Les JO : opium du peuple, opium des politiques
Gabrielle Boisvert, jeune athlète de natation artistique [1]
Une véritable overdose médiatique accompagnait durant tout l’été la tenue des Jeux olympiques de Paris, tout entièrement mis au service de la politique de Macron. Les notes qui suivent rappellent quelques-uns des aspects illustratifs de cet événement sportif ultramédiatisé.
Le 23 juillet, deux semaines après sa défaite aux élections législatives Macron a décrété une « trêve politique », tout en indiquant que le gouvernement démissionnaire resterait en place au moins « jusqu’à la mi-août ». Il a néanmoins décidé de poursuivre l’application des mesures réactionnaires de son programme : nominations à de hauts postes de l’État, publication de 10 décrets d’application de la loi immigration, d’un décret permettant de suspendre le repos hebdomadaire des précaires et saisonniers travaillant dans les vendanges, annonces de la ministre Belloubet que les réformes de destruction de l’enseignement public seraient appliquées à la rentrée… Et le ministre démissionnaire de l’Économie, Bruno Le Maire enchaine : proclamant qu’il faut bien entendu « poursuivre les réformes », il entend préparer la loi de finance 2025. Après avoir supprimé 25 milliards d’euros dans le budget 2024, il faudrait réaliser 20 milliards d’économies supplémentaires en 2025. Car l’Union européenne n’attend pas que Macron ait choisi un nouveau Premier ministre et menace la France de poursuites pour un déficit budgétaire excessif (+5% du PIB). 100 milliards d’euros à rembourser d’ici quatre ans.
Quant au président de la République délégitimé dans la rue et dans les urnes, il poursuit sa politique coloniale, renforce la répression en Kanaky et assure le roi du Maroc de son soutien dans sa volonté d’annexer le Sahara occidental (niant tout doit à l’autodétermination du peuple Sahraoui, comme du peuple Kanak).
Les J.O., un évènement politique
Félicitant les forces de l’ordre pour leur prestation lors de la cérémonie d’ouverture des JO, Macron a comparé le succès des Jeux olympiques de Paris 2024 à la Coupe du monde de football de 1998. L’équipe « black-blanc-beur » de Zinedine Zidane et Didier Deschamps qui avait vaincu le Brésil en finale sur le score de 3 à 0 avait alors été présentée comme l’image de la cohésion du pays.
La victoire d’une équipe nationale profite toujours au pouvoir en place (en 1998, la cote de Chirac était montée en flèche dans les sondages). Car le sport est politique et le JO plus que toute autre rencontre. Embrassant tour à tour les champions médaillés, Macron cherche alors à utiliser les JO pour un nouveau sacre populaire. En attendant, abrité derrière l’engouement et la fureur du spectacle, il entend prendre des décisions, mettre en place un nouveau Premier ministre à sa botte.
L’événement sportif et sa mise en scène occultent les conflits politiques et sociaux et ils dépolitisent en suscitant l’adhésion à un idéal commun : le soutien et la défense des champions nationaux qui exacerbent le chauvinisme (le classement des États selon le nombre de médailles obtenues aux J.O, donné heure par heure, et publié par la presse entretient cette identification aux vainqueurs, à la nation). Il mobilise d’immenses masses dans les stades, devant les écrans de télévision (au foyer, sur les terrasses de bistrots ou les places dans villes). En faisant rêver, en apportant un bonheur illusoire, les J.O. visent à endormir la conscience critique.
Le sport s’oppose au jeu
Au-delà des JO, la critique radicale de l’idéologie du sport, c’est-à-dire de « l’institution de la compétition physique codifiée » est nécessaire. Pourtant, comme le constate Jean-Marie Brohm, « presque plus personne ne critique l’idéologie ni la pratique sportive » [2]. Il rappelle que « le sport moderne commence à se forger vers 1750 en Angleterre, c’est-à-dire là où le capitalisme s’ébauche » (...). « Le sport s’organise autour de trois caractéristiques majeures. Primo, la compétition systématique comme finalité. Secundo, l’entraînement régulier comme préparation à la compétition. Tertio, l’insertion dans une structure institutionnelle organisant et contrôlant l’activité sportive (fédérations, clubs, comités, etc.) selon des règles strictes (classes d’âge et de poids, licences, conditions d’accès aux épreuves, etc.). ».
