L’Afghanistan avant le 11 septembre 2001
Ce que l’on appelle l’Afghanistan est né au XVIIIe siècle de la décomposition des empires persan et moghol. Des confédérations tribales pachtounes s’imposent alors aux populations voisines : Tadjiks, Ouzbeks, Hazaras. Cette région est très vite convoitée par l’impérialisme anglais qui en mesure l’importance à la fois comme verrou et comme carrefour.
Mais deux expéditions militaires, l’une en 1839-1842, l’autre en 1878-1880, seront des échecs cinglants. Ne pouvant directement coloniser cette région, l’impérialisme anglais va néanmoins la maintenir sous protectorat, et ceci jusqu’en 1919.
À la fin du XIXe siècle, l’Afghanistan est stabilisé par les empires anglais et russe dans des frontières qui en font un « État tampon ». Ces frontières divisent différents peuples (tels les Pachtounes qui se retrouvent de part et d’autre de la frontière Sud-Est).
En 1919, en écho de la révolution russe d’Octobre 1917, de brefs affrontements chassent le protectorat britannique. Une monarchie prend alors le pouvoir et tente d’endiguer et de canaliser l’onde de choc révolutionnaire. Sur le modèle du kémalisme turc, l’État dont la construction avait commencé à la fin du XIXe siècle est modernisé afin de permettre le développement du capitalisme. De manière analogue à la Turquie, cette volonté de construction d’un État bourgeois suscite la réaction des couches féodales et d’une opposition religieuse. La révolte tribale de 1929 entraîne l’abdication du roi pachtoune remplacé par un « fondamentaliste » tadjik.
En 1930, une seconde dynastie pachtoune prend le pouvoir. Jusqu’en 1945, ce pouvoir va observer, sur le plan international, une stricte neutralité, afin de préserver une certaine autonomie entre l’empire anglais et l’URSS. Cette « neutralité » de l’État féodalo-bourgeois afghan est facilitée par la bureaucratie stalinienne ; pour celle-ci, il est non seulement exclu d’aider au développement de mouvements révolutionnaires, mais il est nécessaire de liquider de tels mouvements susceptibles d’avoir des prolongements dans les républiques du sud de l’URSS. Cette politique n’exclut pas des interventions, militaires notamment, si la préservation des intérêts de la bureaucratie l’exige.
Quant à l’Empire anglais, il est omniprésent dans la région : il a le contrôle exclusif de tout le sous-continent Indien, de la Birmanie à l’Est jusqu’à la frontière sud et sud-est de l’Afghanistan à l’Ouest (la partition postcoloniale entre l’Inde et le Pakistan n’est pas alors réalisée). Il exerce en outre une vigoureuse tutelle, à l’ouest de l’Afghanistan, sur la Perse (au-delà, l’Empire britannique se développe sur tout le Proche- Orient, l’Égypte et une grande part de l’Afrique).
Iran, Afghanistan : des liens étroits
Coincés entre l’Empire russe (jusqu’en 1917) puis l’URSS d’une part et l’Empire anglais d’autre part, soumis aux flux et reflux de la révolution russe, ces deux pays ont eu des développements politiques souvent liés. En outre, une partie des populations d’Afghanistan utilise la même langue qu’en Perse, pays où une nouvelle dynastie –celle de Pahlévi- prend le pouvoir en 1925.
Cette dynastie, qui entreprend une modernisation extrêmement limitée de l’État et sans conflits avec le clergé, décide en 1935 que la Perse devient « l’Iran ».
En 1940, le régime iranien se déclare « neutre » et, le 25 août 1941, les armées anglaises et russes envahissent conjointement l’Iran.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, une vague révolutionnaire mondiale se développe, les empires coloniaux se disloquent.
