Soignants mobilisés contre l’obligation vaccinale : interview d’un infirmier hospitalier
En 2020, en pleine pandémie, 5700 lits d’hôpital ont été supprimés, et 25 hôpitaux et cliniques ont fermé leur porte. Depuis le 15 septembre, des personnels de santé sont suspendus sans salaire, car ils s’opposent à l’obligation vaccinale décrétée par le gouvernement, alors que les vaccins proposés sont toujours au stade d’essais cliniques. Et Macron « entend accélérer ». Avec son « Plan innovation 2030 », 7 Md€ de crédits budgétaires sont prévus pour une politique de santé soumise aux intérêts des start-up et industries pharmaceutiques. Applaudis hier, sanctionnés aujourd’hui, les soignants doivent se plier à la casse de la santé publique.
Ci-dessous l’interview d’un jeune infirmier hospitalier.
Tu es infirmier en hôpital. Qu’est-ce qui t’a amené à te mobiliser contre l’obligation vaccinale et le pass sanitaire ?
Depuis le début de la crise du Covid-19, s’est développée en moi une colère de plus en plus grande, avec l’impression de n’avoir aucun pouvoir sur notre propre vie. Toutes les décisions sont prises en dehors de nous et pour des intérêts « supérieurs ».
J’ai d’abord accepté le premier confinement, car j’avais un peu peur de cette nouvelle maladie. J’ai respecté les consignes du gouvernement. Mais, très vite j’ai pensé que si le Covid représentait un danger, les conséquences du confinement, de la peur diffusée quotidiennement (avec le nombre de morts annoncé à toutes les informations…) allaient nous retirer nos qualités d’être humain.
Puis, en comparant le nombre de morts et le profil des patients (le plus grand nombre étaient âgés ou présentant des comorbidités), je me suis rendu compte que ces chiffres annoncés étaient utilisés et interprétés à des fins politiques.
Aujourd’hui, l’incohérences des décisions politiques perdure. La question des masques est illustrative. On nous a dit que l’utilisation des masques est importante, alors pourquoi ne pas les fournir gratuitement aux familles ? Les personnes gardent trop longtemps le même masque, il est mis dans la poche et ressorti plusieurs fois par jours, voire plusieurs jours de suite. C’est la peur du contrôle qui guide l’action et non un geste réfléchi en toute connaissance.
À l’hôpital aussi, les soignants gardent trop longtemps le même masque, au mépris du respect de certains protocoles d’hygiène et de soins, à cause des pénuries. De plus, le manque de personnel les conduit à assurer de multiples tâches en très peu de temps.
Le gouvernement ne se dédouane-t-il pas ainsi de ses responsabilités en termes de santé publique, ne met-il pas en danger la population ?
Quelle fut votre réaction à l’annonce de la vaccination obligatoire faite par le Président Macron le 12 juillet ?
J’ai commencé à en parler dans mon service. À deux, nous avons fait le tour des services. Beaucoup réagissaient contre l’obligation vaccinale. Nous avons décidé de faire quelque chose. Nous avons créé un groupe WhatsApp qui a très vite comporté une soixantaine de collègues. Mais c’était un peu l’anarchie. Des personnes que l’on ne connaissait pas étaient ajoutées au groupe.
Nous avons alors créé un comité avec des collègues connus et un nouveau groupe WhatsApp. Nous avons cherché à élargir le comité et à nous organiser. Dans chaque service, un membre moteur propageait l’information et était chargé de la faire remonter.
As-tu participé aux manifestations du samedi contre le pass sanitaire ?
Je n’ai pas pu participer à toutes car je travaille souvent le week-end. Mais vers le 20 juillet, j’ai pris contact avec un infirmier de l’Hôpital Édouard Herriot (HEH). Il a pris une part très active dans la mobilisation à HEH. Ils ont créé un collectif « Soignants résistants 69 » auquel participaient plusieurs soignants d’autres établissements. À HEH, une grève a été organisée appuyée par les sections syndicales SUD santé sociaux et FO de l’établissement.
Dans mon hôpital, certains collègues voulaient partir en grève dès début août. Mais chez nous, le seul syndicat c’est la CFDT. Ils défendent l’obligation vaccinale, ne font rien en défense des personnels, collaborent avec la direction ; et ils sont seulement présents dans le Comité d’établissement. De plus, des collègues partaient en congés. C’est pourquoi, nous avons eu peur de l’isolement et du manque d’organisation. Nous avons alors décidé de mieux nous préparer, de réunir plus de forces.
