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Une offensive cohérente contre l’école qu’il est encore possible de mettre en échec
Avec la « réforme du collège » qui touche aussi l’enseignement primaire, c’est un véritable bouleversement qui se met en place. Les nouveaux programmes soumis au « socle » s’appliquent du CP à la 3e et le L.S.U.N (le livret scolaire unique numérique) impose une évaluation par compétences et un fichage de la jeunesse. Ce bouleversement va aussi toucher le lycée, et l’enseignement professionnel. Et de nouvelles et graves attaques sont portées au statut des personnels enseignants.
Le LSUN pourra être paramétré de façon différente d’une école à l’autre (les items étant modifiés au gré des établissements). Le nombre très importants d’items renvoie à une vision morcelée des apprentissages. On renonce ainsi à amener le groupe classe au même niveau de connaissances en fin d’année (niveau défini jusqu’alors par le programme national). Le groupe classe est explosé. Contrairement à ce qui est affirmé, ce système qui évacue tout repère national ne permet pas à l’élève de progresser et n’aide pas à donner du sens aux apprentissages.
Avec l’autonomie, la déclinaison locale des programmes, l’individualisation du parcours scolaire, les acquis disciplinaires varieront fortement d’une école à une autre. Le LSUN répertoriera précisément les enseignements suivis par chaque l’élève, son parcours, les compétences acquises. Et les inégalités, et les écarts entre les familles qui ont une maitrise des outils numériques et celles qui ne l’ont pas, vont se creuser. Cela conduit à renforcer les inégalités scolaires et les écarts entre classes, écoles, collectivités, régions.
L’apprentissage méthodique des connaissances est marginalisé au profit des compétences du socle commun. L’école est instrumentalisée pour formater les élèves selon des critères d’employabilité définis par le patronat. Et le LSUN devient la première pierre du nouveau « livret ouvrier » du futur travailleur (il s’intègrera au compte personnel d’activité/CPA, préparera l’individualisation imposée par la loi El Khomri).
Quant à la mise en œuvre du LSUN, elle représente une véritable surcharge de travail qui impose des saisies fastidieuses. Il s’agit, au-delà, d’uniformiser les pratiques pour mieux les contrôler, de restreindre la liberté pédagogique des enseignants, d’imposer la pédagogie officielle liée au socle.
Contre le fichage des élèves, contre l’évaluation par compétences, non au socle commun !
Abrogation du L.S.U.N. ! Telle doit être l’exigence du SNUipp, de la FSU - et de tous les syndicats.
En maternelle, le cahier de suivi des apprentissages doit rendre compte de la réussite des élèves. Certes, il n’y a plus désormais de « compétences » et de cases à cocher. Mais les programmes sont toujours exprimés en compétences et les modèles de « carnets de suivi » indiquent clairement les objectifs du ministère. De même, les « indicateurs de progrès » fournis par le ministère pour suivre les progrès de l’élève dans les cinq domaines d’apprentissage (et 64 compétences associées) incitent les enseignants à entrer dans le système des compétences. Et les inspecteurs d’inciter à mettre en place, via les tableaux et tablettes numériques, dans chaque classe, des items d’apprentissage et de compétences.
En fin de maternelle, la « synthèse des acquis scolaires » enregistre 8 domaines et 18 grandes compétences associées ainsi qu’une évaluation du comportement (cf. « Participation aux activités, initiatives, coopération »).
L’individualisation des apprentissages et l’évaluation « bienveillante » préparent au fichage des compétences. D’autant que certains inspecteurs annoncent déjà qu’il faut prévoir le passage de l’évaluation au numérique.
À cela s’ajoute la dérive sécuritaire qui, en maternelle et en primaire, désorganise le bon fonctionnement des écoles en imposant des exercices PPMS (plan particulier de mise en sécurité)/attentat qui traumatisent les élèves en leur imposant de fuir ou de se cacher.
Les réseaux d’éducation prioritaire (R.E.P.) et R.E. P + sont, pour le gouvernement, un véritable laboratoire de la « refondation ». La loi fixe l’objectif de « faire évoluer les politiques de réussite éducative comme l’éducation prioritaire ». Comment ? En favorisant, dit le texte, « l’évolution des pratiques pédagogiques, notamment via le dispositif du « plus de maîtres que de classes ».
