Soutien au double combat des travailleurs et de la jeunesse en Ukraine
Un front militaire enlisé, la perte – le 17 février 2024 – de la ville d’ Avdiivka -, des dizaines de milliers de victimes civiles et militaires du côté ukrainien, un nombre plus élevé encore de soldats russes tués ou blessés, envoyés à l’abattoir par un commandement pour qui la vie des hommes ne compte pas, une aide militaire et financière des États-Unis et des puissances de l’union européenne non négligeable mais insuffisante pour faire reculer l’armée russe sont quelques-uns des aspects majeurs de la situation ukrainienne. Autre dimension majeure de cette situation : des travailleurs ukrainiens qui, avec leurs organisations, se battent sur deux fronts, contre l’occupation militaire russe d’abord mais aussi contre la politique de la Rada ukrainienne et du gouvernement Zelensky lesquels, avec le soutien de l’Union européenne et du FMI, remettent en cause le code du travail et des droits pourtant déjà réduits à la portion congrue, et une solidarité internationale des syndicats et de partis ouvriers qui, pour limitée qu’elle soit, est politiquement très importante…. Deux ans après l’offensive totale engagée contre l’Ukraine par le régime russe, où en est la situation militaire économique sociale et politique en Ukraine ?
Un événement majeur
Le 24 février 2022, la guerre larvée conduite depuis 2014 par la Russie de Poutine contre l’Ukraine connaissait un développement majeur : une offensive générale était lancée par l’armée russe pour prendre le contrôle de toute l’Ukraine et imposer un régime à sa botte.
C’est la résistance spontanée du peuple ukrainien qui, alors, brisa cette offensive militaire et qui, depuis, ne cesse de tenir tête à l’armée russe. Cette résistance est l’élément majeur de la situation militaire et politique.
Mais en dépit du sacrifice de dizaines de milliers de combattants et aussi de combattantes, cette résistance – qui tient en échec la puissante armée russe depuis deux ans - n’a pas pu infliger à Poutine une défaite militaire et politique qui, seule, permettrait d’en finir avec l’occupation russe. Or, tant que l’armée russe n’est pas chassée de tous les territoires occupés, aucun accord de paix sérieux -qui ne soit pas éphémère- n’est possible.
La situation militaire pour le peuple ukrainien
Elle est incontestablement difficile. Certes, après février 2022, l’armée russe qui avait progressé jusqu’à Kyiv avait dû reculer, abandonnant au cours de l’année 2022 une grande partie des territoires occupés ; mais l’optimisme qui avait alors prévalu du côté des défenseurs de l’Ukraine, l’espoir d’une libération de tous les territoires encore occupés, l’attente d’une contre-offensive rapide de l’Ukraine, attendue pour le printemps 2023, puis l’été 2023, s’étaient heurtés à la réalité : n’ayant aucun scrupule à sacrifier des hommes par dizaines de milliers, les envoyant à l’abattoir vague après vague, l’état-major russe avait pu « casser » les tentatives répétées des ukrainiens de conduire la contre-offensive annoncée ; l’armée russe s’était « incrustée » dans les territoires occupés, construisant un infranchissable réseau défensif (tranchées, champs de mines, rangées de « dents de dragon ») ; elle avait porté des coups féroces aux combattants ukrainiens, avec le renfort d’une armée privée (la milice Wagner recrutée dans les prisons russes), et avait mené une guerre ouverte contre la population civile en bombardant les villes, les infrastructures électriques et de chauffage, les gares et hôpitaux, etc.
En outre, la résistance militaire ukrainienne avait été handicapée par l’insuffisance de l’aide matérielle des puissances disant la soutenir (États-Unis, Allemagne, France, etc.). Certes, cette aide était significative, mais loin de ce qui était nécessaire et possible : insuffisance de la défense anti aérienne, non maîtrise de l’espace aérien, absence de marine…
Tout au mieux, après un hiver 2022-2023 très douloureux pour la population civile, l’amélioration de la défense anti aérienne avait permis une meilleure protection des villes durant l’hiver 2023-2024, encore que fort relative, l’armée russe poursuivant ses bombardements à coups de vagues de missiles et de drones suicides.
Mais, sur la ligne de front durant cet hiver 2023-2024, non seulement l’armée ukrainienne n’a quasiment pas progressé, mais l’armée russe a parfois repris l’initiative et pu grignoter du terrain au prix de très lourds sacrifices en hommes et en matériels, comme à Avdiivka en février 2024.