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Comment vous êtes-vous organisés ?
Nous avons établi des revendications communes afin de les faire partager. Nous avons rédigé une pétition. Des collègues étaient chargés de récupérer les feuilles avec les coordonnées des signataires. Certains ont décidé de la faire signer au plus grand nombre. Moi je pensais qu’il ne fallait la proposer qu’à ceux qui étaient prêts à s’engager dans la grève. Finalement, je pense que c’était une erreur : faire signer le plus grand nombre permettait de faire connaitre les revendications, d’être plus visibles, et de commencer à mobiliser.
Mais nous n’avions pas de syndicat. Nous nous méfiions de la CFDT dont l’attitude a été honteuse : après l’allocution de Macron, ils ne sont même pas venus discuter dans les services. Ils sont pour l’obligation vaccinale. En juillet beaucoup de collègues se posaient des questions sur l’utilité de l’obligation vaccinale pour les soignants. Or, le rôle d’un syndicat, c’est de défendre les salariés. Et on ne les a pas vus. Ce n’est pas un syndicat, c’est plus un Comité d’entreprise qui organise des week-ends à Walt Disney. Nous voulions rester discrets par rapport à eux, car ils mangent dans la main de la direction.
Nous nous méfiions aussi de la direction de l’hôpital. On voulait jouer sur l’effet de surprise de la mobilisation. Mais cela nous a obligés à rester anonymes trop longtemps et a interdit une plus grande visibilité auprès des collègues.
Alors, qu’avez-vous décidé ?
Début septembre, nous avons rédigé un premier tract qui a été distribué à l’entrée de l’hôpital à environ 200 exemplaires. Certains collègues ont placé des tracts dans les vestiaires et les couloirs. C’est la première fois que l’on apparaissait avec le nom du collectif et une adresse mél. Nous souhaitions pouvoir échanger, recevoir des critiques ou des soutiens. On a eu quelques retours de soignants et aussi un message de la direction nous indiquant que nous n’avions pas le droit de diffuser à l’intérieur car nous n’étions pas un syndicat représentatif.
Deux autres tracts ont suivi à quelques jours d’intervalle. On a travaillé sur la forme : peu de texte, avec des expressions, des illustrations, des styles différents des tracts habituels
Mais nous n’avons pu contacter la direction par mail car nos messages étaient chaque fois refusés. Par lettre recommandée, nous avons demandé à rencontrer la direction. Nous nous sommes présentés comme personnels hospitaliers de l’établissement qui se posaient beaucoup de questions sur les conséquences de la loi du 5 août pour les personnels. Nous souhaitions être reçus avec un représentant d’un syndicat départemental.
La directrice a accepté de nous recevoir, mais sans le syndicat, car il n’est pas représentatif dans l’établissement. Elle proposait la participation de représentants de la CFDT, ce que nous avons refusé. Et nous ne l’avons rencontrée que plus tard, le 15 septembre.
Qu’avez-vous fait le 15 septembre ?
Quelques jours avant, on a vu que beaucoup de personnels non vaccinés étaient convoqués individuellement. Les trois quarts se faisaient vacciner par crainte des sanctions.
Et je me suis dit que nous n’allions pas gagner cette bataille contre la vaccination obligatoire. Cependant, nous refusions que tout ce que nous avions fait depuis des semaines ne serve à rien. Il faut que l’on soit fier de ce que l’on a fait. Et on a ainsi décidé de faire grève le 15 septembre. Même si cela n’aboutissait pas à bloquer l’obligation vaccinale, nous pensions que cela permettrait de construire de futures mobilisations communes.
Mais ce qui m’a beaucoup surpris c’est qu’aucun syndicat n’appelait à la grève le 15 septembre. (SUD Santé Sociaux avait néanmoins déposé un préavis de grève pour tout le mois de septembre, FO santé avait aussi déposé un préavis. Mais pas d’appel national à la grève le 15).
On a comptabilisé nos forces. Le samedi on avait une trentaine de collègues d’accord. Le dimanche soir il n’en restait plus beaucoup. Deux collègues très déterminés ont décidé de faire le tour des services. Et ils se sont aperçus que peu de personnes étaient au courant de notre mouvement. C’est un défaut d’organisation : c’est plus difficile sans syndicat.
