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« Cités éducatives » : machine de guerre contre les enseignants et la jeunesse
Le gouvernement poursuit ses attaques, en annonçant en particulier la mise en place dès la rentrée des « cités éducatives » dans quatre-vingt villes ou quartiers. Issu du plan Borloo, ce dispositif s’articule à la réforme Blanquer « Pour une école de la confiance » et au projet Dussopt de réforme de la Fonction publique qui prévoit notamment l’extension du recrutement au contrat et le retrait des prérogatives essentielles des commissions paritaires.
Ces « cités éducatives » attestent d’une avancée considérable dans la territorialisation de l’enseignement public : rappelons que Blanquer a aussi annoncé la mise en place de régions académiques, lesquelles auraient une possibilité accrue d’aménager l’organisation territoriale de l’enseignement.
Sous couvert « d’émancipation de la jeunesse des quartiers populaires » (selon les propos mêmes de Macron), c’est une dégradation et un important affaiblissement de l’instruction des jeunes issus des classes populaires qui se prépare.
Vade-mecum des cités éducatives
Blanquer et De Normandie (ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement) ont présenté le 2 mai 2019 sous forme de vade-mecum (et non plus par décrets), les « cités éducatives » [1].
La liste des territoires est au nombre de 80 dont 4 villes ou ZUP dans les Yvelines (Chanteloup-les-Vignes, les Mureaux, la ZUP de Le Val Fourré à Mantes-la-Jolie et Trappes) ; des communes ou quartiers de la Métropole de Lyon (Vaulx-en-Velin, Rillieux-la-Pape, Vénissieux, Saint-Fons, quartiers de Lyon 8e).
Le gouvernement entend s’appuyer sur les « réseaux d’éducation prioritaire », sur « l’engagement des collectivités locales », les services sociaux, « la richesse du tissus associatif »,… et l’expérimentation…
De tels dispositifs pourront ensuite être étendus, ce qui laisse présager de la suite, voire du pire…
Les « cités éducatives » vont être mises en action dès septembre 2019 sur un programme pluriannuel de trois ans (2019, 2020, 2021).
Le cadre national attaqué
Elles seront sous la coupe de deux ministères : celui de l’Éducation Nationale, et celui de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.²
L’éducation ne repose plus sur les programmes nationaux mais sur les contrats de ville avec leur « volet éducatif », les projets de réussite éducative (PRE). L’articulation entre le projet éducatif local (PEL), et le projet éducatif de territoire (PEDT) conduit à un « continuum » entre temps scolaires et temps périscolaire.
Le vade-mecum insiste sur le caractère dérogatoire du fonctionnement de ces cités éducatives :
« L’enjeu est de conforter les marges d’autonomie des établissements pour mobiliser les équipes pédagogiques et mieux travailler avec les partenaires (parents, collectivités, acteurs économiques et sociaux, associations…) ».
La gouvernance n’est plus nationale mais locale. Elle s’appuiera sur trois acteurs référents : le principal de collège pour le rectorat, (véritable « chef de file » et supérieur hiérarchique des écoles et de tous les établissements de la cité scolaire), le préfet pour la préfecture et un cadre pour la collectivité locale.
Cela en dit long sur l’annonce de Blanquer selon laquelle il renoncerait à la mise en place des établissements publics des savoirs fondamentaux (EPLESF).
Car dans les cités éducatives (autrement dit l’école du socle), la mise en réseau des écoles autour du chef d’établissement du collège qui était prévue pour les EPLESF sera la règle. Selon les propos mêmes du SNUIPP
, elles serviront « de cheval de Troie pour la mise en place des EPLESF », et permettront à l’État « de se désengager ».
Territorialisation de l’Éducation
En ce qui concerne la maternelle, l’objectif est de « favoriser l’intégration du système d’accueil de la petite enfance » en supprimant les professeurs d’école (PE) en toute petite section (TPS). Les PE seront remplacés par des ATSEM en TPS, avec la montée en qualification par la formation au diplôme d’éducateurs jeunes enfants ou au concours interne d’animateur territorial.