En Iran, la situation est explosive et c’est comme sous-produit d’une mobilisation révolutionnaire qu’est mis en place le régime de Mossadegh, premier ministre en mars 1951. Le 15 mars est votée la nationalisation du pétrole à la grande colère des compagnies anglaises et américaines. Cette mobilisation est disloquée par les agents de la bureaucratie stalinienne, ouvrant la voie à l’offensive de la CIA. Celle-ci organise deux coups d’État en août 1953, et met en place un régime encadré par 30 000 conseillers militaires américains. Vingt-cinq ans durant, l’Iran devient le « gendarme du golfe », une redoutable puissance militaire appuyée sur un régime policier impitoyable. L’Iran est alors le pilier de l’ordre impérialiste pour tout le Proche et le Moyen-Orient.
Dans cette situation, la monarchie afghane continue à afficher sa « neutralité » internationale pour mieux préserver les intérêts des féodaux et grands propriétaires fonciers ainsi que ceux des commerçants urbains, réprimant des révoltes tribales au début des années cinquante, faisant appel à des conseillers militaires russes à partir de 1955. En 1966 est proclamée une monarchie dite « constitutionnelle », avec un Parlement…et l’interdiction de tout parti politique. Néanmoins des groupes d’oppositions se développent, inféodés aux bureaucraties de Moscou ou de Pékin, ou se réclament de l’Islam. (C’est durant ces années là — notamment en 1968-69 — que des mobilisations à caractère révolutionnaire se développent au Pakistan, réprimées durement par l’armée.)
En 1973, pour tenter de contenir les contradictions qui mûrissent, est organisé (avec le soutien armé russe) un coup d’État par le prince Mohammad Daoud qui instaure un régime dictatorial baptisé « République », s’alignant d’abord sur Moscou puis sur l’Iran et le Pakistan.
1977-1979 : de nouveau, la révolution prolétarienne
C’est en Iran, où existent un réel prolétariat et une petite bourgeoisie urbaine, que de nouveau jaillit la révolution : en novembre 1977 éclatent des manifestations d’étudiants ; puis en 1978, des manifestations se développent contre le régime du Shah, jusqu’au « vendredi noir » du 8 septembre, où plus de mille manifestants sont tués. Le 31 octobre, les travailleurs du pétrole engagent la grève.
En Afghanistan, dans le même temps, la crise s’accélère. La bureaucratie du Kremlin impose la réunification des deux fractions du PDPA (parti communiste Afghan). Le 27 avril 1978, nouveau coup d’État, Daoud est assassiné. Le nouveau gouvernement dirigé par Mohammed Tarik proclame la « République démocratique d’Afghanistan » faisant allégeance à la bureaucratie de l’URSS. Un certain nombre de réformes doivent être concédées, mais elles ne vont pas, quant au fond, beaucoup plus loin que les tentatives antérieures, de type kémaliste, de moderniser l’État. En revanche, elles suscitent, une fois encore, la révolte des couches les plus réactionnaires soutenues par la CIA.
L’année 1979 est décisive. En Iran, le régime du Shah s’effondre. C’est la révolte prolétarienne qui déferle, mais dépourvue de parti révolutionnaire et désorientée par ceux qui, tel le Parti « communiste » iranien, combattent pour le maintien d’un état bourgeois, cette révolution est canalisée puis dévoyée par le clergé. Le premier février 1979, l’Ayatollah Khomeiny revient en Iran. Le régime mis en place par les Ayatollah va rapidement éliminer toute opposition.
Cela ne suffit pas. En Irak, le 16 juillet 1979 Hussein prend le pouvoir et épure le parti Baas. Il a semble-t-il, le soutien des États-Unis. Une intervention contre l’Iran se prépare.
En Afghanistan aussi une intervention devient nécessaire : la révolution qui a éclaté en Iran rencontre un écho à Kaboul, et dans les républiques du sud de l’URSS. C’est ce qui détermine la bureaucratie du Kremlin lorsqu’elle décide, « à la demande » du gouvernement de Kaboul, d’une intervention militaire. Le 27 décembre 1979, cent mille soldats russes envahissent l’Afghanistan.
En Irak, dix mois plus tard, le 17 septembre 1980, en accord avec les impérialismes américain, anglais et français, Saddam Hussein engage l’armée irakienne contre l’Iran.
