L’impérialisme américain redéfinit sa politique extérieure
Lorsque les médias expliquent aujourd’hui les raisons de l’intervention américaine en Afghanistan il y a vingt ans, ils se contentent généralement d’évoquer les attentats terroristes du 11 septembre et en particulier la destruction de deux tours à New-York. Comme si l’intervention américaine avait été simplement la riposte militaire immédiate à une agression venue d’Afghanistan.
Or cette riposte s’inscrivait dans le cadre d’une stratégie cadrant la politique étrangère américaine, stratégie qui prend fin, d’une certaine manière, avec le discours de Joe Biden le 31 août 2021.
Les années de Guerre froide (de 1945/47 à 1991)
Durant les années de « guerre froide », la politique étrangère américaine fut ordonnée par la stratégie du « containment » initiée par le président Harry S. Truman en mars 1947 : c’est une politique d’endiguement de l’URSS, qui justifie l’ingérence des État-Unis dans les affaires des autres pays.
Cette stratégie est appliquée durant plus de quatre décennies.
Elle perd sa raison d’être avec la réunification de l’Allemagne (1989 -1991) et la dissolution de l’URSS le 26 décembre 1991.
Avec la dislocation de l’URSS et la restauration du capitalisme en Russie (et les États issus de l’ancienne union) les États-Unis sont devenus la puissance dominante de la planète. La seule puissance mondiale.
Dominante mais non hégémonique. Si l’impérialisme américain est incontestablement hégémonique sur le plan militaire, il ne l’est pas sur le plan économique et financier, ni donc sur le plan politique.
1991 : une première guerre contre l’Irak qui ne règle rien pour les États-Unis
C’est ainsi que son emprise sur le Moyen-Orient s’était affaiblie en 1979 avec la révolution iranienne qui a chassé le Shah d’Iran, un allié décisif pour les États-Unis. Les États-Unis poussèrent l’Irak à la guerre contre l’Iran. Le pouvoir des mollahs sur l’Iran en fut conforté. L’Irak, ruinée, décida de récupérer le Koweït, un état créé par l’impérialisme anglais pour ses réserves pétrolières. L’invasion du Koweït offrit le prétexte à l’intervention américaine de 1991.
Cette première guerre contre l’Irak de Saddam Hussein permit aux États-Unis de réaffirmer leur rôle dans la région, en particulier avec l’implantation d’importantes bases militaires.
Et, en Palestine, l’Intifada reflua. En septembre 1993, l’OLP, avec Arafat, s’appuya sur ce reflux pour signer l’accord de Washington, trahissant les masses palestiniennes.
Mais sur le fond, cette guerre ne règle rien pour les États-Unis : Saddam Hussein, dont l’armée a été chassée du Koweït, persiste à tenir tête aux États-Unis. Pour les religieux au pouvoir en Iran, les États-Unis demeurent « le grand Satan ». Quant aux masses palestiniennes, si la défaite irakienne a été ressentie comme une défaite, elles n’ont pas pour autant renoncé à leurs revendications historiques.
Avec la fin de la guerre froide s’ouvre une période que les États-Unis vont mettre à profit pour tenter d’affirmer leur hégémonie sur tous les plans, en particulier au Moyen-Orient.
1994 : « A National Strategy of Engagement and Enlargement »
La dislocation de l’URSS au début des années 90 et la réintroduction du capitalisme en Russie conduisent les États-Unis à redéfinir leur politique étrangère. Il s’agira désormais d’une nouvelle stratégie, celle de l’« engagement and enlargement ».
Dans un texte de la Maison Blanche intitulé « A National Strategy of Engagement and Enlargement » et publié en 1994 sous la première présidence Clinton, il est affirmé : « Nous devons exercer notre leadership mondial ». L’objectif est d’élargir à l’ensemble de la planète la « communauté des démocraties de marché respectueuses des droits de l’Homme et de l’environnement ». La nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis est « fondée sur la conviction que la ligne qui sépare les politiques intérieure et extérieure disparaît progressivement ».