Et le chronométrage de l’acte sportif est omniprésent, imposé comme contrainte inséparable de cette activité sportive, ce qui n’est généralement pas le cas du jeu.
Pour Hervé Kempf (aujourd’hui directeur de Reporterre), « Le sport est devenu l’opium des classes moyennes, la morphine des classes populaires. Mais si Marx jugeait que la religion était l’opium du peuple, du moins notait-il qu’elle exprimait aussi une ’protestation contre la détresse’. Le sport n’exprime aucune protestation, seulement la soumission à l’ordre établi. » (Le sport ça suffit, dans Le Monde, 3/06/2012).
Ces propos du journaliste sont à rapprocher de la Théorie critique du sport de Jean-Marie Brohm et des travaux publiés par la revue théorique et militante Quel Sport ?, revue qui analyse le sport dans sa totalité, en démystifie les « valeurs » et « idéaux » idolâtrés par les zélateurs de la « culture » sportive et de la « compétition méritocratique ». D’où la caractéristique du sport comme un « opium du peuple ».
C’est pourquoi, présenter les JO comme si le sport était un jeu, c’est occulter leur dimension économique et politique. Et Christian Godin souligne « l’importance et la fonction particulière du boycott, dont malheureusement personne, ni le CIO, ni les États, ni les entreprises, ni les spectateurs ne veulent. Le boycott a été l’exception dans l’histoire des Jeux ». (…) Car, « dès lors que le pays organisateur retire un bénéfice politique des Jeux Olympiques, y participer, c’est lui donner à la fois un quitus et une caution ». A noter que « L’histoire des JO fournit également plusieurs exemples, même s’ils sont relativement peu nombreux, de leur utilisation politique opportuniste de la part d’individus ou de groupes politisés (…) En 1968, à Mexico, le poing levé du Black Power des deux vainqueurs du 200 mètres est resté dans les mémoires et dans les annales » [3].
« Une France accueillante »,
un « grand récit d’émancipation et de liberté »
Pour E. Maron, le prestige international que lui donne les JO de Paris est d’autant plus important que la puissance économique et diplomatique de l’impérialisme français est en très net recul.
Il avait promis un spectacle montrant « une France accueillante, audacieuse, fière de son histoire », « grand récit d’émancipation et de liberté ».
Or, Macron a prouvé depuis son accession au pouvoir, que pour lui, « l’émancipation » et la « liberté » signifient une exploitation accrue des salariés, la négation du droit du travail et la limitation des libertés démocratiques. Pour lui, la « liberté », c’est la « liberté du travail », c’est libérer le patronat des droits acquis arrachés par les salariés (rien à voir avec l’alternative au travail salarié, l’esclavage moderne analysé par K. Marx). Cela explique le fait qu’il s’est fait copieusement siffler, vendredi 26 juillet en annonçant l’ouverture de la 33e Olympiades.
Mais l’organisation des JO de Paris ne déroge en rien de la réalité sur laquelle repose l’olympisme : la presse et la totalité des médias se sont empressés d’exalter le sport dont les JO sont le couronnement.
‣ Refouler « les gens qui ne sont rien »…
Pour le « bon » déroulement de ces jeux, plus de 12 500 personnes ont été expulsées de lieux de vie informels, de Paris, envoyés en province, les étudiants ont été délogés de leur résidence, les hôtels sociaux vidés, les travailleurs immigrés chassés de leurs foyers. Des centaines de mineurs isolés déambulent dans les rues demandant protection. En Seine-Saint-Denis, alors que la demande de logement social est très forte, les valeurs immobilières et locatives ont explosé (+25,5% d’augmentation du prix au m2 en 5 ans). [4] Plus d’une centaine de travailleurs sans-papier ont été employés et exploités au mépris de leurs droits, l’un d’entre eux payant de sa vie de graves manquements à la sécurité sur un chantier [5].
