Culture, Violences physiques et discriminations
Nantes : drame, art et politique
Nantes. Place Royale, la fontaine déverse son eau dans des bassins circulaires. Au centre sur un piédestal, une statue blanche d’Amphitrite, déesse antique de la mer, tandis qu’en contrebas, des statues de bronze entourent l’un des bassins : la Loire, incarnée par une femme assise, et ses affluents.
« Voyages à Nantes »
Depuis quelques temps, d’autres statues blanches recouvrent la place, par centaines. Sur nombre d’entre elles et sur la fontaine, une ou plusieurs feuilles blanches sont accrochées. Imprimées à l’encre noire, elles portent les mêmes mots : « Où est Steve ? ».
Les statues blanches sont celles de l’artiste Stéphane Vigny, installées à l’occasion de l’événement culturel estival « Le Voyages à Nantes ». Cet artiste détourne souvent les usages en fonctions d’objets courants. À Nantes, découvrant que les façades qui entourent la place Royale ne sont en fait que des copies des immeubles qui y ont été détruits par les bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale, il a décidé de remplir la place d’autres copies (ou copies de copies) : celles de statues antiques ou de statues représentant des scènes de la vie quotidienne que l’on trouve dans des musées ou dans des jardins.
Le 10 juillet, un collectif de dessinateurs recouvre la fontaine et accroche sur les statues blanches réparties tout autour de multiples copies d’un écriteau sur lequel sont écrits trois mots : « Où est Steve ? ».
Les organisateurs de l’événement « Le Voyages à Nantes » font aussitôt enlever les écriteaux. Mais le lendemain, les écriteaux sont à nouveau là. Les organisateurs contactent alors l’artiste : « Il pense que cette œuvre est là pour provoquer et il ne voit pas d’inconvénient à ce qu’elle soit support de messages. Donc on a décidé ensemble de laisser faire. Ça fait partie de l’enjeu de l’espace public qui appartient à tout le monde ». Pour l’artiste, cette cause est « une cause plus qu’honorable ».
« Où est Steve ? ».
Le corps de Steve Maia Caniço a disparu suite à une charge policière dans la nuit du 21 au 22 juin. Comme beaucoup d’autres il dansait en cette nuit de la fête de la musique, sur les bords du fleuve, et face à la charge policière et au gaz lacrymogène, il s’était, avec d’autres, retrouvé dans la Loire.
Le gouvernement a aussitôt cherché à étouffer l’affaire. Les prises de positions d’élus politiques ont été très rares. Et fin juillet, alors que le corps venait juste d’être repêché, le gouvernement transmettait à la presse la synthèse d’un rapport de l’IGPN disculpant la police, puis cherchait à empêcher toute manifestation.
Les écriteaux place Royale accrochés aux statues font partie de la campagne menée par des citoyens, militants ou non, pour que le corps de Steve soit retrouvé et que toute la vérité soit faite. Par ces écriteaux, ils ont transformé l’installation apolitique de Stéphane Vigny en œuvre politique. En les réinstallant sans cesse, l’œuvre politique s’approprie l’espace public et interpelle le novice qui traverse la place... et les médias.
Le combat pour que toute la vérité soit faite et que le gouvernement reconnaisse sa responsabilité se poursuit. Ce combat rejoint tous ceux menés contre les violences policières, qui humilient, blessent mais aussi tuent : de janvier 1977 à décembre 2018, Bastamag a recensé 578 morts à la suite d’interventions policières (plus de 20% sont morts suite à un contrôle d’identité).
Place Royale, ce mois d’août, sur une banderole recouvrant la statue de la Loire, « Où est » a été recouvert de noir et seul « Steve » demeure. Sur les statues blanches de la place, à nouveau les écriteaux interrogent les badauds, avec de nouveaux mots : « Où est la justice ? ». Et sur un poteau, sous les mots « Justice pour » s’égrènent des noms : Steve, Zineb, Aboubacar, Adama...