Et, parmi les « alliés » de l’Ukraine, les doutes vont croissant quant à la possibilité de récupérer les territoires perdus.
Ainsi, dans une interview accordée le 2 février ; le président polonais Andrzej Duda, a expliqué : « Je ne sais pas si l’Ukraine récupérera la Crimée mais je pense qu’elle reprendra Donetsk et Louhansk. »
Cette déclaration du Président proche du parti PiS a immédiatement été « recadrée » par le ministre polonais des Affaires étrangères, membre de la nouvelle coalition au pouvoir, qui a rappelé que la Pologne soutenait l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues.
Au-delà, les difficultés actuelles rencontrées par l’Ukraine s’inscrivent dans un cadre menaçant : avec l’approche de l’élection présidentielle américaine, les déclarations tonitruantes de Donald Trump contre ses « alliés » au sein de l’OTAN et contre tout soutien à l’Ukraine sont autant d’encouragements adressés à Poutine dans son combat contre l’Ukraine.
Poutine peut donc continuer à se montrer inflexible. Le 5 février, dans une conférence de presse, il réaffirme ses objectifs : « la paix sera là quand nous aurons atteint nos objectifs », en précisant : « nos objectifs n’ont pas changé ».
L’OTAN, une menace pour Poutine ?
Poutine n’a jamais caché ses objectifs. Dès avant 2014, il avait commencé à expliquer que l’Ukraine n’existait pas.
Puis, après l’annexion de la Crimée et la fabrication de toutes pièces d’une force armée « indépendantiste » à l’Est de l’Ukraine, il avait entretenu un conflit armé à « bas bruit », terme fort commode pour ceux qui ne voulaient rien entendre.
Pour expliquer cette guerre d’agression qui ne dit pas son nom (il s’agit d’une « opération militaire spéciale » visant à « dénazifier » l’Ukraine), certains commentateurs reprennent à leur compte les justifications données par Poutine qui répète encore le 8 février 2024 : « ce n’est pas nous qui avons déclenché cette guerre (…) Nous nous défendons, nous défendons nos compatriotes, notre patrie, notre avenir ».
« Dénazifier » l’Ukraine ? C’est une plaisanterie. Qu’il y ait des groupes ultra nationalistes en Ukraine, fascisants, est incontestable. Mais ils ont généralement moins d’influence que leurs alter egos installés dans la plupart des pays d’Europe, les résultats électoraux en attestent, et sont moins dangereux que les néo nazis qui paradent à Moscou sous l’œil bienveillant de Poutine, le même Poutine apportant son soutien à toutes les forces xénophobes et ultra nationalistes s’agitant aux quatre coins de l’Europe.
Autre l’argument : l’OTAN aurait été une menace pour la Russie, ne respectait pas la « sphère » d’influence traditionnelle de la Russie, et « encerclait » la Russie. Rappelons d’abord qu’il fut un temps où Poutine s’accommodait fort bien de l’OTAN qu’il souhaitait rejoindre, et qui en réalité ne le menaçait pas. Ainsi, le 5 mars 2000, un journaliste de la BBC lui demandant si la Russie pouvait rejoindre l’OTAN, il répond « je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas ». D’ailleurs, de 2014 à 2022, l’OTAN (et les états qui le composent) n’a jamais levé le petit doigt pour aider l’Ukraine, pas plus qu’elle n’est venue à l’aide de la Moldavie soumise à une sécession militairement protégée par l’armée russe.
Rappelons en outre que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’était pas à l’ordre du jour, pas plus que la Suède ou la Finlande n’envisageaient d’y adhérer. C’est l’agression russe qui a conduit la Suède et la Finlande à vouloir adhérer à l’OTAN. Et même avec l’adhésion de la Suède et de la Finlande, on est loin d’un encerclement : il y a tout au plus maintenant 1400 km de frontières communes entre la Russie et des pays de l’OTAN, tous situés à l’Ouest de la Russie (la Russie partage 20 600 km de frontières terrestres avec 14 pays, notamment au Sud, dont le Kazakhstan, la Chine, la Mongolie…).