Quelques jours avant l’ouverture des JO, dix décrets d’application de la dernière loi Macron sur l’immigration ont été publiés. Ils visent à rendre impossible la vie des personnes étrangères, à les désigner plus encore comme des indésirables. Ils rendent l’accueil et la vie des étrangers encore bien plus difficiles. Ils renforcent la polémique sur la « préférence nationale », visent à créer boucs émissaires pour diviser le monde du travail et détourner l’attention pour faciliter les attaques contre tous les acquis essentiels arrachés par le monde du travail.
À cela s’ajoute l’empilement des mesures sécuritaires qui mettent gravement en danger les libertés publiques et le droit syndical (cf. l’arrestation du secrétaire de l’UD CGT du 93 pour « outrage » suite à un rassemblement pour dénoncer le décalage entre l’argent investi dans les infrastructures des JO et le sous-investissement critique dans l’éducation en Seine-Saint-Denis. Sur la banderole de ce rassemblement, on pouvait lire : « 177 Millions d’euro pour une piscine et l’école coule, #Pland’urgence93 ») [6].
Le déploiement des forces de l’ordre et militaires à Paris et dans d’autres villes, la multiplication des caméras de surveillance, la tentative de légitimation de la vidéosurveillance algorithmique, ou encore le traçage de la population avec l’obligation de présentation de QR sont autant de mesures de contrôle social, liberticides que le gouvernement cherchera à pérenniser.
‣ … et « accueillir le monde » : « les gens qui réussissent »
Avant la cérémonie d’ouverture des J. O., Macron a accueilli à l’Élysée quelque 85 chefs d’État et de gouvernement étrangers pour une réception Il a tenu une demi-douzaine d’entretiens bilatéraux. Entretien particulier avec Isaac Herzog, président d’Israël, dont l’armée massacre le peuple palestinien, ou encore avec Andry Rajoelina qui installe la dictature à Madagascar, alors que la population s’enfonce dans la pauvreté.
Accueil chaleureux pour l’Argentin Javier Milei. Macron était le premier chef d’état à recevoir, en juin, ce président ultralibéral et nostalgique de la dictature, qui qualifie le Parlement de « nid de rats ». En Argentine, en six mois, Milei a lancé une série de réformes s’attaquant aux droits des travailleurs, à ceux de femmes, à la liberté d’association… En coupant les dépenses publiques à hauteur de 26 % sur les quatre premiers mois de l’année, il a transformé le déficit public, équivalent à 5,3 % du PIB l’an dernier, en un léger excédent durant quatre mois consécutifs. La Libertad Avanza (LLA), La Liberté Avance, tel est le nom du parti et du programme de Milei.
En mai dernier, invités par Vox le parti d’extrême droit espagnol, Milei a participé à Madrid à une rencontre avec Giorgia Meloni, Marine Le Pen, apportant son soutien aux partis de l’extrême droite à la veille des élections au Parlement européen.
Rappelons que, dès le 10 décembre dernier, Macron avait salué l’investiture de Milei, en brandissant un maillot de Boca Juniors (l’équipe de foot préféré de Milei), dédicacé par l’Argentin, avec le slogan « Vive la liberté, bordel ! » [7]. E. Macron qui veut imposer des économies drastiques pour éponger la dette qu’il a creusé depuis 2017 cherche des appuis auprès d’une extrême droite ultralibérale. Milei peut le conseiller : depuis décembre 2023, la fonction publique nationale argentine a déjà perdu près de 30 000 emplois sur un objectif de 70 000 suppressions prévues et annoncées devant un parterre de patrons.