Or, à cette rentrée, les RASED qui rassemblaient des psychologues scolaires et des professeurs des écoles spécialisés et intervenaient auprès des élèves de la maternelle au CM2, en classe ou en petits groupes, sont en voie d’extinction. Quelques écoles ont un maître supplémentaire, mais dans nombre d’endroits, le manque d’enseignants pose des problèmes de remplacement. Dans les Yvelines (et d’autres départements), le concours n’ayant pas fait le plein, l’Inspection Académique via Pôle emploi a recruté 80 contractuels qui se retrouvent dans les classes les plus difficiles comme les CLIS (classes à inclusion scolaire).
Ce manque d’enseignants est masqué par l’emploi de personnel précaire : auxiliaires de vie scolaire (AVS) pour les élèves relevant de la M.D.P.H (maison du handicap), assistants pédagogiques, voire « volontaires du service civique » qui ont signé un contrat d’engagement et effectuent un travail gratuit.
Les heures de concertation REP+ avec les enseignants du collège REP+ (deux heures par mois) sont récupérées selon des disponibilités des postes de remplaçant (les ZIL REP+), ce qui désorganise le fonctionnement de l’école.
Aux Mureaux, il est demandé aux PE en poste de former les nouveaux arrivants : « en maternelle comme en élémentaire, vous vous retrouverez soit par groupe scolaire ou par école afin de réfléchir à l’élaboration d’une fiche ou d’un livret d’accueil en direction d’enseignants qui arriveraient dans votre école en REP+ ».
Avec l’autonomie, l’école devient ainsi sa propre ressource. Et la mise en cause du statut des professeurs d’école (PE) s’accompagne d’une extension de la précarité.
Tout cela correspond aux préconisations de la « refondation » qui est « avant tout pédagogique », et au référentiel de l’éducation prioritaire qui s’en est suivi. La question des moyens (enseignants titulaires et qualifiés, diminution drastique des effectifs par classe…) est largement évacuée. Ce faisant, le ministère reporte sur les enseignants, voire les parents, la responsabilité de l’échec scolaire.
Avec la réforme des rythmes scolaires, l’organisation du temps périscolaire, la mise en place du PEDT (projets éducatifs territoriaux) et des nouvelles activités périscolaires (NAP) relèvent d’un choix unilatéral de la mairie. Cette réforme massivement rejetée par les enseignants et les parents a imposé une organisation du temps scolaire avec des horaires différents d’une école à une autre dans la même ville. Ce qui induit un véritable dysfonctionnement des écoles et casse le caractère unitaire et national. Et l’insertion des projets d’école dans les PEDT soumet l’école aux collectivités territoriales pour se mêler de tout et décider de tout (des horaires, des répartitions pédagogiques, de l’utilisation des locaux et du matériel scolaire).
Le partage des locaux avec les animateurs et les A.T.S.E.M est un problème récurrent. Les enseignants sont généralement opposés à l’utilisation des salles de classes, car ils ne peuvent plus travailler dans leur classe, ni préparer, ni corriger. Et il n’est plus possible de laisser en place le matériel utilisé par les élèves, ni de préserver la disposition de la classe, ce qui entraine des pertes de repères pour les élèves. Une salle de classe de classe n’est pas adaptée à des activités périscolaires.
Les enseignants ne veulent pas contrôler et/ou évaluer les temps ou les activités périscolaires. Ils ne veulent pas de confusion entre les temps scolaires et temps périscolaires. L’abrogation des décrets sur les rythmes scolaires est une revendication fondamentale. Elle participe du combat contre la loi Peillon.
au lycée général et professionnel (2/4)
La réforme Chatel était l’application au lycée (LEGT et lycée professionnel) de la loi Fillon de 2005 contre laquelle s’étaient mobilisés les enseignants et les lycéens. Alors que les personnels en exigeaient l’abrogation, les directions syndicales n’ont cessé depuis 2012 d’en demander un « bilan ». De novembre 2015 à avril 2016, le ministère a organisé une consultation sur le « bilan de la réforme du lycée ».
