Décembre 2022 : succès de la grève des contrôleurs face à la direction de la SNCF et au gouvernement
Le week-end du 2 au 5 décembre, un important mouvement de grève des contrôleurs, les ASCT (Agent du Service Commercial Train) contraignit la direction de la SNCF à annuler plus de 60% des TGV et Intercités.
Première particularité de cette grève portant sur les rémunérations, notamment celles spécifiques à cette catégorie de salariés : la grève n’a pas été impulsée par les syndicats mais par un collectif national, le CNA (collectif national des ASCT).
Ce collectif rassemble sur Facebook plus de 3500 contrôleurs, syndiqués et non syndiqués, sur un total d’environ 9 000 contrôleurs. Le collectif s’affirme indépendant des syndicats tout en faisant appel à eux pour déposer les préavis de grève (que seuls ls syndicats sont habilités à déposer à la SNCF) et porter leurs revendications auprès de la direction.
La mise en place d’une telle coordination signifie clairement que les syndicats et leurs directions sont jugées peu efficaces (c’est un euphémisme) si l’on veut obtenir satisfaction, ce qui conduit les salariés à s’auto-organiser pour « pousser » les directions syndicales.
Une mobilisation catégorielle ?
Que ce soit le fait d’une catégorie particulière de salariés alors que toutes les catégories sont touchées par la baisse du pouvoir d’achat et la remise en cause de leur statut est assez logique : de même que les conducteurs, les contrôleurs (pour des raisons de sécurité) peuvent par leur grève bloquer la circulation du trafic voyageurs.
Et la classe ouvrière est une classe « pratique » : elle ne s’engage dans l’action que si (dans son ensemble ou pour une fraction d’entre elle) elle estime pouvoir gagner sur ses objectifs. De ce point de vue, rien ne sert de gémir sur le fait qu’une action soit seulement catégorielle (comme le fit par exemple Lutte Ouvrière).
À l’inverse, il convient de considérer que si une catégorie particulière obtient satisfaction, c’est un point d’appui pour toutes les catégories, et que c’est bien plutôt aux directions syndicales – non à une catégorie particulière - de faire valoir l’intérêt, l’efficacité de l’action unie. Mais sur ce plan, ce ne fut pas le cas : pour 2022, pour l’ensemble des travailleurs de la SNCF, les directions syndicales n’obtinrent même pas compensation de l’inflation générale.
C’est donc dans cette situation concrète que, durant l’automne 2022 fut mise en place cette coordination.
Au mois de novembre, des discussions se multiplièrent entre les directions syndicales et la SNCF concernant les revendications spécifiques mises en avant par les contrôleurs (ce que le gouvernement appelle le « dialogue social »). En vain.

Au cœur des revendications mises en avant depuis longtemps et auxquelles la SNCF ne répondait pas : la demande que les salaires et primes tiennent compte du fait que – comme les conducteurs - les contrôleurs sont des « roulants » et non des « sédentaires ».
Cela induit l’augmentation de certaines primes, leur intégration dans les salaires y compris durant les congés, leur prise en compte pour les retraites.
Faute d’avoir satisfaction, le collectif obtint des syndicats le dépôt d’un préavis de grève pour le week-end du 2 au 5 décembre ; et SUD Rail appela « les ASCT qui ne se sont pas encore déclarés grévistes à rejoindre leurs collègues ».
La grève fut massive.
De nouveau la grève, pour le week-end de Noël
Le 8 décembre la direction de la SNCF proposa aux syndicats et à la coordination quelques mesurettes concernant notamment la « prime de travail », et le déroulement de carrière. Les directions syndicales jugèrent alors qu’on ne pourrait pas pour l’instant obtenir davantage. Et qu’il valait mieux attendre janvier quand se poserai la question des retraites. Et l’UNSA retira son préavis.
La coordination prouva alors, même si ce fut non sans réelle difficulté, son utilité.
Loin de se déclarer satisfaite par les premières propositions, elle tenta d’organiser une consultation des contrôleurs. Mais le vote fut parasité. De leur côté, les syndicats ne firent pas mieux. SUD-Rail expliqua ainsi ne pas pouvoir « dégager une position majoritaire ».