« La France accueille le monde et le monde regarde la France », proclamait E. Macron. Mais dans les propos et les réceptions fastueuses du Président, comme dans les 3h45 de spectacle qui s’en est suivi, tout a été fait pour masquer la réalité politique, et privatiser l’espace public…
« Faire spectacle de la diversité »
La mise en scène de la cérémonie d’ouverture, le 26 juillet 2024, a débuté au pont d’Austerlitz par un référence aux trois couleurs du drapeau français. Le décor du tympan central du pont comportait la devise des JO « Citrus, Altius, Fortius - Communiter » (« Plus haut, plus vite, plus fort-Ensemble »). Le quatrième terme a été ajouté en 2021. Le CIO a cherché à moduler les trois premiers termes imposés en 1894 par Coubertin, et associés au culte de la performance et au dopage. Pourtant, à l’inverse du discours convenu, la fièvre de la course aux médailles entretenue par tous les médias ne fait que confirmer qu’il ne s’agit pas tant de participer que de vaincre.
Cette cérémonie devait glorifier l’impérialisme français. Mais, explique l’historien Patrick Boucheron, co-auteur aux côtés du metteur en scène Thomas Jolly de cette cérémonie d’ouverture, cela ne pouvait « certainement pas [être] une manifestation de force, la France n’est plus en capacité ». Alors, dit-il, on a choisi de « faire spectacle de la diversité », de mettre en avant « les valeurs de la diversité ».
Mais de quelle « diversité » s’agit-il ? Et de quelles « valeurs » ?
La médiatisation des images du Zidane porteur de la flamme olympique valorise-t-elle la diversité des origines sociales ? Celle des familles et des enfants de banlieues, qui jouent au foot dans la rue ou sur la place du quartier ? Elle conforte bien plus les illusions d’égalitarisme, alors que le sport est révélateur de la société capitaliste où la compétition est la norme et où la quête de la performance entraine l’individualisme à outrance.
Zidane illustre parfaitement ce qu’est le sport de compétition où les « stars du ballon rond » sont mis au service du marché mondial (le magasine Capital en fait un des athlètes français les plus riches : une fortune amassée grâce à sa carrière de footballeur, puis d’entraîneur, aux nombreux contrats de sponsoring avec des marques prestigieuses, telles qu’Adidas, Louis Vuitton, Christian Dior, Montblanc … et récemment promus ambassadeur d’Alpine…). Zidane est promu comme l’exemple de la promotion sociale par le sport, mais sa réussite qui fait rêver bien des gosses de banlieue, camoufle la misère et la ghettoïsation des banlieues.
« Un roman fleuve de l’histoire de France » ?
La cérémonie d’ouverture qui se veut être « un roman fleuve de l’histoire de France ou toute l’histoire de Paris débouche, ou déborde, au Trocadéro » [8]. Mais de quelle histoire s’agit-il ?
Ce spectacle s’est appuyé sur des monuments de Paris, des statues et des œuvres d’art, pour se mettre au service de la politique de Macron.
Deux exemples parmi les 12 tableaux élaborés par P. Boucheron et T. Jolly.
‣ L’arrivée au Trocadéro
Macron avait décidé que déroulé de la cérémonie devait se terminer au Trocadéro où se trouvaient les chefs d’État.
Rappelons que ce lieu est chargé d’histoire : cette place porte le nom d’une bataille sur l’île de Trocadéro (baie de Cadix) gagnée en 1823 par le corps expéditionnaire français contre les révolutionnaires libéraux espagnols et qui a rétablit l’autorité du roi Ferdinand VII. Sur ces lieux ont aussi été organisé les expositions universelles de 1878 et 1937. Des événements emblématiques de l’impérialisme français.
En outre, alors qu’aux JO de Londres, « des travailleurs de première ligne, les infirmières et les pompiers… » avaient été représentés, cela n’a pas été le cas à Paris.