Ce que sous-entend cette dernière affirmation, c’est que la lutte contre l’URSS avait justifié de soutenir les pires des dictatures, et d’organiser la liquidation de régimes respectueux de la démocratie bourgeoise (comme au Guatemala en 1954 ou au Chili en 1973) ; mais que désormais l’intérêt des États-Unis pouvait être de promouvoir, dans certains cas, des régimes dits « démocratiques ».
La doctrine américaine de sécurité comportera dès lors trois axes solidaires :
1) « Un volet sécurité avec ses aspects militaires classiques (…) auxquels sont ajoutées de nouvelles missions » telles que le combat contre le terrorisme ;
2) Un volet prospérité « qui outre le renforcement de l’économie interne, repose essentiellement sur trois piliers : l’ouverture au pas de charge des marchés étrangers, la coordination macro-économique sous le leadership américain et la promotion partout dans le monde, du « développement durable » ;
3) Un volet « démocratie » : non pas une croisade démocratique, (mais) un engagement pragmatique pour la liberté s’enracinant là où cela nous aidera le plus ».
Cette nouvelle stratégie fixe le cadre de la politique extérieure américaine pour plus de vingt années et ne sera officiellement abandonnée que le 31 août 2021, au lendemain du retrait américain d’Afghanistan.
En attendant, la fraction néo-conservatrice de la bourgeoisie américaine entend concrétiser à sa manière cette politique. Elle considère que la politique de Clinton en Irak qui se « contente » de lancer des bombardements épisodiques sur l’Irak doit être abandonnée. Ces néoconservateurs proposent la réorganisation de tout le Proche et le Moyen-Orient, ce qui passe par le renversement de Saddam Hussein ; il faut « une stratégie d’ensemble, combinée avec des mesures concrètes pour se débarrasser de Saddam ».
En janvier 1998, D. Rumsfeld rédigea, avec d’autres conservateurs, une lettre ouverte au président Clinton, appelant à modifier l’orientation générale de la politique irakienne des États-Unis, et à abandonner le containment pour une attitude plus offensive visant à « chasser Saddam Hussein et son clan du pouvoir ».
L’arrivée au pouvoir, en janvier 2001, du républicain George W. Bush, accroît de manière décisive leur influence. Nombre d’auteurs de ce plan se retrouvent aux postes les plus élevés de l’État.
Dès le 1er février 2001, soit 8 mois avant les attentats du 11 septembre, le Conseil national de sécurité de la Maison-Blanche discutait d’un « Plan pour l’Irak après Saddam ». Selon un membre du CNS, « Bush voulait chasser Saddam Hussein à n’importe quel prix ».
Une partie de l’appareil politique et militaire freine ce projet. Une difficulté est de réaliser une coalition internationale sur cet objectif comme cela avait été fait en 1991 lors de la première guerre contre l’Irak.
11 septembre 2001 : le contingent réalise le nécessaire
Les attentats du 11 septembre vont offrir l’occasion espérée.
Ce jour là, le premier réflexe de George W. Bush fut (en interne) d’accuser l’Irak et Saddam Hussein. Ses conseillers durent le re-briefer… Car le groupe d’Oussama ben Laden (considéré rapidement comme l’auteur des attentats) est installé en Afghanistan, protégé par le gouvernement des talibans. Et ceux-ci sont protégés par les Services de l’État pakistanais… lequel est un allié des États-Unis.
De ce fait, durant plusieurs jours, rien n’indiqua avec certitude quel serait, ou seraient, le ou les pays visés. L’Afghanistan ? Le Pakistan ? L’Irak ? D’autres sont évoqués, tels le Soudan ou l’Iran. Dans son édition du 16 septembre, le Monde titre encore « pourquoi les États-Unis ont du mal à choisir les cibles d’une réplique ».
Parrain de l’Afghanistan, certainement informé de la préparation des attentats, le Pakistan est menacé. La position américaine est nette : « vous êtes avec nous ou contre nous. Vous faites partie de notre équipe ou non. Il n’y aura pas de zone grise ». Autrement dit, et plus brutalement, par un vice secrétaire d’État aux affaires étrangères : « Dites-nous si vous faites partie de nos amis ou de nos ennemis, dites-nous si vous voulez vivre au XXIe siècle ou bien à l’âge de pierre ».