Quant à la notion de « sphère d’influence », c’est un concept impérialiste typique qui nie tout simplement le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
En matière de menace qu’aurait représentée l’OTAN, il y a mieux… D’autant que jusqu’en 2014, l’armée ukrainienne (comme celle de Moldavie) ne constituait qu’une force dérisoire.
Et pour ce qui était d’une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, Poutine expliquait lors d’une conférence de presse le10 décembre 2004 : « Si l’Ukraine souhaite adhérer à l’UE et si l’UE accepte l’Ukraine en tant que membre, je pense que la Russie s’en féliciterait ». C’était avant Maïdan…
De même était ce avant Maïdan que Poutine affirmait ne pas avoir de revendication concernant la Crimée : « La Crimée n’est pas un territoire contesté » (interview sur ARD le 29-8-2008).
Une fort ancienne aspiration à l’indépendance
Car pour Poutine, la vraie menace demeure l’aspiration démocratique de l’Ukraine à l’indépendance. Faut-il rappeler que, après 1917, l’URSS fut constituée en tant qu’« union des républiques » comme une réponse à la volonté des peuples, en particulier des Ukrainiens, de constituer leur propre état, volonté que Staline écrasa ensuite par la terreur policière et la famine organisée ?
Et faut-il rappeler que cette volonté d’indépendance s’affirma de nouveau en toute clarté lors de la dislocation de l’URSS en 1991, le vote en faveur de l’indépendance s’exprimant de manière massive dans toute l’Ukraine, russophone comme ukrainophone, y compris dans la région du Donbass et en Crimée ?
Cette indépendance fut accompagnée du retrait d’Ukraine de toutes les armes nucléaires, celles-ci étant récupérées par la Russie ; de même la Russie conservait pour sa flotte le libre usage (moyennant un bail) du port de Sébastopol jusqu’en 2042, au moins. En échange de quoi Les États-Unis, la Grande Bretagne et la Russie s’engageaient à garantir les frontières de l’Ukraine en signant le 5 décembre 1994 les mémorandums de Budapest. Les signataires s’engageaient en particulier à « respecter l’indépendance et la souveraineté ukrainienne dans ses frontières actuelles » et à « s’abstenir de toute menace ou usage de la force contre l’Ukraine ».)
L’Histoire a une nouvelle fois prouvé ce que valent les promesses, signées ou non signées.
Par contre, il est incontestable que, par tous les moyens, Moscou conserva, de 1991 à 2014, son emprise politique et économique sur une Ukraine dirigée par des gouvernements tout aussi corrompus et oligarchiques que l’est celui de Poutine à Moscou.
C’est l’insurrection populaire de Maïdan, durant l’hiver 2013-2014, contre le gouvernement de Yanoukovytch, un vassal de Poutine, qui constitue le tournant décisif que Poutine ne cesse de qualifier de « coup d’état » (terme qu’il reprend dans une interview du 8 février 2024).
Cette insurrection, que la police de Yanoukovytch tenta de noyer dans le sang avec le renfort de forces spéciales russes, tuant 107 manifestants, eut comme détonateur les pressions exercées par Moscou contraignant le gouvernement de Kiev à rompre un projet d’accord avec l’Union européenne. Mais au-delà, pour les insurgés de Maïdan, il s’agissait de mettre fin à la tutelle de Moscou et à un pouvoir corrompu au service d’une poignée d’oligarques
Que cette insurrection puisse chasser un président pro-russe (exfiltré vers Moscou) voilà ce qui était intolérable pour Poutine.
2014-2022 : ils n’ont rien voulu voir, et n’ont donc rien vu
La réaction de Poutine fut immédiate : ce fut l’occupation et l’annexion de la Crimée, puis une pseudo- guerre d’indépendance à l’Est de l’Ukraine fabriquée de toutes pièces, menée par des soldats russes dépourvus d’insignes, les « petits hommes verts ».
Cette remise en cause militaire de frontières n’avait guère de précédent en Europe depuis1945.
Il y eut bien des protestations et quelques sanctions visant Moscou, mais l’on n’insista pas.
Puis Paris et Berlin promurent les accords morts nés de Minsk qui faisaient la part belle aux prétentions de Poutine. Mais l’essentiel est de préserver les bonnes relations économiques. Ainsi Bernard Arnault, propriétaire de l’empire français du luxe LVMH, considéré comme l’homme le plus riche du monde, est reçu au Kremlin le 24 novembre 2016.