Qu’à cela ne tienne : le collectif décida alors de s’appuyer sur le nombre de D2I (déclarations individuelles obligatoires pour les futurs grévistes) et l’un de ses animateurs put alors conclure qu’elles « sont tellement nombreuses » qu’elles prouvent que les agents « ne sont pas satisfaits des propositions » de la SNCF.
À la demande du CNA, SUD-Rail, puis la CGT le 19 décembre, durent donc confirmer un nouveau préavis de grève pour le week-end de Noël, mais en se gardant d’appeler à la grève. Du côté du gouvernement, ce fut alors l’indignation, et la colère face à l’imprévu. Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, affirme ainsi sans rire qu’il s’agit d’un « dévoiement » du « dialogue social, pour servir d’étendard à des revendications individuelles ».
Et la direction fit savoir que les discussions étaient closes ; « nous avons donné toutes ses chances au dialogue social » déclare le PDG de SNCF Voyageurs, « je peux comprendre qu’il y ait des revendications, mais pour les congés de Noël ce n’est pas le moment ».
Menace de grève pour le jour de l’An
Problème : au-delà de la grève annoncée pour Noël, c’est une nouvelle grève qui se profilait pour le jour de l’An. Et Macron avait beau tempêter, aucune nouvelle mesure législative ne pouvait être adoptée d’ici là pour l’éviter.
La direction de la SNCF reçut alors consigne de trouver une issue : s’il était trop tard pour éviter la grève à Noël (du fait du temps nécessaire pour préparer les trains), du moins fallait-il l’éviter pour le week-end suivant.
Le PDG de la SNCF reçut donc les syndicats le jeudi 22 décembre ; et fit de nouvelles propositions, cette fois-ci plus sérieuses.
Celles-ci sont acceptées le lendemain. Avec l’accord du CNA, les préavis de grève sont retirés. Si le réseau est en partie paralysé le week-end des 24-25 décembre, le gouvernement évite au moins la grève pour les 30 et 31 décembre.
Au prix d’un substantiel recul.
Le très réactionnaire JDD s’offusque : « c’est une victoire sur toute la ligne que viennent d’arracher les chefs de bord (…) Le collectif des contrôleurs a obtenu ce qu’il réclamait depuis octobre ».
Un document de 17 pages entérine ce qui, au final, est concédé.
Des reculs sensibles de la direction de la SNCF
Titré « accord de sortie du conflit ASCT », ce document assez technique précise ce qui a été obtenu, en particulier :
« Intégration de l’indemnité spécifique métier Bord d’un montant de 60 euros bruts par mois, soit 720 euros bruts annuels, dans la prime de travail pour versement dès janvier 2023. Cette mesure sera également applicable aux RET. Elle augmente le liquidable.
D’ici 2025, ajustement du taux cible de classe 4 (qualif D) pour TGV à hauteur de 60% et pour TER à hauteur de 25% à 30 % selon les territoires. » (Selon l’existence d’un accès TGV sur la région).
Est acté en outre le passage hors contingentement à la position de rémunération (PR) supérieure pour tous les ASCT qui sont sur la même position de rémunération depuis au moins avril 2019 ; et la garantie pour tous les ASCT d’une promotion tous les 4 ans en PR, en niveau ou en qualification.
Des hausses d’effectifs sont annoncées : recrutement de 160 agents supplémentaires en 2023 et la création de 40 emplois supplémentaires fléchés sur les trains sensibles. Au total, 550 recrutements d’ASCT sont prévus pour 2023.
À cela s’ajoute la recréation de la ligne métier avec la mise en place d’un directeur métier au niveau de la SA Voyageurs et de référents métiers dans les activités (Voyages, TER, Intercités, Transilien) ; et la création d’une instance nationale chargée, entre autres, du suivi des mesures de l’accord (notations, emplois, etc.).
L’annexe précise que les mesures décrites « concernent les salariés statutaires et les salariés contractuels. Elles seront mises en œuvre pour les contractuels avec des mesures équivalentes en déroulement de carrière et en rémunération que celles définies pour les statutaires ».
