2020-2022 : plus de deux ans de régimes d’exception
Le 31 juillet 2022 ont pris fin deux régimes d’exception instaurés par le gouvernement Macron dans le cadre de la crise du Covid19. Ces deux régimes d’exception, le régime d’« état d’urgence sanitaire » et le régime de « sortie d’état d’urgence sanitaire », n’ont pas été inscrits dans le droit commun comme Macron l’aurait souhaité. Les articles du code de la santé publique relatifs au premier régime (« d’état d’urgence sanitaire ») ont ainsi été abrogés, à l’exception de quelques-uns d’entre eux. Quant à la loi relative au second régime (le régime de « sortie de l’état d’urgence sanitaire »), elle est devenue caduque. Un échec, relatif, de la macronie qui traduit une résistance de classe malgré tout ?
Avant mars 2020, de nombreux outils anti-démocratiques
La Ve République est l’un des régimes les moins démocratiques de l’Union Européenne. Ceci réside notamment dans les pouvoirs exorbitants du président, et donc du gouvernement qu’il nomme. Plusieurs outils témoignent de ces pouvoirs dans la Constitution de la Ve République : possibilité est donnée au président de la République de s’attribuer des pouvoirs exceptionnels (article 16), de décréter l’état de siège (article 36), de faire adopter une loi sans vote (article 49, al. 3), de légiférer par ordonnances c’est-à-dire sans discussion au sein du Parlement (article 38), de dissoudre l’Assemblée nationale… D’autres outils complètent ce dispositif anti-démocratique comme la loi relative à l’état d’urgence, en cas de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou d’événement présentant un « caractère de calamité publique », l’article L. 3131-1 du code de la santé publique en « cas de menace sanitaire grave ». Parmi tous ces dispositifs, trois sont appelés des régimes d’exceptions : les pouvoirs exceptionnels, l’état de siège et l’état d’urgence.
Mais en mars 2020, Macron a estimé que ces outils ne lui suffisaient pas et le 23 mars 2020, il introduisait dans le droit français un nouveau régime d’exception : « l’état d’urgence sanitaire ». Plusieurs voix se sont alors levées, montrant leurs inquiétudes concernant ce nouvel outil juridique, et estimant que les outils existants étaient suffisants pour permettre au gouvernement de gérer la situation. Mais, comme le montreront très vite les décisions du gouvernement, l’objectif de Macron était d’utiliser la situation sanitaire pour introduire de nouveaux outils juridiques permettant de soumettre encore plus les salariés et la jeunesse.
L’état d’urgence sanitaire, un outil antidémocratique façon 2020
De fait, les premières mesures prises en mars 2020 l’ont été avant le vote de la loi créant le nouveau régime d’exception d’état d’urgence sanitaire. Les mesures limitant les rassemblements à moins de 1000 personnes puis à moins de 100 personnes, la fermeture d’établissements ont ainsi été permises en référence de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique (arrêtés du 9, 14, 15 mars 2020 et décret du 17 mars 2020).
Le confinement, c’est-à-dire l’interdiction de déplacement de personnes hors de leur domicile, a été déclaré par décret le 16 mars en s’appuyant sur ce même article L. 3131-1. Dans la même veine, un autre décret créait le lendemain l’infraction de violation du confinement. [1]
La loi du 23 mars 2020 qui instaure dans le code de la santé publique le nouveau régime d’exception nommé « état d’urgence sanitaire », permet d’intégrer dans la loi cette restriction majeure de libertés et multiplie les délits de violation de confinement.
Cette loi reprend les grands principes de la loi d’état d’urgence « classique » (loi de 1955). Mais l’assignation à résidence de la loi de 1955, qui est individuelle et doit être motivée d’un point de vue sécuritaire, est remplacée par l’interdiction de sortir de son domicile, individuelle ou concernant toute une population et motivée d’un point de vue sanitaire. Les infractions de violation de confinement sont en outre précisées : les peines encourues vont de 135 euros d’amende à 6 mois de prison [2]. Ce nouveau régime répressif est donc beaucoup plus étendu que le régime d’état d’urgence « classique » (loi de 1955), dont la dernière application remontait à 2015 et avait duré deux ans.