Le gouvernement pakistanais est sommé de satisfaire dix-huit exigences américaines. Il doit ainsi ouvrir son espace aérien aux États-Unis, lui offrir des bases, ouvrir ses services de renseignements. Pour le Pakistan, le virage est difficile à négocier : le régime déjà fragile peut s’effondrer, mais s’il n’abandonne pas les talibans, qu’il a formés et équipés, il sera la première cible américaine.
Le Pakistan se soumet. Le 17 septembre, il donne trois jours aux talibans pour livrer Ben Laden.
Mais les talibans au pouvoir à Kaboul refusent de se plier à l’ultimatum. L’Afghanistan sera donc la première cible de l’impérialisme américain. C’est une sorte de « détour » obligé de la politique américaine. Mais pour Saddam Hussein, ce n’est que partie remise.
Automne 2001 : guerre en Afghanistan
Le choix de viser l’Afghanistan, abritant ben Laden, permet de souder une vaste coalition derrière les États-Unis. Durant la première quinzaine d’octobre 2001, les opérations militaires s’engagent. L’objectif immédiat de l’impérialisme : démontrer que l’on ne s’attaque pas impunément aux États-Unis, s’assurer le contrôle de l’Afghanistan (Accessoirement d’un accès aux sources énergétiques d’Asie centrale).
L’objectif va au-delà de l’opération militaire : Joe Biden aura beau affirmer (le 9 juillet 2021) que : « We did not go to Afghanistan to nation build » (Nous ne sommes pas allés en Afghanistan pour reconstruire un pays), il sait que ce n’est pas exact. En 2001, il était président de la Commission des affaires étrangères du Sénat. Et il sait que les Américains, lors d’une conférence internationale, à Bonn, en décembre 2001, se sont engagés publiquement à « reconstruire, démocratiser et développer » l’Afghanistan.
Mais plus encore : au-delà de l’Afghanistan, il s’agit de réorganiser l’ensemble du contrôle exercé par les États-Unis sur le Proche et Moyen-Orient, d’en finir notamment avec la résistance du peuple palestinien à l’ouest de cette zone, ainsi qu’avec des régimes incontrôlés tel celui de Saddam Hussein. L’opération en Afghanistan, sur le flanc est, ne doit être qu’une première étape, une « opportunité » que dicte la situation.
18 mois plus tard, est engagée en Irak l’offensive dont rêvait Bush : chasser Saddam Hussein du pouvoir, instaurer un autre régime conforme aux intérêts américains. Il ne s’agit donc pas seulement, en Afghanistan et en Irak, d’opérations militaires punitives, mais d’une volonté de remodeler politiquement ces pays, dans le cadre d’un projet général qui va se poursuivre 20 ans durant.
2003 : seconde guerre contre l’Irak
Dès septembre 2001, la préparation d’une nouvelle guerre contre l‘Irak est engagée.
Une semaine après les attentats de 2001, le président Bush signa un plan secret pour la guerre en Afghanistan qui enjoignait également au département de la Défense de commencer à planifier une guerre contre l’Irak (Glenn Kessler, « U.S. Decision On Irak Has Puzzling Past », Washington Post, 12/01/2003).
En septembre 2002, Bush déclare « Les États-Unis s’efforceront constamment de rallier l’appui de la communauté internationale, mais n’hésiteront pas à agir seuls, s’il le faut, pour exercer leur droit de légitime défense en agissant préventivement contre ces terroristes ».
« L’appui » que Bush s’efforce alors d’obtenir concerne la nouvelle guerre qui se prépare contre l’Irak, et qui sera lancée le 20 mars 2003 sous le prétexte (mensonger) que l’Irak détenait des armes de destruction massive. Cette guerre « préventive » prétendait protéger Israël des menaces que faisait peser l’Irak.
L’armée américaine occupe le pays avec l’objectif affiché de bâtir un état « démocratique ». Cette fois-ci, l’appareil d’état irakien est démantelé. Saddam Hussein est arrêté, et pendu. Il s’en suit des années de combats entre milices irakiennes et troupes américaines maintenant à bout de bras un nouveau gouvernement fantoche. Écraser l’armée irakienne était une chose. Reconstruire un état « démocratique » et qui soit à sa botte est une tout autre affaire !
