Crise sanitaire et crise économique en Allemagne
Avec la crise sanitaire, la chancelière Angela Merkel a été remise sur la scène politique. Elle gère la crise en collaboration avec les Länder ; l’Allemagne se prépare donc à lever les restrictions progressivement, profitant d’une situation moins dramatique que les autres pays européens tels que l’Italie, l’Espagne ou bien la France.
Une crise sanitaire mieux maîtrisée ?
L’Allemagne a été exposée au virus, dès janvier en Bavière par un cadre de la compagnie « Webasto », (entreprise sous-traitante de l’automobile) en lien avec la Chine, et lors du Carnaval en Rhénanie-Nord-Westphalie.
Les trois Länder les plus touchés sont La Rhénanie-Nord-Westphalie (Düsseldorf, Dortmund, Cologne), la Bavière (Munich) et le Bade-Wurtemberg (Stuttgart) ; ces trois Länder représentant la moitié de la population allemande.
Les premières mesures de confinement ont été prises à l’échelle de Länder dès le début du mois de mars. Puis elles ont été harmonisées au niveau fédéral le 16 mars. Mais les restrictions sont moins strictes qu’en France. Il est interdit de se regrouper à plus de deux dans l’espace public sauf en famille. Les Allemands ont le droit d’aller à l’extérieur, sans limite de temps et sans justificatif (pas d’autorisation dérogatoire, balade en forêt autorisée…).
Le taux de mortalité dû au Covid-19 est très inférieur à celui de la France ou de l’Italie.
L’Allemagne réalise plus de tests (alors que la France effectuait environ 225 000 tests de dépistage entre le 24 février et le 28 mars, l’Allemagne réalisait entre 300 000 à 500 000 tests hebdomadaires fin mars, selon les annonces du ministre de la santé et prévoit 200 000 tests par jour fin avril).
Le pays possède une industrie pharmaceutique puissante avec une production sur le territoire allemand. Début janvier, peu de temps après la publication de la séquence génétique du nouveau virus, des laboratoires ont développé des systèmes de test pour le diagnostic. Le 1er février, les médecins de ville commençaient à tester les premiers patients.
Le 26 mars, Bosch annonçait avoir développé en seulement six semaines, en partenariat avec le laboratoire britannique Randox Laboratoires, un test ultra-rapide. Totalement automatique, il peut être réalisé sur le lieu de prélèvement et fournit un résultat en deux heures trente.
L’Allemagne possède plus de lits de réanimation (6 lits en soins intensifs contre 3,1 en France pour 1000 habitants), et la densité des hôpitaux est importante. Les hôpitaux n’ont jusqu’alors jamais été saturés. À la fin avril, le Covid-19 a tué 6000 personnes alors qu’on en compte 24 000 en France (27 000 en Italie).
Déconfinement progressif
Les mesures de restrictions ont été assouplies depuis le 20 avril : les magasins, les petits commerces, les librairies, les concessionnaires automobiles, ont rouverts, les commerces d’une surface inférieure à 800 mètres carrés également, les salons de coiffure rouvriront le 4 mai. Coordonnées dans leurs grandes lignes entre régions et État fédéral, les mesures d’assouplissement s’appliquent différemment sur le terrain.
La réouverture des écoles, collèges, lycées doit s’étaler sur plusieurs semaines à partir du 4 mai, sauf en Bavière prévue le 11 mai. La priorité est donnée au passage des examens.
Le 27 avril, l’Institut Robert Koch pour les maladies infectieuses déplorait une progression du taux d’infection à 1, (il était de 0,7 le 17 avril) faisant ainsi craindre l’arrivée d’une deuxième vague. Le gouvernement fédéral et les régions vont refaire le point en vue de décisions attendues pour le 6 mai sur d’éventuelles nouvelles mesures de déconfinement.
En ce qui concerne le traçage des malades du Coronavirus, Berlin a d’abord préparé la phase de distanciation par une application qui s’inspire d’un outil numérique utilisé à Singapour. Il est développé par l’institut Fraunhofer-Heinrich-Herzl (HHI) pour les télécommunications, qui travaille à ce projet avec l’institut Robert Koch, institut responsable des rapports sur la santé.
Puis le gouvernement a changé de projet. Finalement il a opté pour une application utilisant la technologie développée par Google et Apple (fondée sur une solution non centralisée et qui, selon certains, disposerait d’un système d’exploitation plus respectueux de la vie privée).
Le système de santé allemand, un modèle ?
L’Allemagne a connu beaucoup de réformes du système de santé. Avant les réformes, la participation des ménages allemands dans le financement des soins était faible, beaucoup de prestations, comme les consultations ou les médicaments, étaient intégralement en tiers payant.