Parallèlement à cette atteinte à la liberté de mouvement, le gouvernement mettait en place (décrets du 17 mars et du 23 mars) un premier type de laissez-passer permettant de sortir, ponctuellement, de son domicile : auto-attestation sur l’honneur ou attestation d’un tiers comme l’employeur.
En outre, la loi du 23 mars 2020 complétait cet état d’urgence sanitaire, répressif, par la possibilité donnée au gouvernement de légiférer par ordonnance dans de très nombreux domaines.
Un dispositif complété par un fichage massif
Ce contrôle social permis par la restriction des libertés individuelles a par la suite, en mai, été complété par un nouvel outil, le fichage de données à caractères personnelles, relevant de la vie privée, au nom de la lutte contre le Covid19 : le fichier SI-DEP et le fichier Contact-Covid (loi du 11 mai 2020).
Ces fichiers, encore actifs en 2023 (voir encart), portent une atteinte fondamentale à la protection de la vie privée, avec violation du secret médical et de la protection des données de santé.
Macron souhaite pérenniser l’état d’urgence sanitaire
Dès mars 2020, la forme choisie par le gouvernement pour mettre en place le régime d’« état d’urgence sanitaire » sous-entendait que ce dispositif serait pérennisé. De fait, la loi créant ce régime modifiait le code de la santé publique en y ajoutant un chapitre 1er bis intitulé « État d’urgence sanitaire » (loi du 23 mars 2020). Pour comparaison, lorsqu’en juillet 2020, Macron a créé un second régime d’exception, « de sortie de l’état d’urgence sanitaire », le code de la santé publique n’a pas été modifié.
Cette volonté de pérenniser ce régime d’exception a été officialisée par le projet de loi déposé le 21 décembre 2020 par le gouvernement de Macron. Ce projet visait à créer de façon pérenne un régime d’« état d’urgence sanitaire » qui reprenait les grandes lignes de celui instauré, de façon non pérenne, en mars 2020.
Ce projet de loi du 21 décembre 2020 ajoutait en outre une nouvelle atteinte à la liberté de mouvement et à la vie privée : la possibilité de subordonner les déplacements, l’accès à certains lieux (loisirs, transports...) et à certaines activités « à la présentation d’un test de dépistage », « au suivi d’un traitement préventif » (« y compris l’administration d’un vaccin ») ou au suivi « d’un traitement curatif ». Le laissez-passer mis en place lors des confinements précédents, fondé sur une auto-attestation (avec éventuel justificatif) et s’appliquant à toute la population, était remplacé par un laissez-passer fondé sur des critères de santé et délivré par l’État. Le projet de loi précisait que les modalités seraient fixées par décret.
Ainsi à la possibilité de confiner une population et de l’inculper en cas de non-respect, Macron ajoutait dans la loi la possibilité de discriminer une population dans son accès à certains lieux, selon des critères de santé, relevant rappelons-le de la vie privée. Le projet de loi créait également un second régime d’exception, plus light, nommé « état de crise sanitaire ».
Face au tollé que suscita ce projet de loi, et notamment le passage précis concernant la possibilité de conditionner la possibilité de travailler à une injection vaccinale, le ministre de la santé Véran renvoya dès le lendemain de son dépôt le texte à « plus tard ». [3] En pleines vacances de Noël, des députés opposés à Macron (de la bourgeoisie comme les RN et LR ou se réclamant du mouvement ouvrier comme la FI) étaient notamment intervenus vivement. Au-delà, c’est la crainte d’un mouvement de masse qui fit reculer Macron. De fait, le mois de décembre avait été houleux et des manifestations massives avaient vu le jour contre la Loi Sécurité Globale, dont le gouvernement dû retirer quelques aspects « trop » répressifs. [4] Mais Macron ne désarma pas pour autant et revint bientôt à la charge.