Remodelage du Grand Moyen-Orient
Mais les néo-conservateurs ne doutent alors de rien : progressivement, en 2003-2004, est énoncée la doctrine de remodelage du grand Moyen-Orient (GMO).
Cette doctrine fut évoquée devant un parterre de néoconservateurs de l’American Enterprise Institute (AEI) le 26 février 2003, puis développée le 9 mai 2003 à l’université de Caroline du sud. Elle visait un vaste ensemble d’États très divers (les 22 pays de la Ligue des
États Arabes et 5 États non arabes) s’étendant du Pakistan à la Mauritanie, dont il s’agit de transformer le paysage politique et économique.
Mais l’enlisement de l’armée américaine en Afghanistan et en Irak allait faire apparaître ce vaste plan comme une chimère.
Le printemps arabe met en échec la politique américaine
La vague révolutionnaire de 2011 en Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, Yémen… bousculait les gouvernements de la région, et en chassait plusieurs, dont des amis des États-Unis (en Égypte) ou de la France (en Tunisie). Le « Printemps arabe » révéla ce que valaient les discours américains (et français) en faveur de la « démocratie » : un maquillage de leurs intérêts. Il n’était plus question de « démocratie » ni de grand remodelage.
C’est ainsi que le très démocrate Obama arrivé pouvoir en 2009 traça en 2012 une « ligne rouge » à ne pas franchir en Syrie. Mais le bourreau du peuple syrien, Bachar al Assad, utilisant de nouveau du gaz contre les civils (août 2013), put franchir en toute impunité cette ligne rouge : l’impérialisme américain (et à sa suite François Hollande) tourna le dos à sa menace d’intervention contre le dictateur syrien.
La « National Strategy of Engagement and Enlargement » était morte.
Il fallut attendre encore près de dix ans pour l’enterrer.
Un tournant laborieux
Le Président Barack Obama (2009 – 2017) flanqué du vice-président Joe Biden entreprit de réorienter la politique extérieure vers le Pacifique afin de faire face à une menace grandissante, celle de la Chine. Celle-ci s’était d’abord insérée dans le marché mondial en même temps qu’elle avait entrepris de développer le capitalisme chinois. D’immenses quantités de capitaux avaient été accumulées, permettant désormais des investissements chinois à l’étranger et une politique étrangère plus offensive : la menace devenait sérieuse.
Cela conduisait à mettre en berne les grands projets offensifs au Proche et Moyen-Orient.
Pourtant, Barack Obama, élu après avoir fait campagne sur la fin des guerres d’Irak et d’Afghanistan, annonce fin 2009 l’envoi de 30 000 soldats supplémentaires. Les chefs de l’armée américaine l’exigent. À la mi-2011, plus de 150 000 soldats étrangers sont présents en Afghanistan, dont 100 000 Américains.
Mais l’objectif de retrait est maintenu. Dans un discours du 16 décembre 2010, Obama affirme qu’« il ne s’agit pas de faire du nation-building, car ce sont les Afghans qui doivent construire leur nation ».
Le 2 mai 2011, Oussama ben Laden, qui s’abritait au Pakistan, est tué par les forces spéciales américaines. Obama peut alors affirmer que l’objectif est atteint et annoncer le 22 juin que l’armée américaine doit se retirer d’ici 2014. Cette décision est en partie mise en œuvre à partir de juillet 2011,
Mais un fort contingent demeure sur place (58 000 soldats étrangers, dont 38 000 américains). Quant aux troupes installées en Irak, leur retrait est réel, mais incomplet : 100 000 soldats sont retirés en 2009-2010 (les unités de combat) mais 35 à 50 000 demeurent en Irak.
De facto, cette présence militaire maintenue est en contradiction avec le discours. « Nous ne pouvons pas aller reconstruire chaque pays en crise » déclare-t-il ainsi le 12 janvier 2016 « Ce n’est pas ça, le leadership. C’est la leçon du Vietnam, c’est la leçon de l’Irak, et il faudrait enfin la retenir ».
Tout au plus diminua-t-il la pression vis-à-vis de l’Iran en obtenant un accord international avec l’Iran, lequel renonçait à son projet d’armement nucléaire.