Offensives contre-révolutionnaires
En Afghanistan, la résistance des religieux et des couches féodales est, via le Pakistan, financée et équipée par la CIA qui veut faire de cette guerre le « Vietnam » de l’armée russe. Dans de nombreuses régions, la guérilla des moudjahidines trouve un appui dans une partie de la population. La résistance se développe contre l’armée russe, armée d’occupation qui se décompose.
À Moscou, Gorbatchev, élu secrétaire général en mars 1985, s’engage dans la politique dite de « règlement des conflits régionaux » dictée par l’impérialisme américain. Dès 1986, il décide du principe du retrait de l’armée russe. Le 4 mars 1986, le chef de la police politique, Najibullah, est nommé à la tête du PDPA, le chef de l’État démissionne.
En janvier 1987, Najibullah propose la « réconciliation nationale ». Mais les chefs des moudjahidines exigent le retrait sans condition de l’armée russe.
Ce retrait s’achève le 15 février 1989, formalisé par les accords de Genève.
Durant cette même décennie, la guerre va faire rage entre l’Irak et l’Iran. La résistance de l’Iran est payée du « sacrifice » d’innombrables « vagues de soldats », enfants compris envoyés en première ligne pour « déminer » le terrain. En août 1988, l’impérialisme américain qui redoute la victoire de l’Iran impose un cessez-le-feu. Les morts se comptent par millions, l’Irak et l’Iran sont ruinés. En Iran le pouvoir réactionnaire des mollahs est absolu.
Les événements s’enchaînent alors de manière implacable : l’Irak n’a plus d’autre ressource que de tenter de récupérer le Koweït et son pétrole. Informés, les États-Unis laissent faire puis, au lendemain de l’intervention irakienne, le 2 août 1990, les États-Unis engagent l’offensive politique et militaire. Les autres impérialismes sont obligés de participer à cette offensive. L’armée américaine écrase littéralement l’armée irakienne (début 1991) mais laisse Saddam Hussein en place pour faire la police contre les masses irakiennes et kurdes.
Décomposition politique en Afghanistan
À Kaboul, à l’étonnement des dirigeants américains, le régime de Najibullah résiste trois ans après le retrait de l’armée russe, s’appuyant sur ceux qui redoutent le retour au pouvoir du clergé et des couches les plus réactionnaires. La dislocation de l’URSS fin 1991 met fin à cette situation. En avril 1992, le régime de Kaboul s’effondre face à l’alliance passée entre Massoud et d’autres chefs du Nord. Une anarchie totale succède à cet effondrement. Tandis que le nouveau président Rabbeni tente d’instaurer la charia au nom de l’État islamique, les milices rivales se déchirent jusqu’en 1994. Kaboul est en ruines, les morts se comptent par dizaines de milliers. Une telle instabilité interdite aux compagnies américaines toute construction d’oléoduc.
La misère des opprimés ne fait que croître. Les exploiteurs eux-mêmes se plaignent de l’anarchie, des rançons multiples imposées par les groupes armés. Cela explique le « succès » rencontré par les talibans, groupes militaro-religieux formés au Pakistan pour le compte des États-Unis. Ce pouvoir contrôlé par l’État pakistanais garantit ordre et sécurité aux commerçants et chefs féodaux. Les talibans n’ont donc guère de difficulté à s’emparer de l’essentiel du pays de 1994 à 1996.
L’État qu’ils restaurent alors est un État « a minima ». État bourgeois-féodal aux traits ultraréactionnaires et féodaux fortement prononcés ; c’est un État réduit à ses fonctions régaliennes, avec une armée contenant les milices de l’alliance du Nord dans leurs réduits, une police omniprésente tenue par le clergé et une « justice » expéditive. C’est un État qui, de facto, est une excroissance de l’État pakistanais (État bourgeois semi- compradore), de son appareil militaro-policier.
Foncièrement réactionnaire, ce premier régime Taliban accepte d’accueillir une nébuleuse de groupes terroristes, dont Al-Qaïda, se réclamant de l’islam, de la lutte contre les États-Unis.
On connait la suite.