L’historien P. Boucheron explique : « Nous écrivions cette scène au moment de la réforme des retraites, alors que des millions de Françaises et de Français étaient dans la rue. Nous nous sommes dit qu’il aurait été cohérent de produire une manifestation qui amène non pas des drapeaux mais des revendications aux grands du monde… ». Mais le choix s’est finalement porté sur une arrivée au Trocadéro avec les drapeaux et les hymnes des nations. « J’étais inquiet, évidemment, mais la beauté de la scène de l’arrivée des volontaires avec les drapeaux des nations m’a apaisé — d’ailleurs, c’est aussi le message : nous avons droit à la beauté car la beauté apaise » (sic).
Quel bavardage pour masquer le fait qu’il s’agit de valoriser les « nations », les états qui, dès le lendemain, sont entrés en concurrence avec la course aux médailles de leurs athlètes qui s’affrontent, rivalisent, entrent dans la « lutte de tous contre tous » !
‣ Dix statues de femmes qui surgissent de la Seine
Quel message veut apporter le surgissement de dix statues de femmes dans la Seine (tableau intitulé « sororité » [9]), des statues de « femmes dorées » ?
L’évocation, par exemple, de l’action d’Alice Milliat (1884-1957), nageuse, hockeyeuse et rameuse qui a œuvré pour la reconnaissance du sport féminin au niveau international peut-il masquer la réalité du sport de compétition ? En 2008, Roger Roge président du CIO n’hésitait pas à affirmer : « Le sport a besoin des femmes, de leur participation non seulement parce qu’elles représentent la moitié de l’humanité, mais parce qu’elles jouent un rôle essentiel dans la société et en particulier pour ce qui est de transmettre l’amour du sport aux jeunes ».
Et en 2012, lors de la 5e conférence du CIO sur « La femme et le sport » [10], se tenait un débat intitulé « Business et Sport ». Il était affirmé que « la participation croissante des femmes au Mouvement olympique signifie que les athlètes féminines contribuent de plus en plus à changer le visage du sport dans le monde des affaires ». Une autre participante donnait des exemples de sports féminins en plein essor (la Coupe du monde de football féminin de 2007 en Chine a généré un chiffre d’affaires de 6,4 millions de dollars, et celle de 2011 en Allemagne de 7,6 millions). Et elle soulignait « la nécessité d’accroître la popularité des sports féminins, parce que cette popularité permettra d’engendrer des revenus et des dotations équivalents à ceux des sports masculins ».
Quant à la statue dorée de Louise Michel doit-elle faire oublier les 20 000 Communards morts sous la répression sanglante, les dizaines de milliers de prisonniers, les milliers de déportés ? Et le « véritable secret », de la Commune : « essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du Travail » [11]. Une statue dorée pour occulter la réalité effective d’hier et celle d’aujourd’hui : la répression qui s’abat aujourd’hui sur les mobilisations sociales ?
Avec ce tableau « sororité », s’agit-il de faire avancer un processus d’émancipation ou de masquer la réalité : la domination et la soumission dans laquelle le capitalisme entend maintenir les femmes tout en érigeant quelques statues dorées ?
Ce choix fut finalement de camoufler d’une certaine façon, l’histoire de l’impérialisme français sous un écran de fumée.
Les JO : une affaire politique et de prestige
Depuis son accession au pouvoir en mai 2017, E. Macron pense le sport comme outil de « soft power », c’est-à-dire un outil de propagande et d’influence. Il investit dans les manifestations sportives car il sait que ces événements servent ses ambitions : promouvoir le rayonnement international de la France, briller en tant que pays hôte, et défendre ses visions politiques.
La décision de tenir la cérémonie des JO à l’extérieur d’un stade, sur un parcours de 6 km sur la Seine, en faisant admirer les monuments les plus célèbres et emblématiques de Paris, entre autres Notre-Dame et le Louvre jusqu’à la tour Eiffel (où la flamme est allumée), correspond à ces objectifs : utiliser le passé prestigieux de Paris et mettre en avant ses capacités logistiques et d’organisation.
Depuis cette cérémonie, toute la presse est euphorique : « Époustouflant », « L’hymne à la France » (Aujourd’hui) ; « Paris 2024, Déjà dans l’Histoire » (L’Humanité).