Macron poursuit ses objectifs malgré un échec relatif
Alors que la loi du 15 février 2021 ne fait que proroger les régimes d’exception d’état d’urgence sanitaire et de sortie de l’état d’urgence sanitaire (votées en mai et juillet 2020), la loi du 31 mai 2021 est un nouveau coup porté contre les travailleurs et la jeunesse : elle créé un nouveau régime de « sortie de l’état d’urgence », qui reprend celui qui avait été créé à l’été 2020 mais le durcit avec l’introduction de laissez-passer selon des critères de santé. Ce qui avait été proposé dans le projet de loi du 21 décembre 2020 est, cinq mois plus tard, approuvée. Nommé « pass sanitaire », cet outil de contrôle social est valide si on enregistre sur SI-DEP un test virologique négatif ou un certificat de vaccination ou de rétablissement du Covid. En plus d’une atteinte à la vie privée, c’est une nouvelle forme de discrimination qui est officiellement actée. Et une nouvelle forme de contrôle social.
Dans sa version initiale, du 31 mai 2021, le laissez-passer concerne un public restreint : les voyageurs en provenance de l’étranger et, sur le territoire français, ceux qui souhaitent accéder aux « « établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels ». Et ce régime d’exception ne doit durer que jusqu’au 30 septembre.
Mais, dans un second temps, Macron annonce, le 12 juillet 2021, le durcissement de ce régime. La loi du 5 août 2021 prolonge ce second régime jusqu’au 15 novembre 2021 et élargit le laissez-passer à nombre de lieux impliquant de petits ou grands rassemblements d’individus : lieux de loisirs, de restauration, foires et salons professionnels, établissement de santé (sauf en cas d’urgence), transports interrégionaux et, sur décision locale, grands centres commerciaux. Par conséquent, ce régime d’exception impose à des millions de travailleurs de ne pouvoir travailler que s’ils possèdent ce laissez-passer, contraignant ainsi nombre d’entre eux à se faire vacciner. Et la loi du 5 août va encore plus loin en imposant, sans date butoir, l’obligation vaccinale au personnel de santé sous peine de voir leur contrat suspendu. [5]
Six mois plus tard, le 22 janvier 2022, une nouvelle modification du régime de « sortie d’état d’urgence sanitaire » redéfinit le laissez-passer comme un pass-vaccinal : les tests virologiques ne permettant plus de délivrer ce sésame (sauf pour aller à l’hôpital). Une possibilité que prévoyait également un an plus tôt le projet de loi du 21 décembre 2020, qui avait dû être reporté sine die.
Demi-teinte côté Macron
On pourrait voir dans la mise en place du pass-vaccinal la réalisation de l’objectif que s’était fixé Macron : contrôler les moindres mouvements d’une population et la contraindre à s’administrer un traitement. Certes ce contrôle n’était pas centralisé d’un point de vue étatique, mais la population a accepté, globalement et souvent sous la contrainte, le principe d’un tel contrôle social. Ceci ouvre la possibilité à d’autres dispositifs analogues et encore plus répressifs (par exemple, en cas de confinement, remplacer les auto-attestation par un pass à badger dans tous les lieux où on se rend, et dont les informations seraient centralisées...).
Toutefois même en janvier 2022, les mesures prises par Macron sont toujours moindres que les possibilités dont il aurait aimé pouvoir disposer avec son projet de loi de décembre 2020. Par exemple, ces mesures ne sont toujours que temporaires (même si les deux régimes d’exceptions ont été prorogés jusqu’au 31 juillet 2022), le laissez-passer n’a pu être imposé à tous les corps de métiers (même si beaucoup y ont été contraints), et la délivrance d’un laissez-passer ne peut être conditionnée au « suivi d’un traitement curatif » (en plus de la possibilité de le conditionner à un traitement préventif, comme un vaccin).
Demi-teinte du côté des salariés et de la jeunesse
Et six mois plus tard, avec la loi du 30 juillet 2022, le régime d’état d’urgence est abrogé, le régime de sortie d’état d’urgence devient caduc et avec lui les laissez-passer. Sont toutefois intégrés dans le code de la santé publique des délits de violation de confinement individuel de personnes entrant sur le territoire hexagonal (la loi du 30 juillet façonne deux nouveaux articles L. 3131-12, L. 3131-13 statuant sur ces modalités de confinement, et l’article L. 3136 légifère sur les sanctions). En outre, d’autres mesures prises en dehors de ces régimes, mais en lien avec la situation, sont maintenues. Ainsi en est-il de la suspension des soignants non vaccinés ou du fichage de données de santé.