La première réforme, en 1988-89, a consisté à accroitre la participation financière des patients pour plusieurs postes de dépenses (cures, prothèses dentaires, optique, transports), avec l’introduction d’un ticket modérateur. Dans les années 90, trois lois ont conduit à un encadrement budgétaire strict de l’ensemble des dépenses d’assurance maladie, et la mise en concurrence des caisses d’assurance maladie ; puis à une augmentation des tickets modérateurs et à la mise en place du forfait hospitalier, avec déremboursement de certaines prestations. Dans les années 2000, le financement des hôpitaux a été modifié, des structures de soins intégrées ont été mises en place ; des mesures ont été prises pour limiter les dépenses de médicaments avec notamment l’introduction d’un panier de soins et aussi pour stabiliser les taux de cotisations.
Le paiement des traitements, des hospitalisations est effectué par les patients qui sont ensuite remboursés par leur assureur-maladie et dont le niveau de remboursement dépend donc de la police d’assurance individuelle. Les urgences sont également payantes.
Parmi les 1400 hôpitaux et cliniques du pays, on trouve des hôpitaux publics, détenus par des communes ou des Länder (48% des lits), des établissements privés à but non lucratif détenus par des organismes religieux (33,2%), et des établissements privés lucratifs (18,7%). Les réformes de la grande coalition de 2003 ont conduit à la fermeture de nombreux hôpitaux publics ou à leur transfert au privé, en particulier dans l’est de l’Allemagne. D’importantes mobilisations se sont développées contre les privatisations. Entre 2000 et 2016, l’Allemagne a perdu plus de 30 % de ses hôpitaux publics. Le nombre de cliniques privées a augmenté de 45 % au profit de grands trusts comme Rhön, Hélios ou Sana. Devenus des entreprises, les
hôpitaux se dotent de managers et doivent faire du chiffre au détriment des patients.
Les salaires sont fixés dans chaque hôpital, élargissant la fourchette de la grille des salaires pour les soignants. Tous les employés de la santé ont vu leurs salaires baisser en passant dans le privé. Et la privatisation et l’externalisation ont gravement détérioré les conditions de travail en milieu hospitalier. Il y a depuis une dizaine d’années des campagnes syndicales et des mouvements de grève.
Avant la crise du Covid, le système allemand faisait l’objet de nombreuses critiques (trop cher, pas assez efficace…). Un rapport de 2019 prétendait qu’on pourrait faire mieux avec deux fois moins d’hôpitaux. Et on redoute aujourd’hui qu’une fois la crise sanitaire du Covid passée, ces projets refassent surface.
En France, des articles dans différents quotidiens ont fait la promotion du système allemand, comme le proclame également l’ancienne Ministre de la santé Roselyne Bachelot, pour aboutir à la conclusion suivante : le système de santé français est trop centralisé, il faut alléger les contraintes, il faut donner plus de place au privé et surtout en finir avec le statut de fonctionnaire (21% des fonctionnaires en France).
Économie : un soutien budgétaire massif
Une récession historique est attendue cette année. Le PIB allemand s’est contracté de 2,4% au premier trimestre 2020 selon l’institut IfW Kiel ; et l’institut estime que la contraction sera bien plus importante au deuxième trimestre. (À noter que pour la même période le recul est de 5,8% en France et de 3,8% dans l’ensemble de la zone euro).
Entre le 1er mars et le 26 avril, 10,1 millions de personnes ont eu recours au chômage partiel (trois fois plus qu’en 2009). Le taux de chômage devrait grimper à 6 % soit 2, 5 millions de sans-emploi. Le secteur automobile (Volkswagen, Daimler…) connait la baisse la plus forte et le niveau le plus bas depuis la réunification.
La récession serait au moins comparable à celle de la crise financière de 2008 d’après le ministre de l’économie, Peter Altermeier.
L’Allemagne a voté un budget complémentaire pour 2020 en empruntant 156 milliards d’euros pour sauver les entreprises et prévoit d’augmenter son endettement. Un fonds est mis en place pour renforcer le capital des grandes entreprises. Ainsi la dette pourrait s’élever à 356 milliards d’euros, ce qui représente 10 % du PIB.
Plusieurs voix se sont donc élevées, en particulier celle d’Armin Leschet, ministre président de Rhénanie-Nord-Westphalie, et celle de Markus Söder patron de la CSU en Bavière, deux des länder le plus touchés par la pandémie, pour sortir des restrictions au plus vite.
La grande coalition (CDU/CSU, SPD) est remise sur pied, et forme avec les Grünen une union nationale pour plaider le retour rapide à la vie active.
L’Allemagne, à la différence d’autres états d’Europe, dont la France, possédait des excédents commerciaux et n’avait pas de déficits budgétaires : elle peut donc financer les entreprises sans demander l’aide de l’Union Européenne et aussi refuser la mutualisation des dettes. Le poids de l’économie allemande est bien supérieur à celui de la France. Mais sa bonne santé n’est que relative.
30 avril 2020