Nombre de considérations techniques sont précisées. Et SUD Rail commente : « Dans le détail, de nombreuses revendications ont été satisfaites. C’est donc l’ensemble des agent·es de la filière Trains (Inoui, TER, Transilien, Ouigo, Intercités) qui sont aujourd’hui les gagnant·es de cette mobilisation exceptionnelle. »
Surmonter l’obstacle des bureaucraties syndicales
C’est l’outil du CNA qui a permis de surmonter les réticences des bureaucraties syndicales, et les obstacles mis en travers de la mobilisation, dont celui de la division.
L’opposition fut parfois frontale : Laurent Berger a ainsi affirmé que « la CFDT n’est pas d’accord avec cette grève » – y compris contre l’avis de la fédération CFDT Cheminots et a appelé à « sauver le week-end du Nouvel An ».
D’autres furent plus sourdes : ainsi l’UNSA participa d’abord au dépôt des préavis de grève… avant de s’en retirer rapidement.
FO, de son côté, déclara soutenir les contrôleurs, sans jamais mentionner l’existence du CNA.
Quant à la CGT et à SUD Rail, s’ils maintinrent le préavis de grève déposé pour la période des fêtes, ils le firent sans appeler eux-mêmes à la grève !
Et aucune de ces organisations ne remit en cause leur politique antérieure, notamment l’acceptation du dialogue social, laquelle politique conduisit les contrôleurs à créer le Collectif national.
Au contraire, la secrétaire nationale de la CFDT Cheminots explique que « les collectifs naissent d’absence de proximité avec le management de l’entreprise et avec les organisations syndicales ». Ce qu’elle incrimine, c’est la réorganisation sociale de l’entreprise, avec la création de comités sociaux et économiques (CES) remplaçant les comités d’entreprise, les délégués du personnel et les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). De ce fait, le nombre de représentants du personnel aurait diminué de 70%.
SUD Rail tient un discours analogue. Dans sa déclaration du 23 décembre, ce syndicat explique : « Depuis le mois d’octobre, la fédération SUD-Rail a soutenu les contrôleurs auto-organisés au sein d’un collectif national. Cela serait une erreur de la direction SNCF de ne pas s’interroger sur ce malaise social qui existe … et qui a explosé ces derniers jours. Pour notre organisation syndicale, l’une des raisons principales est la mise en place des lois Macron concernant l’instance unique CSE et la suppression trop importante de représentants du personnel de proximité (Délégués du Personnel et Représentants CHSCT). Ce n’est pas en affaiblissant les organisations syndicales dans les entreprises que les revendications des salariés disparaissent ! ».
Autrement dit : mieux aurait valu un plus grand nombre d’élus syndicaux qu’un collectif national produit du mouvement spontané !
Dialogue social : des silences et un aveu
La direction de la CGT, quant à elle, manifesta tellement de réticences qu’elle fut ensuite obligée de se justifier publiquement. Bien maladroitement. Dans un tract du 23 décembre, la direction de la CGT justifie en ces termes son peu d’intérêt pour le collectif (et, de fait, pour cette mobilisation) : « Le Collectif et la CGT : malgré ce qui a pu être écrit, la fédération CGT n’a jamais été contactée pour intégrer le groupe. La CGT n’a pas cherché non plus à s’y associer. Pourquoi ? Si 90 % des revendications étaient communes (prime de travail, déroulement de carrière, listing ASCT), l’essence même du syndicalisme CGT est de défendre et de porter les revendications de tous les salariés quels que soient leur activité et leur grade. Même si la situation a évolué par la suite, les ASCT TER et Transilien, ainsi que les RET, avaient été oubliés dans les premiers écrits du groupe ».
Mais la direction de la CGT n’a rien à dire sur la baisse générale du pouvoir d’achat et sa politique de dialogue social.
