« Il était temps de mettre fin à cette guerre »
Le 31 août, dans les heures qui suivirent le retrait des forces américaines, Biden prend la parole.
D’abord pour justifier une fois encore cette décision de retrait et expliquer les conditions quelque peu chaotiques dans lesquelles s’est achevé ce retrait.
Il rappelle d’abord pourquoi la décision fut prise 20 ans auparavant d’engager cette guerre : « Parce que nous avions été attaqués par Oussama ben Laden et Al-Qaïda le 11 septembre 2001, et qu’ils étaient basés en Afghanistan ».
Puis il y eut « l’exécution d’Oussama ben Laden le 2 mai 2011, il y a plus de dix ans. Al-Qaïda a été décimé. »
Biden fait donc d’abord comme si décimer Al-Qaïda avait été le seul objectif, d’où la conclusion : « Nous avons atteint les objectifs que nous nous étions fixés en Afghanistan il y a plus de dix ans. Puis nous sommes restés dix ans de plus. Il était temps de mettre fin à cette guerre ».
La formule « nous sommes restés dix ans de plus » signifie en réalité : « dix ans de trop ».
De même vaut autocritique l’erreur d’appréciation concernant les capacités de résistance de l’armée et du gouvernement de Kaboul : « Nous supposions que les plus de 300 000 membres des forces de sécurité nationale afghane que nous avions entraînés et équipés lors des deux dernières décennies seraient des adversaires puissants lors des guerres civiles contre les talibans.
Cette supposition, que le gouvernement afghan tiendrait pendant un temps après le désengagement militaire, s’est révélée inexacte ».
Une brève explication est alors esquissée lorsqu’il évoque la fuite du président afghan « au milieu de la corruption et de la malfaisance ». Mais il passe sur le fait que cette corruption avait été alimentée par les masses de dollars déversées par les États-Unis.
Cette introduction revient à reconnaître que la coûteuse construction d’une armée afghane et d’un pouvoir à Kaboul a été un échec.
Mais avant d’élargir son propos, il réaffirme l’objectif américain de sécurité : « Nous continuerons le combat contre le terrorisme en Afghanistan et dans d’autres pays. Mais nous n’avons pas besoin d’une guerre sur le terrain pour cela. Nous avons la capacité de frapper à distance : nous pouvons attaquer les terroristes et atteindre des cibles sans la présence de soldats américains à terre, ou avec très peu, si besoin ».
« Cette décision ne concerne pas uniquement l’Afghanistan »
C’est là un élément essentiel de son discours. C’est en fait toute la stratégie « visant remodeler d’autres pays », le projet de « construction d’une nation » qui est abandonné : « Alors que nous tournons la page sur la politique étrangère qui a guidé notre nation pendant les deux dernières décennies, nous devons tirer des enseignements de nos erreurs.
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Selon moi, deux d’entre elles sont fondamentales. Premièrement, nous devons établir des missions avec des objectifs clairs et atteignables, non pas des objectifs que nous n’atteindrons jamais. Deuxièmement, nous devons rester pleinement concentrés sur l’intérêt de sécurité nationale fondamental des États-Unis d’Amérique.
Cette décision sur l’Afghanistan ne concerne pas uniquement l’Afghanistan. Il s’agit de mettre fin à une ère d’opérations militaires majeures visant à remodeler d’autres pays.
Nous avons vu une mission de lutte contre le terrorisme en Afghanistan, neutraliser les terroristes et arrêter les attaques, se transformer en mission de contre-insurrection et de construction d’une nation pour essayer de créer un Afghanistan démocratique, cohésif et uni, ce qui n’avait jamais été accompli au cours des nombreux siècles de l’histoire de l’Afghanistan.
Tourner la page sur cet état d’esprit et sur ce genre de déploiements militaires à grande échelle nous rendra plus forts et plus efficaces et nous apportera plus de sécurité chez nous ».
Mais il ne s’agit pas seulement pour les États-Unis de renoncer à d’inatteignables objectifs. Il s’agit de dégager les moyens pour se consacrer désormais à l’essentiel : faire face à de nouveaux défis.
« Nouveaux défis dans la compétition pour le XXIe siècle »
Les choses sont dites très clairement par Biden :
« Nous devons comprendre quelque chose d’essentiel : le monde change. Nous sommes entrés dans une compétition sérieuse avec la Chine. Nous sommes face à des défis sur plusieurs fronts concernant la Russie. Nous sommes confrontés à des cyberattaques et à la prolifération nucléaire.
Nous devons consolider la compétitivité américaine pour répondre à ces nouveaux défis dans la compétition pour le XXIe siècle. Et nous pouvons faire les deux : combattre le terrorisme et faire face aux nouvelles menaces présentes aujourd’hui et susceptibles de persister à l’avenir.
Dans cette compétition, la Chine et la Russie n’aimeraient rien de mieux que de voir les États-Unis enlisés dix ans de plus en Afghanistan. »
Ce discours éclaire donc les véritables enjeux que représentait le retrait d’Afghanistan.
En ce sens, il est réducteur d’écrire, comme cela fut fait, que « le retrait d’Afghanistan marque la fin de l’ère post-11 septembre 2001 » (par exemple Le Monde du 23 août).
Ce retrait marque bien plutôt la fin d’une ère ouverte par la dislocation de l’URSS qui fit que les États-Unis se retrouvèrent seule puissance mondiale ; et le début d’une ère nouvelle marquée par la confrontation avec la Chine (et avec la Russie).
Pour autant, renoncer à l’ancienne stratégie afin de faire face aux « nouveaux défis » ne suffit pas à définir une nouvelle stratégie. Tout au plus cela permet-il aux États-Unis de se consacrer plus facilement aux « défis » présents. Sans vision à long terme. Mais cette difficulté est inhérente au capitalisme américain et à ses contradictions.