Une cause de cet échec relatif : la perte par Macron de la majorité absolue à l’Assemblée lors des élections législatives de 2022. Perte liée à sa politique menée contre les travailleurs et la jeunesse, qui se sont malgré tout battus, dans un contexte très difficile de collusion presque totale des directions syndicales avec l’appareil d’état concernant la restriction des libertés pendant deux ans, et d’absence de combat mené dans la rue par les groupes politiques qui disent les défendre.
Témoignent de ces combats les mouvements sociaux lors du premier déconfinement en 2020 (avec les sans-papiers et les hôpitaux, contre les violences policières), le mouvement contre la loi Sécurité Globale (qui a débuté pendant le second confinement) et le mouvement anti-pass qui s’attaquait ouvertement à la politique liée à l’état d’urgence sanitaire (ce mouvement a été le plus long : initié en juillet 2021, les mois d’été comptent les plus fortes mobilisations, une dernière manifestation relativement importante aura lieu début janvier 2022). En janvier 2022, la grève massive des enseignants du premier degré, essentiellement, imposée aux directions syndicales et notamment contre la situation imposée par les mesures sanitaires, en est aussi révélatrice.
2020-2022 : ce sont donc plus de deux années marquées par des restrictions massives, en premier lieu concernant la liberté de circulation, qui se sont appuyées sur une discrimination de masse et un fichage de masse, avec l’utilisation d’outils numériques. De nombreuses organisations et militants se réclamant du mouvement ouvrier ont refusé de combattre ces lois, avançant des arguments politico-sanitaires. Cet article ne traite volontairement d’aucun de ces arguments. Car aucun, par principe même, ne saurait justifier l’acceptation de la restriction des libertés démocratiques, et notamment de la liberté de circulation (sans parler des autres conséquences pour nombre de travailleurs). Combattre aujourd’hui les nouvelles mesures liberticides que le gouvernement Macron veut mettre en place nécessite la compréhension des objectifs liberticides qu’a poursuivis Macron au nom d’une crise sanitaire, qu’il souhaitait certes résoudre mais avec des outils capitalistes et coercitifs. Cela nécessite aussi la poursuite du combat contre les mesures qui sont restées (ce qui passe notamment par l’exigence de l’abrogation du fichage sanitaire, la réintégration des soignants suspendus et l’abrogation de la loi du 5 août 2021, la défense de la liberté de prescription médicale). De même que les organisations du mouvement ouvrier doivent toujours combattre les politiques liberticides des gouvernements, avancées « au nom de notre sécurité », elles doivent combattre les mesures liberticides mises en place « au nom de notre santé » et de tout autre « au nom de ... ».
janvier 2023
Ce fichage a été mis en place par la loi du 11 mai 2020 : l’article 11 de cette loi crée des systèmes d’information afin d’identifier les « personnes infectées » et les « personnes présentant un risque d’infection » suite à un contact avec une personne infectée (ce qui nécessite la collecte des « contacts »). Deux fichiers sont créés par décret le 12 mai 2020 :
* SI-DEP qui répertorie les données personnelles et médicales concernant la personne infectée
* et Contact-Covid qui répertorie les données personnelles de la personne infectée et de tous les contacts qu’elle déclare.
La fin de ces fichiers a été reportée plusieurs fois. La loi du 30 juillet 2022 a prorogé le fichier Contact-Covid jusqu’au 31 janvier 2023 et le fichier SI-DEP jusqu’au 30 juin 2023. Mais l’ensemble des données collectées, pseudonymisées, sont versées au SNDS (Système National des Données de Santé), qui les conservent 20 ans (cette mesure a été ajoutée par la loi du 31 mai 2021 et validée par le Conseil constitutionnel à condition que les coordonnées téléphoniques et mails ne soient pas versées au SNDS…).