Au moins le ministre des transports est-il plus clair : « j’ai toujours fait la distinction dans ce conflit entre les organisations syndicales et les grévistes Facebook. Nos démocraties sont de plus en plus confrontées à ces mouvements spontanés qui se créent très brutalement sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, les revendications ont du mal à se structurer (…) ». Et Clément Beaune d’expliquer dans le même journal (JDD du 24 décembre) :
« On aura des désaccords avec les syndicats, notamment sur la réforme des retraites, mais il faut absolument continuer le dialogue social, comme l’a indiqué la Première ministre. Si on lâche, (…), on sera dans un désordre permanent, négatif pour tous ! »
La tristesse de quelques groupes
Dans l’ombre de la direction de la CGT, divers groupes ont manifesté des réserves parfois analogues. Ainsi l’hebdomadaire de L.O. prend acte de cette grève, mais sans enthousiasme. Il note que les revendications ont été « formulées de manière catégorielle ». Puis commente le vote que le CNA tenta d’organiser via Facebook :
« Cette consultation, bien différente d’assemblées générales de travailleurs débattant collectivement, fut très vite massivement piratée puis annulée ’la mort dans l’âme’ pour cause de fraude ».
À la méthode utilisée par les contrôleurs, L.O. oppose « sa » méthode. Quelques jours avant la grève prévue à Noël, l’hebdomadaire de LO conclut son article en ces termes :
« Quelle que soit l’ampleur de ce nouveau mouvement, c’est bien en organisant la lutte par eux-mêmes et en se donnant les moyens, par le biais d’assemblées générales et de comités de grève élus, que les grévistes peuvent, à la SNCF comme ailleurs, diriger leur mouvement consciemment et démocratiquement ».
Autrement dit, faute d’AG et de comité de grève élu, les travailleurs ne pouvaient diriger leur mouvement « consciemment et démocratiquement ».
Un autre article de L.O. (le 7 décembre) enfonçait déjà le clou : « De toute façon, (…), il faudra aller vers un mouvement général, inter-catégoriel et contrôlé par les travailleurs, par des assemblées générales et des comités de grève élus. Seul un tel mouvement pourra imposer les revendications vitales du monde du travail et semer la panique dans le camp adverse. »
Certes, ce sont là des formulations ultra-classiques, banales pour des militants révolutionnaires, mais qui tournent au fétichisme quand elles s’opposent au mouvement réel. Car dans cette grève, les contrôleurs surent trouver le moyen de s’organiser face à la direction de la SNCF, et de s’organiser de manière indépendante des bureaucraties syndicales tout en les contraignant à déposer les préavis et à défendre leurs revendications.
D’autant que l’activité du CNA ne se réduisait pas à Facebook et Telegram. Il y eut des assemblées et moments de rencontre entre contrôleurs dans leurs locaux. Et le 2 décembre le CNA appelait à des assemblées dans tous les établissements.
Révolution Permanente formule les mêmes critiques : « À bien des égards cette grève impulsée par la base est très progressiste dans la période. Néanmoins, sans tirer des bilans définitifs, il nous faut aussi dialoguer sur les limites de cette grève et du CNA. (…) ». Est notamment critiquée « une forme de ’verticalité’ » et l’absence d’espace réellement démocratique.
« (…) Cette expérience démontre que l’organisation en collectif ou encore l’utilisation d’un réseau social pour communiquer, ne peuvent se substituer aux principes élémentaires de démocratie ouvrière. Il y a donc urgence à ce que les contrôleurs définissent collectivement les règles de démocratie de ce collectif sans attendre l’avis d’une poignée de leaders auto-proclamés (…).
Une autre limite importante à laquelle la grève des contrôleurs s’est heurtée tient au caractère ’catégoriel’ ou ’corporatiste’ du mouvement. (…). La nécessité d’élargir à minima la grève à tous les salariés de la SNCF aurait dû se poser, qui plus est, après les 2% accordés par la SNCF lors des négociations annuelles du 7 décembre. (…) »
À l’inverse de ces positions pour le moins frileuses vis-à-vis de la grève des contrôleurs, il convient d’affirmer
Que cette mobilisation était totalement légitime,
Qu’elle a mis le gouvernement en difficulté,
Qu’elle a su pour cela surmonter les obstacles dressés par les appareils syndicaux,
Qu’elle l’a fait en se dotant d’un outil d’auto-organisation (aussi imparfait puisse-t-il être jugé),
Et que pour ces raisons, cette mobilisation est un point d’appui pour tous les travailleurs de la SNCF et, au-delà, pour l’ensemble des salariés.
Un tel point d’appui est précieux pour combattre face aux nouvelles attaques programmées par Macron.
5 janvier 2023