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Scolarisation obligatoire dès 3 ans : vers la mort des maternelles
Le projet de loi Blanquer veut rendre l’école obligatoire dès l’âge de 3 ans (article 2), alors que 97 à 98 % des enfants de cet âge sont déjà scolarisés. Sur les 28 000 enfants non scolarisés à 3 ans (sur 800 000 environ), 10 000 sont dans des jardins d’enfants, 8 000 dans des territoires comme la Guyane et Mayotte où la loi ne sera en réalité pas appliquée avant des années. Le restant relève de l’enseignement spécialisé.
Une mesure anti laïque
Cette mesure permet, en premier lieu, d’étendre l’application de la loi Debré de 1959 aux actuelles écoles maternelles, en imposant aux communes un financement public supplémentaire et obligatoire des écoles privées pour les enfants de 3 à 6 ans. Les mairies, qui doivent financer une partie des charges des écoles privées sous contrat vont donc devoir mettre la main à la poche. De 100 à 200 millions devraient être transférés au privé sous contrat (essentiellement confessionnelles) sans aucun service supplémentaire rendu en échange. Et cet article de la loi entre en application dès la rentrée 2019.
Maternelles publiques menacées par le privé
L’obligation de scolarité à 3 ans suspend la scolarisation des 2 ans. Cela permet la totale disparition des petites sections (PS) de maternelle et favorise l’extension des crèches privées.
La loi Blanquer autorise, jusqu’en 2023, de déroger au code de l’éducation en inscrivant un enfant en jardin d’enfant au lieu de la maternelle. Quelle place aura la maternelle si les jardins d’enfants se pérennisent (ce que demandait le Sénat) ? Rien ne dit qu’ils ne se maintiendront pas définitivement comme une structure parallèle à la maternelle, et socialement ségrégative.
C’est la voie ouverte à la privatisation de la scolarisation à l’image des « Kindergarten » allemands pour un coût autour de 300€ ou des Preschool américains entre $800 et $1,000 par mois.
En effet, si la possibilité de déroger à la scolarisation des 3 ans par une inscription en jardin d’enfant est présentée comme provisoire, la mise en concurrence des écoles publiques avec les écoles privées dont les financements seront abondés par le budget des municipalités, alors que nombre de postes sont à nouveau supprimés en maternelle publique est une lourde menace.
D’autant que cette nouvelle obligation faite aux communes va encore accroître leurs difficultés financières. « Pour davantage financer l’école privée, on va demander aux communes de faire des économies sur leurs écoles publiques », affirme un adjoint au maire.
Dans nombre de communes, la dégradation des conditions d’accueil et d’encadrement (manque de salles de classes, nombre d’ATSEM insuffisant...) se poursuivra.
Une maternelle totalement dénaturée
La loi Blanquer définit l’école maternelle comme un lieu exclusivement consacré à l’instruction. Cela est confirmé et précisé dans la circulaire de rentrée : les enfants de maternelle doivent « entrer dans les apprentissages » dès trois ans. Mais cette vision des apprentissages normatifs et évalués est singulièrement réductrice.
Les mobilisations ont imposé la scolarisation massive des enfants en maternelle. Difficile de revenir en arrière. L’exigence aujourd’hui affirmée est celle de la rentabilité immédiate des heures de présence en maternelle. La totalité des 24 heures hebdomadaires doit être consacrée à l’enseignement des disciplines scolairement rentables et vidées de leur dimension culturelle : un vocabulaire minimum, le code alphabétique, la phonologie, l’apprentissage des nombres. À cela s’ajoute l’intégration des outils numériques dans le quotidien de la classe de maternelle.
L’obligation de résultats sera mesurée par les performances scolaires des élèves. La circulaire de rentrée précise comment la hiérarchie va contrôler l’application des « recommandations ». Celles-ci expliquent comment enseigner « le vocabulaire », les nombres et les langues étrangères en maternelle. Elle ignore tous les autres domaines d’apprentissage qui contribuent au développement des enfants. Et la caution du point de vue d’experts scientifiques accompagne en réalité un processus d’abaissement du niveau d’apprentissage.
Car, à l’inverse du discours ministériel qui affirme viser la réussite de tous les enfants, ces normes scolaires et les attendus croissants en matière d’évaluation, vont peser à la fois sur les enfants, les enseignants, les parents. Et finalement, l’école de « la confiance » va contribuer à accroître et renforcer les inégalités scolaires (largement liées aux inégalités sociales).
Blanquer affirme vouloir renforcer la « confiance en soi » de l’enfant. Mais la « confiance en soi » ne se transmet pas : elle se tisse au sein des groupes de pairs et, avec le soutien des adultes. Elle se construit par l’enfant lui-même dans la mesure où il éprouve effectivement son pouvoir d’agir sur son environnement et de le transformer.
Or, avec les injonctions contraignant les enseignants à exécuter les programmes de façon mécanique, on est bien loin de la prise de conscience pour élaborer les connaissances par le langage, les arts, les activités manuelles. On assiste à une régression, une inversion des savoirs. L’éducateur n’est plus celui qui tente de donner du sens à son action et d’ouvrir ses élèves à un monde vécu où le sens est présent mais l’exécutant passif d’un programme avec des outils programmés et virtuels.
Par ailleurs, l’engouement actuel du ministère pour la pédagogie Montessori loin d’être l’expression de cette pédagogie réduit une partie du travail des classes à proposer des manipulations sensorimotrice, loin de toute expérience de langages et d’échanges, dans le but de contenir les enfants dans des tâches répétitives, individuelles et calmes.
Avec la maternelle Blanquer, premier étage de l’école du socle, le rôle assigné à l’enseignement est aussi de conduire les enfants à assumer la responsabilité de leur échec et de les emmener jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire sans susciter de désordre social.