Et Les Échos, à l’unisson, vantent le « Soft power olympique » : « Il est devenu une arme de séduction et la France a raison de vouloir en user », car « la bataille de l’opinion publique mondiale et celle de l’économie » se gagne « aussi sur le terrain de la culture et du divertissement ».
« Une Olympiade particulièrement réussie peut être pour la France une occasion de reprendre confiance en elle, tout en démontrant au reste du monde que si notre pays n’est plus qu’une puissance de taille moyenne, nous restons un acteur qui compte et qui mérite d’être écouté et respecté ». (Les Échos, 25/07/2024). Le sport devient un instrument de soft power tant du point de vue de l’organisation d’évènements que de celui des performances réalisées par les athlètes : les célébrités deviennent ainsi de véritables ambassadeurs de leur pays à l’étranger. Des « performance » réalisées par des corps réifiés, boostés comme des machines, avec l’appui des laboratoires de recherche (dont le CNRS [12]), des laboratoires pharmaceutiques, et de tout un système (médecine du sport, coachs…).
Rappons à l’inverse que pour George Orwell, au milieu du XXe siècle, « le sport, c’est la guerre, les fusils en moins ». Le podium incarne alors une sorte d’allégorie de la puissance des nations. Sur ce terrain de jeu s’affichent les conflictualités internationales sous une autre forme tout en déclarant sa neutralité face aux différents enjeux politiques et religieux. Car le côté apolitique du sport – et plus encore des JO - tel qu’il est affirmé par Macron lui-même et nombre de personnes, y compris « à gauche » est réellement un mythe.
La parade de LVMH, leader mondial du luxe
Macron a indiqué que les JO allaient permettre de valoriser l’artisanat français. la Chambre des métiers reprend d’ailleurs ce discours : « Le sport et l’artisanat partagent des valeurs fortes comme la passion, la précision, la persévérance et l’excellence. ».
Une passion ? Celle du fric, à l’évidence. La complicité de Macron avec Bernard Arnaud, le grand patron du luxe, s’est largement affichées durant tous ces jours.
Dès 2017, lorsqu’à Lima le Comité international olympique (CIO) se prononce pour la candidature de la France, il n’y a pas que Anne Hidalgo, maire de Paris qui pleure de joie. Le groupe LVMH (Louis Vuitton-Moët-Hennessy) qui comprend nombre de grandes marques de luxe (dont Bulgari, Dior, Fendi, Givenchy, Guerlain, Kenzo, Marc Jacobs, Tiffany & Co. mais aussi Moët & Chandon, Veuve Clicquot, Krug, Dom Pérignon, Maison Ruinart, Le Bon Marché ou encore Séphora…) soutien l’opération.
Le CIO cherche 3,8 milliards d’euros pour boucler le budget (il sera réévalué à 4,4 milliards dont 1 milliard d’euros de l’État et 500 millions des collectivités territoriales et 1,1 milliards pour les sponsors).
Mais, à la mi-juillet la Cour des comptes estime que le coût total des jeux 2024 va dépasser les 10 milliards d’euros, fonds publics et privés réunis !
Aux côtés d’EDF, de la Française des Jeux, de la banque BPCE, Total est sollicité, ce qui est largement contesté : comment « vendre » des Jeux avec un « faible bilan Carbone », et accepter la participation de Total ? Finalement le groupe renonce. Bernard Arnaud se souvient : « tout le monde est venu nous voir ». Ce qui est accepté, mais LVMH doit négocier dur avec le Comité d’organisation des Jeux olympiques. Mais négocier pour faire du fric, « c’est la culture de notre groupe » (cf. les propos rapportés par Le Monde). Et Macron a appuyé l’affaire. Mais Bernard Arnaud veut des garanties : il ne se décidera qu’aux vues du concept artistique de la cérémonie. Thomas Jolly (le directeur artistique des cérémonies) et Thierry Reboul (le directeur exécutif) ont avoué qu’ils avaient du « intégrer les contraintes des partenaires ». La Cour des comptes elle-même semble être intervenue auprès du Comité organisateur des jeux olympiques et paralympiques (Cojop) en faveur de LVMH.