Et, en avril 2017, à quelques jours de l’élection présidentielle qui va permettre à Macron d’accéder au pouvoir, Bernard Arnault donne ses instructions par media interposé : « Il faut parler aux Russes. Les liens entre nos deux pays dépassent les conjonctures politiques. Ils sont historiques, éternels » (Pais Match, le 3 avril).
Cette exigence est entendue. Dès son élection en 2017, Macron déroula le tapis rouge devant Poutine, l’invitant à Versailles puis à Brégançon, tandis que Merkel promouvait les investissements allemands en Russie, notamment dans le domaine énergétique.
Cette collusion allait fort loin : Schröder, chancelier allemand jusqu’en 2005, signe un projet de construction d’un gazoduc entre la Russie et l’Allemagne deux semaines avant sa défaite électorale de 2005, et est nommé peu après à la tête du consortium (Norstream) chargé de la construction de ce gazoduc.
Tandis que Fillon ancien premier ministre de Sarkozy et candidat à la présidence en 2017 siégeait ensuite au conseil d’administration de plusieurs sociétés russes.
Il ne s’agit pas de simples bavures mais de la concrétisation d’une orientation clairement définie.
En témoigne le discours de Macron aux ambassadeurs d’août 2019, discours d’une invraisemblable longueur.
Il évoque « une Europe qui est le théâtre d’une lutte stratégique entre les États-Unis d’Amérique et la Russie », qui s’oppose à son « projet profond de recréation de la civilisation européenne ». Ce projet, « on ne peut pas le faire sans repenser notre lien avec la Russie très profondément, très profondément. » (….) « le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie. Ce n’est pas l’intérêt de certains de nos alliés, soyons clairs avec ce sujet.
Certains d’ailleurs nous pousseront toujours à avoir plus de sanctions, parce que c’est leur intérêt. Quand bien même ce sont nos amis. (…) rebâtir un vrai projet européen dans ce monde qui risque la bipolarisation, réussir à faire front commun entre l’Union européenne et la Russie penser au fond ces cercles concentriques qui sont en train de structurer l’Europe jusqu’à une relation nouvelle avec la Russie, est indispensable.
Et donc il nous faut pour cela et c’est ce que j’ai dit au Président Poutine la semaine dernière à Brégançon, avancer pas à pas ».
Car pour Macron, ce projet n’est pas une chimère, les mauvaises relations avec la Russie n’étant dues qu’à « une série de malentendus ».
Or ce discours est tenu alors que la Crimée est occupée depuis 4 ans et que l’agression russe se poursuit à l’Est de l’Ukraine (tandis que l’intervention russe continue en Syrie en défense de Bachar al-Assad).
Tout cela était un véritable feu vert donné à Poutine pour aller plus loin et lancer son « opération spéciale » le 24 février 2022. A l’annonce de cette offensive totale, les dirigeants français et allemands se montrèrent stupéfaits.
Pourtant, les signaux d’alerte n’avaient pas manqué.
À commencer par les affirmations fantaisistes de Poutine selon lesquelles le peuple ukrainien n’existait pas, et que l’Ukraine était une invention de Lénine.
Ces propos, il ne cessera de les réitérer, et encore lors d’une interview diffusée le 8 février 2024 : « L’Ukraine est un état artificiel. Les Ukrainiens se sentent encore russes ».
Mais à l’inverse, le peuple ukrainien prouva, une fois encore, qu’il existait en se dressant dès les premiers jours contre l’offensive générale russe.
C’est cette résistance, imprévue par Poutine comme par les dirigeants occidentaux, qui conduisit et contraignit les gouvernements de l’Union européenne et des États-Unis à aider militairement et financièrement l’Ukraine. Mais s’ils le firent, ce fut de manière limitée.
2022-2024 : une aide limitée
En témoigne le patron de la CIA, William J. Burns, en janvier 2024, Dans une tribune publiée par Foreign Affairs, il évoque une aide « modeste » :
« Avec moins de 5% du budget de la défense des États-Unis, il s’agit d’un investissement relativement modeste qui a des retombées géopolitiques importantes pour les États-Unis.
Si les États-Unis se retiraient du conflit à ce moment crucial et interrompaient leur soutien à l’Ukraine, ils marqueraient un but contre leur camp dans des proportions historiques ».