Ces collègues ont remobilisé les troupes. Le 15 on était environ une trentaine (grévistes, ou en congés, ou déjà suspendus). Dans certains services il n’y avait plus d’aides-soignants. Parmi les grévistes, il y avait des brancardiers, kinés, infirmiers, aides-soignants…
On a récupéré des banderoles à HEH (celles du Collectif SoignantsRésistants69 qui a organisé des grèves et manifestations avec les section Sud santé et FO de HEH et des soignants d’autres hôpitaux de Lyon). Notre initiative a aussi été postée sur Relyons, sur Soignants résistants 69.
Des collègues ont fait des banderoles. On a distribué notre dernier tract qui annonçait la grève la veille et le 15 au matin.
Le 15 septembre, la direction est arrivée à peu près à la même heure que nous (vers 6 heures du matin), parce qu’ils flippaient. Des membres du Collectif Soignants Résistants69 sont venus nous soutenir et nous les en remercions.
Dès le matin, le cadre d’astreinte a appelé tous les supposés grévistes en leur disant on va vérifier que votre appel à la grève est conforme à la règlementation. Si non, il y aurait des sanctions. J’ai appelé tous les numéros de syndicalistes que j’avais pour savoir s’il y avait bien un préavis de grève déposé pour le 15 septembre. Je n’ai pas eu vraiment de réponse affirmative.
La CGT a répondu qu’il n’y avait pas de préavis de grève de déposé pour le 15. Cela m’a fait énormément stresser. Une fois de plus, nous avons été confrontés aux difficultés liées à l’absence de structure syndicale.
Êtes-vous allés rencontrer la direction ?
Oui nous sommes montés ; nous avons cherché le bureau de la directrice. Elle était un peu surprise, crispée. Elle s’est empressée d’aller mettre son masque. Puis elle nous dit « vous vous décidez enfin à venir nous voir ? Vous voyez mon bureau est ouvert. Asseyez-vous. Vous voulez un café ? ».
Elle nous a sorti un discours convenu, sur le fait qu’elle est obligée de respecter la loi : « Je comprends ce que vous faites, je suis même un peu d’accord, mais je n’ai pas le choix ». Puis elle a ajouté : « Quand on est soignant on doit protéger ses patients ».
Je lui ai rappelé que le gouvernement explique lui-même que la vaccination protège contre les formes graves, mais qu’une personne vaccinée peut transmettre le virus. Pour un soignant avec un test PCR négatif, le risque est quasi nul ; mais pour un soignant vacciné sans test PCR, le risque est probablement plus élevé.
On est restés trois quart d’heure. Elle nous a assuré qu’elle était à notre écoute mais qu’elle serait intransigeante au niveau de la loi.
Elle nous a aussi mis en garde envers les syndicats qui sont souvent utilisés à des fins politiques. Elle a précisé que notre mouvement « est beau, très sain » ; qu’elle voyait bien sur nos visages que l’on agissait par principe, par moralité, par valeur, et pas dans le but de causer du tort à la direction. Que notre mouvement n’était pas politique…
De retour en bas, il y avait plus de monde. Des collègues avaient apporté un mégaphone, avec des slogans.
On est partis vers 11 heures pour aller devant l’ARS. Il y avait encore moins de monde que la veille, le 14, lors du rassemblement à l’appel de l’intersyndicale CGT-FO-Solidaires.
Penses-tu qu’il y ait une relation entre l’opposition à l’obligation vaccinale et les conditions de travail ?
Les collègues les plus mobilisés travaillent dans les services où les conditions de travail sont les plus médiocres et aussi ceux qui ont une « grande gueule » se mobilisent facilement sur les conditions de travail.
Les conditions de travail sont très difficiles dans les services où il y a beaucoup de manutention, de nursing (mobilisation des patients, change, soins d’hygiène corporelle). Des services comme la gérontologie accueillent des personnes très âgées, (grabataires, troubles cognitifs…). Il faudrait beaucoup plus de personnel et de matériel. Beaucoup d’intérimaires ne veulent pas aller y travailler. Les soignants titulaires sont épuisés, ce qui a engendré beaucoup d’arrêts maladie et de démissions. À tel point qu’un service a dû fermer durant plusieurs mois.