Arrivé au pouvoir en janvier 2017, Trump prétendit achever ce qu’Obama n’avait su faire : ramener les boys à la maison, mettre fin à l’occupation de l’Afghanistan.
Mais il commença, la même année 2017, par renvoyer de nouveaux renforts américains.
Puis, il engagea des négociations avec les chefs talibans dont les groupes armés combattaient contre le gouvernement de Kaboul. L’accord signé à Doha prévoyait un retrait des troupes américaines le 1er mai 2021 : il appartenait à Biden de le mettre en œuvre.
En même temps, Trump n’avait pas renoncé à une politique agressive au Moyen-Orient et avait déchiré l’accord conclu avec l’Iran. Quant à l’Irak, Trump ne procède qu’à un retrait partiel (réduisant de moitié l’effectif de 5000 soldats encore présents).
L’essentiel du tournant reste à accomplir. Ce qu’allait faire Biden en Afghanistan à l’été 2021.
Cela ne préjuge pas de l’avenir. Ainsi, il est important de constater que l’impérialisme américain ne prévoit pas de se retirer d’Irak. À Washington, il y a un consensus entre Démocrates et Républicains sur ce point. Et, le 26 juillet 2021, un accord est signé entre le Président américain et le Premier ministre irakien mettant fin à la mission de combat des troupes américaines mais maintenant des soldats américains sous couvert de « formation, conseil, assistance et partage de renseignement ».
Quant à la reprise des discussions avec l’Iran, rien ne dit qu’elles aboutiront sur un accord.
Plus encore : renoncer à l’ancienne stratégie, renoncer à faire du « nation building », faire de la rivalité avec la Chine la question centrale, n’ouvre en soi aucune perspective. Cela ne définit pas vraiment une stratégie.
Mais plusieurs initiatives prises par Biden indiquent dans quel sens peut s’affirmer une stratégie.
Souder un bloc d’alliances derrière les États-Unis
Face à la Chine, Washington cherche à conforter ses alliances.
Le 10 juin, Biden ouvre une série de sommets en Europe.
Se tient d’abord un G7, du 10 au 13 juin, puis une réunion de l’OTAN, et une rencontre avec les dirigeants de l’Union européenne le 15 juin.
L’objectif de Joe Biden est de constituer un front anti chinois. Ce que ne veulent ni Berlin ni Paris, qui veulent préserver le « dialogue » avec la Chine pour préserver leurs exportations.
Lors du G7, Biden fait quelques menues concessions sur le plan économique, en échange de quoi il obtient une très longue déclaration conforme à ses objectifs, qui indique :
« Nous allons promouvoir nos valeurs, notamment en demandant à la Chine de respecter les droits de la personne et les libertés fondamentales en particulier en ce qui concerne le Xinjiang et les droits, les libertés et le haut degré d’autonomie de Hong Kong inscrits dans la Déclaration commune sino-britannique et la loi fondamentale ».
Il précise : « Nous demeurons vivement préoccupés par la situation dans les mers de Chine orientale et méridionale et nous nous opposons fermement à toute tentative unilatérale de changer le statu quo et de faire élever les tensions », ce qui concerne notamment Taïwan.
Puis, le 14 juin, la déclaration de l’OTAN réaffirme d’abord ses positions antérieures face à la Russie, se disant préoccupée par « la menace grandissante » de son renforcement militaire.
Mais – élément nouveau - deux longs paragraphes sont consacrés à la Chine, dont « les ambitions déclarées et son comportement affirmé présentent des défis systémiques à l’ordre international fondé sur des règles et dans des domaines pertinents pour la sécurité de l’alliance ».
Formellement, les États-Unis ont donc obtenu gain de cause. Macron, comme Merkel, ont dû donner leur accord à ces positions. Mais Macron s’empresse d’indiquer que son accord ne vaut pas grand-chose.
Déjà, le 10 juin, il s’était montré sarcastique à l’égard de Washington qui demandait que ses « alliés » fassent bloc contre la Chine, et en particulier que l’OTAN (traité concernant l’Atlantique Nord) soit partie prenante de ce bloc contre les ambitions militaires chinoises dans le Pacifique : « pour ma part, la Chine ne fait pas partie de la géographie atlantique, ou alors ma carte a un problème ».