Le général Yakovleff (ancien vice chef d’état-major du SHAPE, le quartier général des forces alliées de l’OTAN) est encore plus net :
« C’est le reproche que je fais aux Américains d’avoir calibré leur aide petite tranche par petite tranche, pour éviter que les Ukrainiens ne perdent sans leur donner les moyens de gagner.
Et je ne suis pas le seul à dire ça, j’ai pas mal de camarades américains qui le disent ouvertement et qui l’écrivent. » (Interview sur LCI).
Et la France ?
Mais ce reproche peut être fait bien davantage à la France, dont l’aide à l’Ukraine est clairement inférieure à celle de l’Allemagne et, proportionnellement à son PIB l’une de plus faibles d’Europe.
Ce qui permet au chancelier Olaf Scholz de se plaindre publiquement de l’insuffisance de l’aide accordée par la France.
L’UE évalue l’aide militaire accordée en 2022 et 2023 à 28 milliards d’euros (44 milliards de dollars pour les États-Unis), et à 20 milliards les engagements pour 2024.
Pour cette période 2022-23, la contribution allemande, selon l’institut Kiel, atteindrait 17 milliards, celle de la Grande Bretagne 9,1 milliards, celle de la Pologne 3 milliards et celle de la France 540 millions. Le gouvernement Macron peut bien contester avec force ce classement, il n’en est pas moins difficile à nier. Selon le rapport d’une commission du Parlement français, l’aide de Paris en novembre 2023 atteignait 3,2 milliards : on est encore loin de l’Allemagne… D’autant que les calculs français valorisent le matériel cédé, ancien, au prix du matériel neuf de conception moderne….
Mais l’essentiel est résumé par Christian Mölling, directeur adjoint de Conseil allemand pour les relations extérieures : « nous échouons collectivement » à aider suffisamment l’Ukraine, « nous empêchons l’Ukraine d’obtenir les capacités de se défendre (…) les promesses ne sont pas au niveau nécessaire…tant celles des Allemands que celles des Français » (cité par Le Monde 1 février 2024)
À cela on peut ajouter les livraisons d’armes financées par l’UE (du déstockage pour 6,1 milliards) et l’aide financière qui vient d’être décidée par l’UE pour 4 ans, soit 51 milliards d’euros.
Au total, l’aide globale (soutien militaire et aide financière) atteindrait 75 milliards de dollars en deux ans pour les États-Unis, et 110 milliards pour les alliés et autres membres de l’OTAN, selon les chiffres communiqués par Antony Blinken (Les Échos du15 février), le secrétaire d’État américain.
Notons qu’à côté d’une aide militaire au compte-goutte, les mesures prises de rétorsion économique sont franchement dérisoires et fondamentalement inefficaces. La Russie a mille moyens de contourner les interdictions dictées par les États-Unis et l’Union européenne, d’autant que nombre d’entreprises françaises, allemandes, américaines, etc. continuent sereinement de produire et de vendre en Russie.
Ainsi le groupe Veolia fait partie des 23 multinationales françaises qui n’ont rien modifié à leur activité en Russie depuis février 2022. C’est ce qu’indique notamment la base de données sur les entreprises multinationales en Russie qui a été établie par l’Université de Yale aux États-Unis.
Un calibrage très politique
Les raisons d’un tel calibrage sont très politiques. Le général Yakovleff le dit crûment : « La crainte majeure des Américains, c’est l’effondrement de la Russie. Donc il faudrait que Poutine se calme mais il ne faut pas effondrer le régime. Voilà.
Il y a pire qu’une victoire Ukrainienne, c’est une défaite totale de la Russie, de Poutine, du régime de Poutine.
Donc leur choix, est, de mon point de vue, il a été de calibrer la guerre. Et chaque fois, l’artillerie, l’artillerie sol-air etc. ».
Ce que redoutent en particulier les impérialismes, c’est une irruption des masses dans une Russie défaite, mais aussi la volonté des masses dans une Ukraine qui serait victorieuse de voir satisfaites leurs revendications et rétablis leurs acquis sociaux mis à mal durant la guerre.
Il y a aussi la volonté des impérialismes européens de préserver l’avenir avec l’espoir de rétablir leurs très profitables activités économiques et financières.
Cette crainte d’un mouvement des masses est fondée : il suffit de rappeler la puissante mobilisation au Belarus (à partir de l’été 2020), ou celle du Kazakhstan.