Il en est issu des « constats » au travers desquels se profilent les plans du gouvernement. Non seulement le corps de la réforme Chatel sera maintenu, mais l’objectif est d’appliquer au lycée les principes directeurs de la loi Peillon : élargir la « marge de manœuvre » des établissements, leur autonomie.
Avec la fin des redoublements, le ministère annonce qu’il faudra, dès la rentrée prochaine, en seconde, renforcer les acquis du socle. Le Conseil national des programmes planche déjà sur les nouveaux programmes, et les éditeurs sollicitent des collègues pour rédiger de nouveaux manuels.
Les parcours, le travail par projets devront s’étendre de la seconde au premier cycle universitaire. Un nouvel allègement des programmes disciplinaires est annoncé, au profit de « l’accompagnement personnalisé » qui inclut « l’aide à l’orientation ». Plus d’autonomie serait laissée aux établissements dans la « gestion de leur dotation ». L’objectif est d’adapter les programmes aux conditions locales. La critique des actuelles filières risque de déboucher sur la « modularisation des formations », l’individualisation.
« L’orientation active » devrait commencer dès la classe de première. Cette novlangue masque la mise en cause du droit aux études de son choix pour tout lauréat du baccalauréat. Tout cela conduit à mettre en cause du bac national, premier diplôme universitaire.
Un rapport des inspections générales publié en juin fait des propositions pour développer l’apprentissage dans les établissements publics technologiques et professionnels conformément au plan de relance de l’apprentissage présenté par le gouvernement lors de la grande conférence sociale de juillet 2014. Ce plan a fixé l’objectif de 500 000 apprentis en 2017.
Le rapport propose de mixer les publics (élèves et apprentis dans une même formation), notamment en bac pro. Et de mixer les parcours : un jeune pouvant passer du statut d’apprenti au statut d’élève (en cas de rupture du contrat d’apprentissage, etc.) ou vice versa. Lycées professionnels publics et CFA privés seraient liés par un partenariat. Et la « mixité des formations d’un même domaine sur tout le territoire régional » deviendrait la règle dans les établissements publics. Tout cela au plus grand profit des entreprises qui pourraient se dispenser d’un contrat d’apprentissage pour tout le cycle de formation. L’Enseignement public serait ainsi mis au service des CFA privés !
Ces mesures permettront d’avancer vers la mise en place des campus des métiers promus par la loi de refondation. Y seront mêlées « différentes modalités de formation (statut scolaire, apprentissage, formation continue, validation des acquis de l’expérience) », y compris « des poursuites d’études supérieures ».
Avec cette soumission totale de l’enseignement professionnel aux besoins du patronat, l’avenir de la formation professionnelle sous statut scolaire et des lycées professionnels est ouvertement menacé.
des statuts (3/4)
Le gouvernement va s’appuyer sur les textes déjà publiés : lois de décentralisation qui donnent aux régions la mainmise sur la formation professionnelle ; loi sur la formation professionnelle de 2014 qui crée le Compte personnel de formation (CPF) et introduit l’existence de bloc de compétences (soit un morceau de certification professionnelle) ; décret de juillet 2016 qui prévoit que les titres professionnels (certifications délivrées par le ministère du travail) pourront être préparés en apprentissage ; décrets de juin et juillet autorisant l’accès au CAP, au Bac pro, au Brevet de technicien supérieur (BTS) en blocs de compétences.
Aucune durée de formation n’est plus exigée pour les candidats préparant le brevet de technicien supérieur dans le cadre de la formation professionnelle continue ou de la validation des acquis de l’expérience
Nombre de jeunes ne seront titulaires que de certifications inférieures au CAP, de valeur limitée géographiquement et périssables.
Et l’individualisation des formations et des diplômes participe activement à la casse des diplômes nationaux et du système de qualifications reconnues à l’échelle nationale.
Faire prendre en charge par l’État le coût de l’apprentissage, disloquer le système de qualifications rattaché aux diplômes nationaux au profit de certifications à la main du patronat local, accélérer la marche à la destruction des lycées professionnels, du statut des professeurs d’enseignement professionnel… Tels sont les objectifs.
Le diplôme national évalue les connaissances acquises en relation avec un nombre d’heures de formation et des contenus (programme) définis à l’échelle nationale et établit des droits (accès au concours, à certaines professions...). Sa validité est permanente.