Puis, aussitôt signée la déclaration du G7, il affirme : « le G7 n’est pas un club hostile à la Chine ».
Derrière ces déclarations, il y a le patronat français qui entend préserver ses parts de marchés en Chine. Cet enjeu est clairement explicité par un éditorial des Échos le mardi 15 juin : « la croisade » de Biden n’est pas « altruiste » il s’agit « d’empêcher la Chine d’accéder au rang de première puissance économique du monde… À l’Europe de rester lucide… et de garder son indépendance… cela semble d’autant plus nécessaire que les États-Unis ont peu d’égards pour leurs alliés occidentaux. L’Europe n’a pas à payer le prix de cette nouvelle guerre froide entre Washington et Pékin. Elle peut d’autant moins se le permettre que Pékin est devenu son premier partenaire commercial l’an dernier, devant Washington ».
Dans ces conditions, le gouvernement français apparaît comme un allié peu fiable face à la Chine. Macron allait en payer le prix deux mois après.
Quand Biden et Macron jouent à la bataille navale
Face à la Chine, Washington ne peut accepter de faux amis. La question est trop importante. C’est d’ailleurs, aux États-Unis, le seul point d’accord entre Démocrates et Républicains. Biden a ainsi préservé les lourdes taxes imposées par Trump sur les importations chinoises.
Macron s’était imaginé que le capitalisme français pouvait se déployer dans le sud Pacifique en faisant fi des intérêts américains. Il était très fier d’avoir remporté en Australie – un vieil allié des États-Unis - le « contrat du siècle » avec la vente de 12 sous marins, pour 56 milliards d’euros.
Le 15 septembre, la réponse américaine tombait : sous marins français ? Coulés !
Ce jour là, lors d’une conférence de presse virtuelle, Joe Biden ainsi que les Premiers ministres britannique et australien, annoncent la création d’un pacte de sécurité nommé AUKUS entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. Il s’agit d’un large partenariat en matière de sécurité, de cyberdéfense, d’intelligence artificielle et de technologies quantiques, qui est destiné à contrer l’influence de la Chine.
« Il s’agit d’investir dans notre plus grande source de force, nos alliances… Il s’agit de souder les alliés et partenaires actuels de l’Amérique de manière nouvelle et d’amplifier notre capacité à collaborer », explique Joe Biden. Puis Boris Johnson précise : « Le premier objectif de ce partenariat sera d’aider l’Australie à acquérir une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire. »
Pour le gouvernement Français, c’est là « un coup de poignard dans le dos ». Car ce « premier objectif » implique la rupture du contrat passé en 2016 entre une entreprise française (Naval Group) et Canberra, qui prévoyait la livraison de 12 sous-marins non nucléaires, à propulsion diesel-électrique.
Durant quelques semaines, cela tourna à l’incident diplomatique. Puis cela se calma : la France n’avait pas d’autre choix que d’accepter. Quant à Biden, il était déjà passé à l’étape suivante : le 24 septembre à Washington, il réunissait les Premiers ministres australien, indien et japonais et de quelques autres pays pour relancer un format diplomatique regroupant dix pays, le « Quad », qui végétait depuis plusieurs années.
Mais dans cet épisode de l’AUKUS, l’essentiel n’était pas la gifle commerciale donnée à la France. L’essentiel tenait dans la volonté américaine d’organiser un bloc militaire, diplomatique et économique face à la Chine.
Un bloc assujetti aux États-Unis
De fait, au-delà de l’enjeu commercial, il y a un enjeu militaire que précise Scott Morrison, Premier ministre australien : « La décision que nous avons prise n’est pas un changement d’avis, c’est un changement de besoin ». Or des sous-marins à propulsion nucléaire, sont jugés plus endurants et plus furtifs. Basés dans un port australien, ils peuvent par exemple aller passer de longues semaines au large de Taïwan. Si « besoin » nouveau il y a, c’est de participer à la pression militaire organisée vis-à-vis de la Chine.
C’est ainsi, en combinant pressions diplomatiques, économiques et militaires, que commence à se dessiner la nouvelle stratégie américaine face à la Chine.