Inquiétudes croissantes des impérialismes européens
Mais en même temps, cette question divise plus ou moins les principaux impérialismes dont des couches importantes redoutent désormais un échec de l’Ukraine. Aux Etats-Unis, la division est profonde entre les Démocrates et l’essentiel des Républicains qui, avec Trump, bloquent jusqu’à ce jour toute nouvelle aide à l’Ukraine. En Europe, cette division existe aussi, modulée selon les pays. Mais l’inquiétude va croissant avec l’approche des élections américaines et le risque d’un retour de Trump au pouvoir : la protection militaire américaine garantie depuis des décennies semble de plus en plus sujette à caution, et la crainte grandit (notamment en Pologne et en Allemagne) qu’une défaite de l’Ukraine ouvre la voie à d’autres offensives russes, en Moldavie et contre les pays baltes notamment.
Concrétisation de cette inquiétude, le 12 janvier est annoncée la signature entre Londres et Kiev d’un accord de sécurité bilatéral d’une durée de 10 ans assorti d’une aide militaire de 2,5 milliards de livres pour l’année en cours (dont des missiles longue portée et des munitions)
Traduisant également cette inquiétude, le 1er février, est publiée dans Le Monde une tribune titrée « Trouvons les moyens d’augmenter l’aide à l’Ukraine » qui commence ainsi : « La nation ukrainienne est en danger ! Nous devons lui fournir de toute urgence les armes et les munitions dont elle a besoin pour reconquérir l’intégralité de son territoire. Seule sa victoire, en rejetant la Russie hors d’Ukraine, assurera la paix (…) ». Cet appel considère que l’Ukraine est « prioritaire » parce que « sa défense contribue à celle de notre pays » et demande entre autres le doublement de l’effort budgétaire de la France en faveur de l’Ukraine. Parmi les 13 premiers signataires : une majorité d’anciens militaires, dont 4 généraux ; parmi eux : le général Yakovleff (lequel affirmait avant le 24 février que Poutine n’attaquerait pas…).
Cela conduit Macron à « durcir » son discours contre le « régime du Kremlin » : « Aujourd’hui, la Russie de Vladimir Poutine est devenue un acteur méthodique de la déstabilisation du monde », et déclarer à Zelensky « Nous sommes déterminés à faire échec à vos côtés à la Russie ».
Et cela conduit Berlin et Paris à renforcer (un peu) leur aide à l’Ukraine. Le vendredi 16 février, le président ukrainien signe un accord de sécurité de 10 ans avec la France, Emmanuel Macron annonçant une aide militaire de 3 milliards d’euros en 2024. Cet accord est signé quelques heures après que Zelensky ait signé à Berlin un accord du même type avec l’Allemagne. Seule différence : le chancelier allemand Scholz annonce, lui, 7 milliards pour l’année 2024, dont une première tranche de 1,1 milliard.
Le 17 février, au lendemain de cet accord, Rheinmetall, le géant allemand de l’armement, annonce un accord avec une entreprise ukrainienne pour la production en Ukraine de munitions d’artillerie (avec chaque année un « nombre à six chiffres » d’obus de calibre 155 mm, y compris les propulseurs correspondants).
Ce projet s’ajoute à une nouvelle usine en Allemagne, l’objectif de Rheinmetall étant de produire sur ses sites en Europe, jusqu’à 700.000 obus d’artillerie par an en 2025, contre 70 000 avant l’invasion russe de l’Ukraine.
Mais Berlin et Paris font des choix dans leur aide : Ainsi Macron persiste à ne pas vouloir fournir d’avions, en dépit des demandes pressantes des Ukrainiens : « Nous attendons de la France qu’elle nous fournisse de l’aviation » répète - le 16 février - le chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov, estimant que « le gouvernement français, s’il en avait le souhait, pourrait fournir une aide plus importante ».
Berlin agit de même en refusant de fournir des missiles Taurus, particulièrement efficaces, réclamés par les Ukrainiens.
En outre, il y a souvent loin entre les annonces et la réalité. Ainsi, fin mars 2024, les Européens n’auront fourni que la moitié du million d’obus promis à l’Ukraine en 2023.
Dans cette situation, c’est le droit élémentaire du peuple ukrainien de demander des armes qui lui sont nécessaire à tous ceux qui sont susceptibles de lui en fournir.