L’objectif serait de créer de nouvelles places de crèches (mais le texte se garde bien d’indiquer le statut de ces crèches) ; il s’agit aussi d’encourager le développement de nouveaux modes de garde (maisons d’assistantes maternelles, lieux d’accueil de courte durée, à horaires décalées, jardin d’éveil) : des modes de garde qui seront donc payants pour les familles… La fin des petites sections de maternelle et de la gratuité est ainsi programmée.
Ce dispositif s’inscrit dans le cadre du démantèlement de l’éducation prioritaire, et plus largement de l’enseignement public, à travers notamment la généralisation de la contractualisation comme seul déterminant de l’attribution des ressources.
Le ministère chargé de la ville allouera 34 millions d’euros aux cités éducatives. Le principal aura à sa main un financement de 38 000 euros (le « fonds de la cité éducative »). Cela lui permettra de « mettre autour de la table tous les acteurs de l’enfance » et de dispenser cette somme à sa guise, aux écoles, mais aussi aux associations « partenaires », voire aux entreprises qui accueillent des stagiaires.
Modifier en profondeur le système d’enseignement
Le fonctionnement des « cités éducatives » va permettre de mutualiser les moyens entre les écoles et les collèges : avec des échanges de services entre le premier et le second degré niant la qualification des personnels et alourdissant leurs missions pédagogiques et éducatives.
La « grande alliance éducative » conduisant à des interventions d’« habitants », de « citoyens », d’« associations », d’entreprises, l’appel au bénévolat… conduit au quasi effacement des limites entre scolaire et périscolaire et soumet l’école et les personnels à cet « écosystème d’acteurs » qualifiés de « partenaires ». Car, pour le gouvernement, la cité éducative « n’est pas seulement le projet de l’école ou des professionnels de l’éducation ».
Le ministère de la ville et du logement veillera à concentrer les moyens des contrats de ville et le programme de la cité éducative sera co-animé par le ministère de la ville et du logement.
L’animation et le suivi du programme s’appuieront sur un Comité d’orientation et d’évaluation : ce qui conduit, en s’appuyant sur ces évaluations, au salaire au mérite, soumettant les enseignants à l’application de ces projets. Cela permettra un pilotage selon les « résultats », avec des attendus différents, d’un réseau à un autre, d’un territoire à un autre, en fonction des élèves et des formations nécessaires au patronat local. Les « partenariats avec le monde économique » permettront également l’organisation d’une école à la carte, variable d’un territoire à un autre et soumise aux besoins des entreprises locales.
Les préfectures seront invitées à participer à l’instruction des projets, à la programmation des moyens et au suivi de l’expérimentation. Elles veilleront à l’articulation avec les instances régionales et départementales : ce qui est visé c’est l’annualisation du temps de travail, le recrutement local comme dans le privé.
Attaque contre la jeunesse
Les « cités éducatives » sont donc une des déclinaisons de « l’école de la confiance » de Blanquer. Le suivi personnalisé des élèves renforcé, en cohérence avec les projets PEDT et PRE, l’école ouverte systématisée (« plan mercredi »*), avec l’implication des parents et des animateurs (ouverture systématique de temps et d’espaces dédiés à l’animation au sein des établissements), les stages de troisième liés au monde économique du bassin, le développement de l’apprentissage en alternance, tel est l’avenir pour les enfants des milieux populaires que l’on veut soumettre aux besoins étroits du patronat local.
L’acquisition de la langue et du numérique (un smic culturel) complétée par le formatage à l’idéologie dominante (« valeurs républicaines », bénévolat…), formatage et dressage auquel le service national universel (SNU) participera, voilà, selon Macron et Blanquer, les « clés de l’émancipation » pour un grand nombre de jeunes.
La responsabilité des organisations syndicales serait d’expliquer clairement le contenu de ces réformes et d’en exiger le retrait. Cela impose de cesser de cautionner la politique scolaire du gouvernement Macron-Philippe-Blanquer en participant aux concertations.