Les patients ont alors été transférés dans un autre service. L’équipe s’est beaucoup inquiétée. La direction a promis qu’il n’y aurait pas plus de 15 patients. Mais en réalité, il y en a eu 25 et plus. Une réunion a eu lieu avec la direction. Les soignants ont été méprisés, durement traités. On leur a répondu : « c’est votre métier ».
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Comment les services se sont organisés pour accueillir les malades du Covid ?
Dans un premier temps la direction a créé des services avec uniquement des patients Covid. Il a fallu déplacer des malades non-Covid. En cardio, on a mis dehors des patients. On a fait moins d’opérations et les patients sont sortis plus tôt. Puis, on a arrêté les chirurgies et on a pris moins de patients en rééducation cardiaque. Cela a permis de libérer de la place. Et on est monté à quatre services Covid, environ 120 lits, sans compter la réanimation et les urgences.
Mais ensuite on s’est rendu compte qu’il y avait aussi des patients Covid dans d’autres services. On ne pouvait pas les déplacer. Des clusters se sont formés, à cause de choses toutes bêtes. Par exemple, on n’a que deux appareils pour mesurer les paramètres vitaux (la tension artérielle, saturation, pouls…) pour un service d’une trentaine de patients. Il faut les désinfecter manuellement après chaque passage. Par manque de temps, cela n’est pas possible d’être effectué rigoureusement. Il faudrait plus de matériel, et plus de personnel.
Dans ces conditions, même avec des soignants vaccinés, il y aurait eu une propagation dans les services : on n’avait pas de masques au départ, pas de blouses, et il manque toujours des moyens humains et du matériel. On a quelques patients qui sont décédés du Covid dans nos services. C’étaient essentiellement des patients hyper-fragiles, (cancers, BPCO/ bronchopneumopathie chronique obstructive, obésité…).
Et aujourd’hui ?
On a eu un grand nombre d’informations contradictoires : on nous a dit que le virus peut rester sur une surface inerte durant 4 heures, puis cela a changé, on nous a affirmé que c’est durant trois jours. On manquait de masques, puis on a eu des masques chirurgicaux pour soigner les patients Covid, et ensuite, on nous a dit « non, il faut des FFP2 » …
On a vu comment des virologues, infectiologues ont pu se tromper, alors comment des non spécialistes peuvent-il affirmer que ce qu’ils disent c’est la vérité ? Il serait plus honnête de reconnaitre que certaines connaissances scientifiques ne sont pas suffisantes.
Il faut aussi s’interroger : quand une minorité d’élite est la seule à avoir des informations, cela lui donne un pouvoir considérable.
Sur la vaccination, il y a aussi des positions différentes. Alors comment le gouvernement peut-il l’imposer, alors que même les plus grands spécialistes ne savent pas ce que peuvent être les effets à long terme ? Que les États veuillent protéger leur population, cela se conçoit ; qu’ils financent des vaccins aussi. Mais comment peuvent-il l’imposer ? On nous a dit, « il n’y a pas d’effets secondaires ». Puis, « oui il y a des effets secondaires, mais ils sont très minimes ». Et vous devez vous faire vacciner quitte à courir un risque et de plus l’État ne sera pas responsable.
Et le pass sanitaire, c’est politique, ce n’est pas sanitaire.
Quel bilan tires-tu de cette mobilisation ?
Après le 15 septembre, on a eu besoin d’un peu de repos. On reste en contact, surtout avec ceux qui sont suspendus. On a prévu de se revoir. On veut réaliser le projet que l’on a eu très tôt au mois d’août. On s’est rendu compte que les limites de notre mouvement, son manque d’efficacité, était aussi lié au fait que l’on n’avait pas de syndicat. On veut créer une section syndicale dans l’hôpital. On a été approchés par FO, puis SUD santé/Solidaires et aussi la CGT. Je communique avec tous. Mais il va falloir créer notre propre section syndicale.
Notre isolement est aussi lié à l’orientation des directions syndicales : elles n’ont pas pris position contre les annonces de Macron le 12 juillet, elles n’ont pas appelé à la mobilisation contre la loi du 5 août, contre l’obligation vaccinale, le pass sanitaire. Nous sommes plusieurs à avoir conscience de tout cela. Nous pensons qu’il faut quand même nous organiser, créer une section syndicale dans notre hôpital et chercher à la faire fonctionner de façon démocratique.