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L’école Macron-Blanquer soumise aux exigences du capitalisme
La réforme Blanquer est parfois présentée comme un ensemble incohérent, décousu. L’analyse des mesures déjà imposées et de celles annoncées montre qu’au contraire, il s’agit d’un projet cohérent qui a un objectif clair : poursuivre de façon systématique la destruction de l’école publique au profit de l’enseignement privé.
L’École pour tous ?
Éduquer ceux qu’il faut instruire pour les besoins de ceux qui savent, en l’occurrence la bourgeoisie.
À de nombreuses époques la bourgeoisie, « classe savante » a dû faire face à la nécessité d’éduquer la classe prolétaire : soit pour répondre à ses propres besoins, soit pour enrayer la pression de la classe prolétaire pour accéder à l’Instruction c’est-à-dire acheter la paix sociale. Dans les deux cas cela a permis au prolétariat de conquérir les acquis remis en cause par les gouvernements successifs.
➪ Des connaissances aux compétences
Depuis les années 70 la bourgeoisie sait que la modernisation capitaliste ne nécessitera plus d’études supérieures que pour un emploi sur dix. Les neuf autres nécessiteront un socle commun de compétences.
Rappelons à ce propos ce qu’écrivait Nico Hirtt en 2019 : « Il s’agit en effet de réduire les objectifs de l’enseignement obligatoire à ce qui devrait constituer le bagage commun de personnes qui occuperont des emplois situés aux deux extrémités de la hiérarchie du marché du travail, des emplois aussi différents qu’un ingénieur et un vendeur de hamburgers. Ce plus petit dénominateur commun, ce sont les compétences de base, dont différents organismes, comme l’OCDE et l’Union européenne, se sont attelés à établir la liste ». [1]
La bourgeoisie doit alors faire face à un paradoxe : continuer de répondre à la pression de la classe prolétarienne pour accéder à l’instruction qualifiante alors qu’elle a nécessité d’une main d’œuvre peu qualifiée et précaire pour 90% de ses besoins et d’une minorité de bons spécialistes et d’ingénieurs surtout dans les domaines des nouvelles technologies.
Une première réponse émerge sous la présidence de Sarkozy : maintenir l’apparence d’une école pour tous, tout en la vidant de son contenu avec l’école du socle. Cela prend la forme du « socle commun de compétences » : lire, écrire, compter, utiliser un traitement de texte, un tableur, naviguer sur Internet… C’est en évacuant de l’école l’acquisition de connaissances au profit de compétences que l’État bourgeois sera le mieux à même de répondre aux exigences du patronat.
➪ Assurer la formation de la nouvelle élite
Les exigences de la bourgeoisie sont anciennes. Dès 1801, Destutt de Tracy, membre de l’Instruction Publique sous le Directoire définissait deux systèmes. Celui lié aux nécessités d’une éducation « abrégée » pour la classe ouvrière afin « de prendre de bonne heure la connaissance et surtout l’habitude et les mœurs du travail pénible auquel ils se destinent »... L’autre pour « Ceux de la classe savante, [qui] au contraire peuvent donner plus de temps à leurs études ; et il faut nécessairement qu’ils en donnent davantage ; car ils ont plus de choses à apprendre pour remplir leur destination ... » « Voilà des choses qui ne dépendent d’aucune volonté humaine ; elles dérivent nécessairement de la nature même des hommes et des sociétés : il n’est au pouvoir de personne de les changer. Ce sont des données invariables dont il faut partir… »*. La barrière entre les deux systèmes était celle de l’argent.
C’est un retour en arrière historique qui est mis en marche. [2]
L’école des savoirs fondamentaux qui doit apprendre les compétences de base pour la masse des futurs salariés, et le continuum bac-3 bac+3 qui doit permettre de pourvoir aux besoins en emplois plus qualifiés.
