seront supérieures aux « capacités d’accueil » dont le seuil sera fixé en fonction des politiques nationales et locales.
Par ailleurs, nombre d’universités connaissent un déficit inquiétant. C’est ce que constate la Cour des comptes dans un rapport de mai 2017 qui cite 15 établissements. En effet, dix ans après la Loi relative aux libertés et responsabilité des universités (loi Pécresse de 2007, LRU1), puis la LRU2 (loi Fioraso de 2012), les établissements ont la charge intégrale des salaires de leurs personnels dans le cadre d’un budget global (appelé passage aux Responsabilités et compétences élargies/RCE).
Avec le désengagement de l’État, cela conduit nombre d’universités à réduire l’offre de formation, le volume horaire des licences, le nombre de groupes de TD, les frais pédagogiques (polycopiés dématérialisés à la charge des étudiants…), sans compter la dégradation considérable des conditions de travail des personnels et d’études des étudiants.
Le pouvoir donné à chaque université de sélectionner ses étudiants va accroitre la mise en concurrence entre les établissements et leur différenciation. Les universités des grandes métropoles capteront nombre d’étudiants des universités moyennes ou petites.
Les possibilités de s’inscrire dans une formation en dehors de son académie d’origine seront limitées : « l’autorité académique » pourra fixer pour l’accès au premier cycle « des pourcentages maximaux de bacheliers résident dans une académie autre que celle dans laquelle est situé l’établissement ». Cela renforcera les possibilités des universités très demandées de capter les « meilleurs dossiers ». De plus, la tentation sera forte, de « baisser le nombre de places dans l’espoir de n’inscrire que les meilleurs dossiers ».
La hiérarchie entre les universités en serait considérablement renforcée, conduisant peu à peu à la mise en place de trois groupes. Le groupe des universités dites « de recherche intensive », implantées dans les grandes villes ou métropoles (certaines sont déjà regroupées au sein d’une Coordination des universités de recherche intensive françaises/CURIF), fortement dotées en moyens : leur dimension nationale voire internationale s’en verrait renforcée. Un groupe d’universités de formation et de recherche, sous-financées et sous encadrées et un troisième groupe, celui des « collèges universitaires » avec des formations professionnalisantes bac+3, sans plus aucune recherche1. Le gouvernement veut réformer par ordonnance les statuts des ComUE et des établissements fusionnés ce qui permettra de nouvelles mutualisations et ouvrira la voie aux annonces de Macron : « Nous permettrons aux universités de recruter elles-mêmes des enseignants-chercheurs ».
Certains étudiants verront leur inscription subordonnée à l’acceptation de « dispositifs d’accompagnement » ou de « formation personnalisée ». La vitesse d’acquisition de la licence sera plus lente. On aura ainsi, dans chacune des filières et pour chaque université, des cursus différenciés et des licences à trois vitesses : une licence à vitesse réduite (4 ans), une licence à vitesse accélérée (en deux ans) ou renforcée, laquelle dévalorisera la licence classique en trois ans.
Un amendement au projet Vidal adopté en commission des lois de l’Assemblée nationale précise que les universités mettront en place un enseignement modulaire capitalisable, dans une logique de formation tout au long de la vie. Et l’annonce d’un décret définissant la licence uniquement en ECTS (et non en année universitaire) va dans le même sens.
De plus, la mise en place de la sélection, à partir d’ « attendus », va mécaniquement renforcer la hiérarchisation des disciplines (et des établissements), les écarts scolaires et obliger les lycéens à une orientation plus précoce. Ce type de lycées et de formations universitaires « modulaires » existe en Angleterre. Les universités proposent des formations en précisant les « pré requis » en termes de disciplines étudiées au « lycée » et de niveau atteint dans ces disciplines. (L’université de Birmingham peut ainsi refuser le dossier d’un lycéen qui, bien qu’ayant acquis le niveau « As levels » - 1ère année de lycée - n’a pas suivi, durant cette année, un des cours « attendus » par cette université).
Ainsi, les « pré-requis » exigés par chaque université imposeront-ils au lycéen un parcours d’initié plus ou moins implicite dans le cadre d’un lycée « à la carte ». La réforme annoncée par Blanquer avec un lycée et un bac modulaires est donc totalement corrélée et soumise à la loi Vidal.
La loi Vidal prévoit une licence composée de « blocs de compétences » à valeur variable selon le « parcours individuel » de l’étudiant. C’est le cursus individuel de l’étudiant (inscrit dans l’annexe au diplôme) qui se verrait conférer ou non une valeur (ce qui vaudra aussi pour le nouveau bac Blanquer).
Cela conduira à la fin de la reconnaissance de la licence comme diplômes de niveau II dans les conventions collectives (et du bac comme diplôme de niveau IV). Cette individualisation des diplôme mettra fin à la reconnaissance collective des qualifications donnant droit à un même niveau de salaire et favorisera la mise en concurrence des salariés sur le marché du travail. C’est ce que réclame le patronat afin de faire baisser la valeur de la force de travail et d’accroître toutes les formes de flexibilité des salariés. Et la mission Calvez-Marcon mise en place pour réorienter la voie professionnelle scolaire du CAP au BTS vers l’apprentissage va dans le même sens.
La logique de la « formation tout au long de la vie » rend chaque jeune responsable de sa formation initiale (et donc de l’échec scolaire) indépendamment des conditions d’études (qui elles dépendent de l’État : classes surchargées, diminution des heures de cours…) et le salarié responsable de son employabilité. Cela conduit à la totale destruction des acquis inscrits dans l’accord national interprofessionnel de 1970 rendant l’employeur responsable de la formation continue du salarié et de son financement (formation sur le temps de travail…).
Mais le gouvernement s’est appuyé sur plus de trois mois de concertation avec les directions syndicales avant de publier le Plan étudiant et le projet de loi Vidal. Et aujourd’hui, le « dialogue social », les consultations se poursuivent : avec la ministre Vidal dans la mise en œuvre de son projet de loi, dans les conseils d’administration des universités ; avec le ministre Blanquer, dans le cadre de la mission Mathiot sur la réforme du bac et du lycée, de la mission Calvez-Marcon sur l’apprentissage…
Combattre pour le retrait des projets gouvernementaux implique de montrer les véritables enjeux de ces contre-réformes. Cela nécessite de plus de fixer à la mobilisation un objectif clair : infliger une défaite politique à Macron et son gouvernement. Or, on ne peut affronter le gouvernement sans rompre le dialogue social qui se mène aux ministères, dans les différentes structures de « concertations » à l’université comme dans le second degré.
Une défaite du gouvernement ouvrirait la voie au combat pour l’ensemble des revendications (abrogation de la réforme du lycée, celle du collège, création de postes…).
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1 Actuellement nombre de petites et moyennes universités se sont regroupées en Alliance des universités de recherche et formation française (AUREF) s’inquiètent déjà de la concentration des moyens dans les universités de la CURIF.