Ne pas laisser le terrain libre à Macron implique de combattre toute forme de collaboration avec le gouvernement
Pour ceux qui pouvaient en douter, les choses sont clairement dites : à l’approche des élections de 2022, Macron n’a nullement l’intention de ralentir le rythme de ses réformes. C’est ce qu’annonçaient, le 7 septembre, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal :
« Emmanuel Macron va accélérer. (…) Nous n’avons jamais arrêté de réformer, y compris pendant la crise. Nous allons amplifier, notamment avec la réforme de l’assurance-chômage, au 1er octobre (…) ». Y compris la réforme des retraites qui reste à l’ordre du jour : « La question des retraites n’a jamais quitté la table, il n’y a rien d’enterré. » Le message est très clair, adressé à la bourgeoisie qui peut compter sur Macron pour aller au bout de ce qu’elle lui demande de faire.
Et ce n’était pas là des effets de tribune. Le 1er octobre, la très réactionnaire réforme de l’assurance-chômage a effectivement été mise en œuvre, pleinement. Cela donne un avant-goût de toutes les attaques engagées par le gouvernement.
Une avalanche de mesures réactionnaires
On ne peut ici énumérer toutes les lois et décrets en préparation, parfois déjà adoptés, toutes les décisions anti-sociales. Sont notamment menacés la Sécurité sociale et l’hôpital public, le statut des fonctionnaires, les libertés démocratiques.
Ainsi, les mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale induisent encore plus de fermetures de lits et d’hôpitaux. Cela va de pair avec le plan « Innovation santé 2030 » [1] annoncé par Macron en juin, lequel prévoit, entre autres, l’accélération de l’utilisation de « médicaments innovants » et très coûteux. Ce dont la CGT s’inquiète « du fait de la suspicion qui continue à régner autour des organismes chargés de définir leur intérêt [celui des médicaments] notamment leur SMR » (service médical rendu). Car la « vraie révolution dans les domaines de la santé et des sciences de la vie » annoncée par Macron n’est pas tant ordonnée par l’amélioration du système de santé que par la recherche de nouveaux profits pour les industries pharmaceutiques, lesquelles piochent allègrement dans la caisse de la Sécu… pour arroser leurs actionnaires (4 Mds rien que pour Sanofi).
Et le patronat, qui a déjà obtenu plus qu’il pouvait en espérer, en demande davantage. Il veut par exemple que la question des retraites soit au cœur de la campagne électorale. Son principal représentant, Roux de Bézieux, explique ainsi : « Il est évident qu’il faudra travailler plus. (…) Ce qui est politiquement acceptable pour le moment, ce serait de reculer l’âge de départ à la retraite à 64 ans, mais ce ne peut être qu’une étape ». L’objectif étant, selon lui, de prendre modèle sur l’Europe du nord, cet âge de départ étant « fonction de l’espérance de vie ou de la croissance ». (Les Échos du 11 octobre).
Alors que la popularité de Macron est au plus bas, alors que la République en Marche – qui n’est pas un réel parti – est minoritaire dans le pays comme l’ont montré les élections régionales ; alors que les manifestations se sont multipliées depuis juillet pour le retrait des mesures liberticides (imposition du pass sanitaire, obligation de vaccination pour les soignants) ; alors que l’impérialisme français est en difficulté dans des pays pour lui décisifs (Mali, Algérie, Liban…) et sur des marchés majeurs (vente annulée de sous-marins en Australie)… comment Macron peut-il impunément poursuivre son offensive contre les salariés ?
La réponse tient en peu de mots : toutes les organisations syndicales et politiques, dont les travailleurs seraient en droit d’attendre qu’elles organisent le combat uni contre la politique de Macron, toutes les directions de ces organisations, organisent bien au contraire le désarroi des salariés en menant un incessant dialogue social avec le gouvernement, en se situant sur le terrain de la défense du capitalisme et des entreprises françaises.
Une situation difficile pour les travailleurs
Sur le plan syndical : les directions syndicales acceptent de discuter de tous les projets réactionnaires au lieu de rompre le dialogue social dont a besoin le gouvernement. Cette politique de dialogue, au contraire de faire barrage au gouvernement, facilite l’adoption, par la majorité parlementaire aux ordres du gouvernement, de lois anti-sociales et liberticides. Elle facilite l’avalanche de lois et décrets édictés par le gouvernement pour gagner du temps. Macron a d’ores et déjà publié plus de d’ordonnances que ses deux prédécesseurs réunis : 275 ordonnances publiées entre le 22 juin 2017 et le 5 mai 2021.
Sur le plan politique, au niveau des partis issus du mouvement ouvrier, c’est la division complète, chacun n’ayant comme seul souci que de présenter « son » candidat…
Cette division est le corollaire d’une politique de plus en plus étrangère à la défense des travailleurs.
Ainsi, ce qui reste du Parti socialiste (après qu’en 2017 une partie de son appareil ait rejoint les rangs des marconistes) propose – à propos de la vaccination contre le Covid 19, d’aller plus loin encore que le gouvernement en défendant un projet de loi pour que la vaccination soit obligatoire pour tous. Et ce, alors que des milliers de soignants sont frappés (perte de salaire, perte de leur poste) pour avoir refusé la vaccination.
Du côté du PCF, cela ne vaut guère mieux : Fabien Roussel, son dirigeant, et désormais candidat à l’élection présidentielle brouille volontairement les frontières de classe en n’hésitant pas à affirmer que les policiers sont « les ouvriers de la sécurité » : les manifestants blessés durant les manifestations apprécieront…
Le même Roussel, sur un plateau de CNEWS, explique à propos des migrants : « Quand on ne bénéficie pas du droit d’asile, on a vocation à rentrer chez soi ».