Les travailleurs ukrainiens combattent sur deux fronts
Les salariés, avec le mouvement syndical, combattent sur deux fronts.
Ils constituent d’abord les gros des bataillons de soldats et de la défense territoriale, et ceux qui ne sont pas au front apportent un soutien quotidien aux combattants (lesquels peuvent demeurer syndiqués), individuellement et collectivement via les syndicats et via de nombreux collectifs de travail.
Simultanément, ils doivent se battre aussi contre la politique anti sociale du gouvernement et de la Rada qui agissent en lien avec les exigences de l’Union européenne et du FMI.
Dans les entreprises, il y a une lutte quotidienne pour défendre les droits sociaux et syndicaux contre les mesures du gouvernement qui utilise la loi martiale pour remettre en cause les conventions collectives, faciliter les licenciements et réduire les droits syndicaux. Avec la loi martiale, la grève et les manifestations sont interdites, mais les travailleurs, dans certains cas, recoururent tout de même à la grève et aux manifestations.
Nouvelles menaces contre le code du travail
En janvier 2024, une nouvelle fois est avancé un projet de réécriture du Code du travail, en 264 articles, rédigé sous la direction de la ministre de l’Économie et d’une députée du Peuple (le parti de Zelensky).
Il s’agit de rendre définitives les mesures « temporaires » imposées durant la période de guerre, telles que la journée de travail de 12 heures.
Une très grande latitude sera laissée à l’employeur pour définir le temps de travail et son organisation, avec par exemple le possible triplement du volume horaire annuel des heures supplémentaires pouvant atteindre 360 heures (actuellement 120 heures). La journée de travail pourra durer jusqu’à 12 heures par jour.
Le congé annuel pourra être fractionné par l’employeur, ou interrompu de manière inattendue.
Les licenciements seront accélérés et facilités.
C’est là une menace qui vise l’ensemble de la classe ouvrière.
Mobilisation dans le secteur hospitalier, avec le regroupement syndical « Sois comme Nina »
La situation, de longue date, est particulièrement difficile dans le secteur hospitalier et, avec la guerre, n’a fait que s’aggraver : pénurie de personnel, charge de travail en hausse, réduction du nombre de jours de congé annuels, se combinent avec des fermetures d’hôpitaux et de postes de santé ruraux. Des hôpitaux profitent de la loi martiale pour licencier du personnel, réduire les salaires et imposer des heures supplémentaires non payées.
Alors que le salaire mensuel minimum des infirmières est de 320 euros, il est souvent payé en retard ou diminué, ce que permet la résolution n° 28 du conseil des ministres du 13 janvier 2023.
Entre 1991 et 2017, le nombre d’infirmières serait passé de 670 000 à 360 000 selon Nina Kozlovska, fondatrice du mouvement syndical des infirmières, « Sois comme Nina ». L’ensemble du personnel de soin a encore diminué de près de 140 000 personnes entre 2017 et 2022.
C’est ce qui explique que dans différents hôpitaux du pays, des collectifs syndicaux se sont unifiés sous l’appellation « Sois comme Nina », qui se composent principalement de femmes et regrouperaient plus de 85 000 membres.
La fondatrice explique : « Dans de nombreux hôpitaux, les employées souhaitaient avoir des syndicats indépendants. Nous avons donc commencé à créer des branches locales de syndicats. Sois comme Nina est devenue la plateforme de leur formation. Nous avons notre propre syndicat régional à Lviv, qui a initié la signature d’un accord avec d’autres syndicats indépendants. À l’avenir, nous prévoyons de créer une agglomération de syndicats indépendants à l’échelle de l’Ukraine. Ensemble, nous serons en mesure de protéger nos droits du travail, de développer les soins de santé et de vivre dans la dignité dans notre propre pays. » (Traduction Patrick Le Tréhondat)
Mobilisations étudiantes
Un autre secteur touché par les mobilisations est celui des étudiants, menacés en particulier par les fermetures et regroupements d’universités. Cette mobilisation se conjugue avec la reconstitution de l’ancien syndicat Action directe.
La nouvelle Action directe (Priama Diia) est née des protestations des étudiants de l’Académie ukrainienne de l’imprimerie, qui ont réussi à annuler la fusion de leur université avec l’Université nationale de Lviv.