Les exigences actuelles du patronat
Ces exigences ne sont pas propres à la France. À l’échelle de l’Europe, dès 1989, les dirigeants de grandes industries ont demandé d’une seule voix « une rénovation accélérée des systèmes d’enseignement et de leurs programmes » [3]
Le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (CEDEFOP), une agence de l’Union européenne préconise de « préparer les citoyens à être des apprenants motivés et autonomes (...) à même d’interpréter les exigences d’un marché du travail précaire, dans lequel les emplois ne durent plus toute une vie. [Ils doivent] prendre en main leur formation afin de maintenir leurs compétences à jour et de préserver leur valeur sur le marché du travail. ».
L’élève puis le salarié doit se débrouiller pour se former et rester employable, c’est-à-dire répondre en permanence aux exigences du marché de l’emploi et de son évolution.
Cela implique de mettre en cause tous les cadres collectifs arrachés par les combats ouvriers pour limiter la concurrence (le système collectif de qualifications, les conventions et statuts collectifs et donc le système d’enseignement public centralisé organisé autour de l’objectif d’élever le niveau de qualifications - qualifications garanties par des diplômes à valeur nationale). Cela implique aussi un formatage de la jeunesse à la docilité : la négation de l’acquisition d’une culture large, de l’acquisition de capacités de réflexion, et de critique.
L’enseignement n’a plus pour objectif la recherche de l’émancipation de la personne, le développement de la pensée critique mais la préparation à accepter sa condition. Alors que l’éducation doit préparer à la lutte pour ses idées, doit donner à la personne les moyens culturels, réflexifs de comprendre la situation dans laquelle elle vit afin d’y faire face.
Dans la perspective politique actuelle, tout en se parant d’idéaux philanthropiques, la nouvelle éducation, doit se caler sur les objectifs de l’entreprise. C’est ce que renvoie en filigrane un documentaire comme « une idée folle » qui circule à titre d’exemplarité dans les écoles et qui sous couvert de principes pédagogiques alléchant marchandise l’école. C’est ce que met en évidence, l’article de Nathfriant sur Médiapart : Réaction au film « Une idée folle », 6 octobre 2017. [4]
La mise en concurrence
au profit du privé
De même que la mise en concurrence de l’hospitalisation publique avec le privé conduit à son démantèlement, la loi Blanquer franchit un pas essentiel pour réaliser le démantèlement de l’enseignement public.
La régionalisation des académies et leur relative autonomie dans l’organisation d’un enseignement territorialisé (art.17 et 18 de la loi) en est un élément essentiel.
Tandis que l’école publique subit la diminution des moyens qui lui sont alloués (regroupement d’écoles et d’établissements, suppressions de postes…), le privé a toute latitude pour ouvrir des classes et des établissements.
D’autant que les sources de financement des établissements privés se sont multipliées : financements au prorata des élèves inscrits, financements par l’État dans le cadre de contrats d’association, crédits d’impôts favorisés ; contributions des familles lesquelles sont complétés par des financements de fondations, d’entreprises, de fonds d’investissements, de donateurs divers…
À cela s’ajoute l’autonomie de gestion des établissements privés (ouvertures de classes, recrutement des personnels, libre conception du projet d’établissement, autonome en matière de programmes, de contrôle des connaissances…).
Sans compter que le fait que le caractère propre des établissements privés favorise le développement de communautés scolaires communautaires : catholiques ou autres obédiences religieuses qui ont en commun le fait de se mobiliser contre la laïcité et qui optent souvent pour une approche non scientifique de la connaissance.
Cette tendance est d’autant plus accentuée que les mesures mettant en cause la séparation de l’Église et de l’État se développent : augmentation des financements de l’État aux écoles privées et redéfinition de la « laïcité » au nom de la « laïcité positive » (introduisant à l’école publique nombre d’éléments de la morale religieuse).
Enfin, les mesures Blanquer qui organisent le management des établissements publics sur le modèle des entreprises privées (pilotage par l’évaluation des établissements, selon le climat scolaire, les résultats des élèves...), la destruction rampante du statut des fonctionnaires, du statut des enseignants (blocage du point d’indice, rémunération au mérite, rôle donné au chef d’établissement dans la nomination des fonctionnaires, extension du recrutement sur contrat…) sont autant d’éléments qui participent à la destruction de l’école publique laïque.