C’est ainsi que des tenues des 600 volontaires, celles des athlètes, les tenues des artistes (Aya Nakamura et ses six danseuses… Céline Dion, et ses milliers de perles…) jusqu’aux plateaux pour les médailles, les malles des médailles, tout est LVMH. Si le sigle ne figure pas (les JO sont apolitiques !), la toile à damier LVMH était visible lors de 871 cérémonies de remises de médailles…
Et sur le site LVMH on chante victoire : « chaque membre de l’Équipe de France est devenu un ambassadeur distingué de l’art de vivre à la française sur la scène mondiale ». Tout en affirmant que « Grâce au travail concerté de Paris 2024, la ville de Paris, l’État, le CIO et le CNOSF, la cérémonie a été réinventée au cœur même du terrain de jeu des athlètes, la Ville Lumière, pour la plus grande fête populaire du sport au cœur de Paris. »
Un « art de vivre à la française » aux antipodes de celui des millions de travailleurs et leurs familles qui peinent à joindre les deux bouts ! Un « art de vivre » du luxe !
En outre, lors du parcours de la flamme, les porteurs ont dû traverser les vignobles du groupe (Château Cheval Blanc, Moët et Chandon) à Saint-Emilion, passer devant un musée sponsorisé par C. Dior…
Des jeux capitalistes
Politique, prestige, luxe : il ne s’agit là que quelques aspects des JO et au-delà, du sport (à distinguer de l’activité physique). Il faudrait tout un développement pour faire état de la maltraitance des corps et des esprits, les affaires de violences de toutes sortes (sexuelles, psychologiques, etc.). L’exergue au début de cet article est celle d’une jeune canadienne qui a « osé » parler afin que cessent ces violences.
En France un rapport parlementaire publié en janvier fustige les « défaillances systémiques » du sport français en matière d’éthique, de gouvernance et de lutte contre les violences sexuelles. La ministre des sports Amélie Oudéa-Castéra (AOC) a qualifié ce rapport de « militant », estimant que les travaux parlementaires réalisés ont été « instrumentalisés à des fins politiques ».
Quoi qu’il en résulte, on ne peut oublier ce que développe Jean-Marie Brohm [13] : « L’institution sportive est organiquement, incorporée au système de production capitaliste dans lequel elle s’épanouit. La diffusion et l’emprise planétaire du sport, l’olympisation du monde vont accompagner l’expansion impérialiste du système capitalisme ».
Cheval de Troie du capitalisme, les « valeurs » du sport sont celles du capitalisme. Le sport n’obéit qu’à une seule chose : la performance dans une compétition mortifère.
2 août 2024
Pierre de Coubertin : Glorifier les régimes totalitaires
La presse est restée discrète lors des JO de Paris sur le baron Pierre de Coubertin (1863-1937), le fondateur en 1894 du CIO. Admirateur d’Hitler et des régimes dictatoriaux, Coubertin correspondait avec Hitler, s’enthousiasmant pour les réalisations olympiques du Reich : les Jeux de Berlin 1936 « ont été, très exactement, ce que j’ai souhaité qu’ils fussent […]. À Berlin on a vibré pour une idée que nous n’avons pas à juger [sic], mais qui fut l’excitant passionnel que je recherche constamment. (…) cette glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement immense qu’ils ont connu ».
Coubertin se décrivait par ailleurs comme « un colonialiste fanatique » : « les races sont de valeur différente, et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance », et assumait sa misogynie, « Une Olympiade femelle serait inintéressante, inesthétique ».
Si les discours officiels ne l’on pas mis en avant, en juin, sa statue est entrée au Musée Grévin, un hommage lui a été rendu à La Sorbonne, et le 5 juillet, la flamme est passée devant le manoir familial de Mirville, en Seine-Maritime…