Action directe appelle aussi à se mobiliser contre le projet de loi 10999 qui vise à imposer pour la majorité des formations, en échange de la gratuité des études, trois années de travail sur un poste et aux conditions décidées par un employeur ou un service pour l’emploi : « c’est comme une embuscade » explique Action directe, un « troc » coercitif puisque l’étudiant signerait un contrat en ignorant quel serait l’emploi imposé et ses conditions, sauf à rembourser en cas de refus.
Difficultés politiques
« Des tensions s’accumulent dans la société ukrainienne » – en relation avec les difficultés militaires, avec l’usure des soldats, le grand nombre de victimes mais aussi avec la poursuite de politiques néolibérales, imposées par le gouvernement sous prétexte de temps de guerre. (cf Oksana Dutchak, propos recueillis par P. Le Tréhondat, Blog Entre les lignes entre les mots, 03/02/24.) [1]
C’est dans ce cadre que le 8 février2024, le président Volodymyr Zelensky nomme Oleksandre Syrsky comme nouveau chef d’état-major, à la place du populaire Valeri Zaloujny avec lequel il y avait manifestement des divergences sans que celles-ci ne soient rendues publiques.
En raison de ces politiques, la mobilisation générale des efforts de la population subit une érosion.
Il y a un sentiment « d’injustice par rapport au processus de mobilisation, où les questions de la richesse et/ou de la corruption conduisent à mobiliser majoritairement (mais pas exclusivement) les classes populaires » (Oksana Dutchak, membre du comité de rédaction de la revue ukrainienne Commons). En 2022, ce fut un engagement massif de volontaires hommes et femmes On compte ainsi 60 000 femmes dans les forces armées ukrainiennes, plus de 42 000 d’entre elles occupant des postes militaires, 5 000 se trouvant sur la ligne de front, Aujourd’hui, le gouvernement peine à remplacer les soldats tués ou blessés, les troupes épuisées. Mais le 11 janvier, un projet de loi concernant la conscription était rejeté par la Rada. Un nouveau projet était ensuite présenté le 30 janvier.
Cela ne peut que renforcer la nécessité du combat contre les politiques anti sociales et la nécessaire solidarité avec la combat des salariés ukrainiens.
Nous soutenons les travailleurs, les étudiants et leurs organisations, et non pas la politique du gouvernement Zelensky
Nous soutenons tout particulièrement les organisations de travailleurs et d’étudiants dans leur combat contre l’occupation russe et contre les politiques anti-ouvrières, néo libérales.
Cette solidarité peut s’exprimer par un soutien financier, des rassemblements sur la voie publique, des conférences et expositions, etc.
Une concrétisation de cette solidarité, c’est –par exemple – la motion défendue au sein du congrès académique du SNES de Lyon, syndicat des personnels enseignants du second degrés, adoptée à l’unanimité.
UKRAINE : Soutien aux travailleurs, aux enseignants et aux étudiants.
« En Ukraine, les travailleurs et la jeunesse combattent sur deux fronts :
D’une part, ils contribuent directement ou indirectement à défendre leur territoire envahi et occupé par l’armée de Poutine
D’autre part, ils résistent, non sans difficultés, à la politique néolibérale du gouvernement et de la Rada (Assemblée), encouragée par la Banque Mondiale et l’Union Européenne.
Cela se traduit notamment par la fermeture d’hôpitaux, des licenciements de personnels médicaux, avec des charges de travail accrues, des salaires diminués (voire non payés), le regroupement d’universités.
Cette résistance est le fait, en particulier de jeunes syndicats, comme Sois comme Nina qui regroupe des infirmières et personnels soignants, ou le syndicat étudiant Priama Diia.
Le SNES avec la FSU apporte son soutien à ces syndicats comme cela est fait avec les autres syndicats ukrainiens ».
Un élément majeur de la situation mondiale
On ne peut préjuger des développements militaires et politiques de ce conflit, des capacités de résistance du peuple ukrainien. Quels que soient ces développements, ce conflit constitue d’ores et déjà un fait majeur de la situation mondiale, un conflit qui exclut tout retour à la situation antérieure.
Dans cette situation, l’objectif principal du prolétariat et de ses organisations ne peut être que celui d’infliger une défaite politique majeure à Poutine, ce qui passe par le retrait sans condition de l’armée russe de la totalité du territoire ukrainien.
Le 22 février 2024