Dans cette situation, les divisions au sein des partis bourgeois se traduisent par une floraison de candidats, ou candidats présumés, plus réactionnaires les uns que les autres. Mais cette division-là ne profite pas aux travailleurs, bien au contraire. Elle se traduit par une surenchère de propositions anti-sociales, et la focalisation sur la question de l’immigration, qui sert à masquer le développement de la pauvreté et la politique anti sociale du gouvernement. C’est ainsi que nombre de chaînes de télévision, occupées à promouvoir soir après soir le virtuel candidat Zemmour, se gardent bien d’informer par exemple sur la suppression de 5700 lits d’hôpitaux pour la seule année 2020.
La campagne médiatique pro-Zemmour sert ainsi à aiguillonner tous les candidats potentiels de la bourgeoisie. Ainsi Valérie Pécresse propose désormais « l’immigration choisie » tout à fait conforme aux besoins du patronat. Chaque année, le Parlement devrait voter des quotas d’immigration, par pays et par type d’immigration en même temps que les expulsions devraient être exécutées « sans délai », l’objectif étant de « réduire de moitié le nombre de visas délivrés ».
Quant à Macron lui-même, qui reste le candidat préféré de la bourgeoise, il participe au développement de cette atmosphère hostile aux migrants, comme en témoigne le discours qu’il tint au moment du retrait américain de Kaboul : le danger qui menaçait, selon lui, était l’arrivée de nombre de réfugiés Afghans…
Pour construire un front de classe
Sauf surgissement d’un puissant mouvement spontané, la situation est donc difficile pour les travailleurs, qui sont politiquement désarmés pour faire face à la politique de Macron, et désarmés pour dégager une alternative ouvrière à l’occasion des prochaines élections.
Certes, un tel surgissement demeure possible, comme l’ont montré (dans la confusion) le mouvement des gilets jaunes puis, à partir de juillet 2021, les manifestations hebdomadaires pour le retrait du pass sanitaire et le retrait de l’obligation vaccinale imposée aux personnels soignants. Mais un tel mouvement ne surgit jamais de rien : il apparaît dans une situation spécifique, et il est nourri de multiples combats politiques.
Il peut bousculer les appareils syndicaux et politiques, mais il peut être aussi cadenassé et désarmé par ces mêmes appareils. On l’a bien vu avec les manifestations contre le pass sanitaire et l’obligation vaccinale : par exemple, certaines syndicats CGT ont été conduits à s’engager dans ces manifestations mais la direction confédérale a refusé de s’y engager car, selon Philippe Martinez, le dirigeant confédéral, « ces manifestations du samedi étaient des mobilisations très hétéroclites (…) Quelques-uns de nos syndicats et unions départementales se sont mobilisés. Mais dans nombre d’endroits se trouvaient des gens que la CGT ne peut pas fréquenter » (Les Échos du 5 octobre).
Or, partout, chaque semaine, la CGT avec les autres directions syndicales avaient parfaitement la possibilité d’aider à organiser ces manifestations pour qu’elles ne soient pas parasitées par des groupuscules d’extrême droite. Mais cela ne fut fait qu’exceptionnellement. Et il est significatif que dans cette longue interview, Philippe Martinez n’ait pas un mot pour exiger le retrait du pass sanitaire (dont la CGT dit qu’elle est « contre »), la pleine réintégration des personnels sanctionnés pour refus de vaccination, l’abrogation de la loi du 5 août et le retrait de la nouvelle loi visant à prolonger les mesures d’exception. Il préfère au contraire rassurer le journaliste du quotidien patronal : « On défend la vaccination (…) mais il faut convaincre plutôt que contraindre ».
Surmonter ce type d’entrave à la mobilisation, préparer un nouveau surgissement du mouvement spontané, faire en sorte qu’il s’organise sur des bases ouvrières, implique aujourd’hui de combattre pour que les organisations de mouvement ouvrier, en particulier les syndicats, rompent avec toute forme de collaboration avec le gouvernement et reprennent à leur compte des revendications claires correspondant aux besoins des salariés. Et de s’organiser sur cet objectif.
C’est ainsi que peuvent et doivent être mis en avant des mots d’ordre tels que, entre autres exemples :
Défense des libertés démocratiques ; abrogation de toutes les lois liberticides à commencer par les lois dites « d’urgence sanitaire » !
Régularisation de tous les sans-papiers, liberté de circulation et d’installation pour tous !
Défense inconditionnelle du statut des fonctionnaires : abrogation de tous les textes qui mettent en cause les garanties statutaires ; hausse massive du point d’indice et abrogation des mesures d’individualisation !
Abrogation de toutes mesures qui mettent en cause depuis 1945 la sécurité sociale ! Arrêt immédiat des exonérations de cotisations sociales (lesquelles sont un salaire mutualisé, ce que les patrons appellent charges sociales) !
Combattre sur cette perspective implique d’imposer la rupture des organisations qui se réclament de la classe ouvrière avec toutes les instances de « dialogue social », la rupture avec Macron et son gouvernement.
C’est par un tel combat que les personnels du CHU de Martinique mobilisés contre l’obligation vaccinale - anti Covid - viennent d’imposer à la direction la possibilité de « rejoindre leur service quelle que soit leur situation au regard du passe sanitaire ».