Une nécessité : briser les protections dont bénéficie Macron
Ayant réussi à imposer sa réforme des retraites – en dépit de la mobilisation historique du printemps dernier contre cette réforme – Macron entend désormais poursuivre l’offensive, en s’attaquant notamment à l’enseignement public et aux statuts des enseignants, en poursuivant son objectif de liquider l’assurance chômage, en aggravant les lois contre les migrants, en développant une politique d’austérité, etc.
Ces objectifs sont eux aussi, comme le fut la réforme des retraites, largement rejetés par la population laborieuse qui, lors des manifestations du printemps, a clairement exprimé sa volonté d’en finir avec Macron et ce gouvernement.
Dans une situation où son gouvernement est minoritaire à l’Assemblée nationale, sur quel appui Macron peut-il donc compter pour poursuivre son offensive ?
30 août : douze heures de discussions à huis clos
Macron peut d’abord s’appuyer sur le fait que les partis dits « d’opposition » (et notamment ceux que l’on qualifie de « gauche ») ne mettent pas en cause sa légitimité à gouverner, à décider de nouvelles mesures anti sociales.
C’est ainsi que tous ces partis, sans exception, ont répondu à l’invitation que leur a lancée Macron pour discuter à huis clos de sujets tels que la politique internationale, l’immigration, la décentralisation ou le « faire nation », ce barbarisme à la mode pour signifier « renforcer le patriotisme et le chauvinisme ».
Douze heures de discussions loin des caméras et des journalistes, tous les téléphones portables ayant été déposés à l’entrée : une rencontre sans précédent dans l’histoire de la Ve République, qui a duré jusqu’à 3 heures 15 du matin.
Parmi les participants figuraient notamment Fabien Roussel pour le PCF, Olivier Faure pour le PS, Manuel Bompart pour la France Insoumise et Jordan Bardella pour le Rassemblement national…
Et tous ont accepté de renouveler l’exercice. Quelle meilleure légitimation pouvait espérer Macron de la part de ses « opposants » ? Une telle unité pour répondre « présent » à l’invitation faite par le président-Bonaparte est d’autant plus remarquable que – en ce qui concerne les partis dits « de gauche » - , ces deniers ne cessent entre eux de polémiquer et de se déchirer. Ils cautionnent ainsi en particulier la politique étrangère de Macron qui défend la place de l’impérialisme français en Afrique, place aujourd’hui très menacée, et n’apporte qu’un soutien très limité à l’Ukraine tout en prônant des négociations avec Poutine.
Et ils encouragent Macron à poursuivre son offensive contre les travailleurs français.
Invitations au « sommet »
Sur le terrain syndical, Macron procède avec une méthode analogue, et le même succès. Il a ainsi proposé de rencontrer en tête à tête, tour à tour, les principaux dirigeants syndicaux : ainsi Sophie Binet a-t-elle accepté courtoisement de bavarder avec Macron mardi 29 août, ce qui revient à légitimer les nouvelles mesures anti ouvrières en préparation. Mais celle-ci prétend, sans rire, qu’il ne serait pas possible de « dire si ce rendez-vous a été utile » car ignorant s’il en résultera « des infléchissements » dans la politique de Macron… Comme si Macron pouvait infléchir sa politique avec de telles rencontres !
Marylise Léon, qui remplace Laurent Berger à la tête de la CFDT a, elle aussi, droit aux mêmes égards.
« Nous n’avons pas de revanche à prendre sur le gouvernement »
C’est cette dirigeante qui exprime le plus clairement la volonté de ne pas combattre Macron et son gouvernement, leur apportant ainsi une claire protection politique, en affirmant : « nous n’avons pas de revanche à prendre sur le gouvernement ». Une telle orientation est un encouragement pour le gouvernement. Ainsi, le 1er septembre, le ministre de la Fonction publique révèle les grandes lignes d’un projet de loi s’attaquant aux fonctionnaires (recrutement, salaire au mérite, etc.). « Infléchissement » disait Sophie Binet le 29 août ?
Mais Marylise Léon ne parle pas seulement au nom de la CFDT. Elle exprime de facto l’orientation de l’intersyndicale et des 8 organisations qui la composent, aucune d’entre elle n’ayant exprimé de son côté la nécessité, et la volonté, de combattre Macron et son gouvernement.
Ce faisant, la CFDT – et avec elle l’intersyndicale - reste dans la continuité de l’orientation suivie lors de la mobilisation contre la réforme des retraites, orientation résumée alors en ces termes par Laurent Berger : « notre mobilisation n’est pas politique (…) la CFDT est dans un combat social, pas politique ».
Continuité d’une politique
On ne peut aujourd’hui faire abstraction des raisons qui ont contribué à l’échec de la mobilisation du printemps dernier contre la réforme des retraites, mobilisation qui fut historique par son ampleur et sa durée. L’orientation suivie par l’intersyndicale – constituée en juillet 2022 - fut en la matière décisive, d’autant plus décisive que son unité était un facteur de mobilisation, mais une mobilisation encadrée, canalisée, par le refus de combattre Macron et de lui infliger une défaite.
De ce refus résulta en particulier une politique de dialogue social ininterrompue durant les 3 mois qui précédèrent la première journée de grève le 19 janvier 2023 et qui se poursuivit jusqu’en juin, à l’exception d’une brève période en avril 2023
En résulta également le refus d’exiger le retrait de l’ensemble du projet gouvernemental, à l’exception d’un bref moment en janvier 2023, n’exigent le retrait que du seul volet concernant la durée de cotisation.
Les formes d’action choisies par l’intersyndicale résultèrent de cette orientation : ce fut une suite de journées d’action, de grèves et manifestations, segmentée en quatorze journées de janvier à juin 2023 et non pas une grève contrôlée par les assemblées générales de salariés, une grève générale reconduite de manière centralisée par des AG et délégués d’AG. Et ce fut aussi le refus, quand c’était possible et nécessaire, d’appeler à une manifestation centrale contre ce gouvernement. (cf. l’article : Un bilan incontournable, page 8)
Vers de nouvelles défaites ?
C’est donc de manière explicite que l’intersyndicale s’inscrit aujourd’hui dans la continuité de l’orientation qui fut la sienne durant l’année écoulée et qui conduisit à l’échec. Ouvrant ainsi la voie à de nouveaux échecs.
Sur cette voie, elle appelle à une journée d’action pour les salaires le 13 octobre.
Il est donc nécessaire d’en finir avec cette orientation, en commençant par rompre le dialogue social. Pour les organisations membres de l’intersyndicale, cela signifie reprendre à son compte les revendications des salariés et ne pas s’engager de nouveau dans des journées d’action plus ou moins successives.
À l’inverse, fixer un objectif à la hauteur des enjeux politiques ; infliger une défaite politique majeure à Macron et son gouvernement.
Il faudra le leur imposer. Cela passe par l’auto organisation des salariés et de la jeunesse – sur le terrain revendicatif mais aussi politique – et le débat à l’intérieur des syndicats, en particulier pour que l’intersyndicale mette fin à toute forme de soutien à Macron.