Le titre professionnel est une certification professionnelle délivré par le ministre chargé de l’emploi. Il atteste que son titulaire maîtrise les compétences, aptitudes et connaissances permettant l’exercice d’activités professionnelles qualifiées.
Une certification (inscrite au Répertoire national des certifications professionnelles/RNCP) est reconnue pour une durée déterminée (1 à 5 ans) sans garantie de renouvellement
Pour mettre en œuvre sa refondation, le gouvernement doit casser les garanties statutaires des professeurs.
Ainsi, le rapport de l’inspection générale refuse que l’on distingue désormais, dans le service des professeurs de LP (PLP) la quotité de service effectuée en direction d’élèves ou d’apprentis. Un conventionnement permettra au CFA de reverser à l’État la partie du salaire correspondante. Et comme les apprentis ne sont présents que la moitié de l’année dans le CFA, on pourra moduler les horaires d’enseignement des professeurs (14h quand les apprentis ne sont pas là et 23h lorsqu’ils sont présents). Avec le passage de nombre de formations en apprentissages, beaucoup de PLP se trouveront en sous service. Menacés d’aller compléter ailleurs, ils accepteront cette flexibilité… « volontairement ».
Du fait des conditions de travail, la crise du recrutement d’enseignants fonctionnaires s’accentue. Le rapport envisage l’extension du recrutement de contractuels et l’intégration plus nette de la prise en compte des apprentis dans le référentiel métier des personnels enseignants.
Le projet de réforme de l’évaluation est une nouvelle et importante attaque contre le statut. Elle fait suite au référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation (arrêté du 1/07/2013) et aux décrets qui ont modifié les obligations de service, redéfinissant métier en missions, imposant une multitude de tâches.
La nouvelle évaluation selon 11 compétences du référentiel intègrera la capacité à travailler en équipe, les relations avec les partenaires de l’école (parents, collectivités, entreprises…), l’accompagnement des élèves dans leur parcours de formation, etc. Il sera fortement recommandé de remplir un document d’auto-évaluation précisant son degré d’investissement et d’engagement. Il s’agit d’apprendre à se « vendre ».
Suite à l’entretien lors des rendez-vous de carrière, aux visites de l’inspection, au « dialogue régulier » avec le chef d’établissement, les enseignants pourront, à tout moment de leur carrière, se voir imposer des formations pour acquérir les compétences du référentiel. Cet accompagnement est le moyen d’imposer la mise en œuvre de la pédagogie officielle du socle, des nouveaux programmes, de la refondation Peillon. C’est une mise en cause de la qualification acquise par le concours, une mise sous tutelle de la hiérarchie, la destruction de la liberté pédagogique…
Et la ministre annonce la mise en place d’un portfolio qui individualisera le parcours de formation selon les compétences acquises. D’un droit collectif, la formation devient une obligation du salarié. Cela s’articulera avec le compte personnel d’activité de la loi El Khomri qui va s’appliquer aussi aux fonctionnaires.
Rupture du dialogue social ! (4/4)
Le gouvernement veut modifier les décrets statutaires des enseignants avant la fin de l’année. C’est pourquoi, il a envoyé aux directions syndicales la version finale des décrets sur l’évaluation qu’il veut présenter au comité technique ministériel (CTM) le 16 novembre.
Certaines des directions syndicales acquiescent, d’autres demandent le retrait. Mais, alors que les objectifs étaient clairement annoncés, toutes ont apporté leur caution à ces plans en participant jusqu’au bout aux pseudo-négociations sur l’évaluation des personnels. Dans les écoles, les établissements les collègues commencent à découvrir ces projets, des discussions s’engagent, des motions unitaires en demandent le retrait.
L’unité, sur ces bases, des organisations syndicales (SNES, SNES, SNUipp, FSU, FO, CGT, SUD...) porterait un coup à cette politique, ouvrirait la voie à la mobilisation unitaire pour imposer le « retrait » des projets de décrets sur l’évaluation. Au-delà, combattre contre chaque aspect de la loi de « refondation » implique de mettre en cause la loi Peillon dans son ensemble, et d’en exiger l’abrogation.