La réforme de la justice malgré les résistances
Lundi 18 février, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi de programmation 2019 - 2022 et de réforme de la justice. Rédigé par l’actuelle garde des sceaux Nicole Belloubet sous la dictée du Président de la République, ce texte est un rouleau compresseur de plus dans un paysage politique de plus en plus écrasé par la verticalité du pouvoir exécutif.
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Partant du constat d’une justice qui n’inspire plus confiance et qui semble inefficace, le Gouvernement répond par la « simplification ». Autrement dit, au lieu d’adapter les moyens aux nécessités de la justice, c’est tout l’inverse qui est proposé : réformer la justice pour la rendre moins gourmande. Le résultat visé est un service public de la justice moins accessible, géographiquement mais surtout socialement. Une justice moins chère pour l’État, plus chère pour les justiciables, avec une forte accentuation de son caractère de classe.
Depuis l’annonce du projet de loi en février 2018, l’exécutif a rencontré de fortes résistances contre son texte. Les professionnels de la justice, avocats, magistrats, greffiers, personnels de la protection juridique de la jeunesse, ont multiplié les journées d’action et les grèves pour faire entendre leur condamnation du texte.
Les grandes lignes de la réforme, malgré la colère des professionnels, ont été maintenues.
Le titre I du projet de loi est relatif à l’augmentation des crédits alloués à la justice et aux postes ouverts pour les prochaines années. Par effet d’annonce, Nicole Belloubet présentait une augmentation de 23,5 % du budget en trois ans. Ce chiffre doit être comparé aux 37 % que proposait le Sénat en 2017 et à la situation dans les autres pays européens.
Comme le souligne l’intersyndicale, 0,20 % du PIB français est consacré à la justice, contre une moyenne de 0,31 % dans le reste de l’Europe. On compte 10 juges, 3 procureurs et 34 greffiers pour 100 000 habitants en France, contre une moyenne de 22 juges, 11,7 procureurs et 69 greffiers dans les autres pays du Conseil de l’Europe, ce qui place la France 37e du classement derrière la Moldavie, l’Ukraine, l’Albanie, la Turquie, la Russie et la Bosnie-Herzégovine.
La loi de programmation est donc bien insuffisante face à l’indigence du service public de la justice. Surtout, les crédits alloués et les 6 500 emplois créés d’ici 2022 le seront presque exclusivement au profit de l’administration pénitentiaire comme en témoigne la répartition arbitrée pour le budget 2019. Le Syndicat de la Magistrature s’alarme du fait que, parmi les 1300 postes créés cette année, seuls 192 emplois seront destinés aux services judiciaires (contre 600 en 2017) répartis en 100 emplois de magistrats et 92 emplois pour « l’équipe autour du magistrat » dont on ne sait pas s’ils comportent des fonctionnaires de greffe.
L’augmentation de la capacité d’enfermement est la réelle priorité du Gouvernement. L’administration judiciaire, elle, verra sa situation s’aggraver. La réforme a précisément pour objectif de pallier cette diminution de moyens en rendant le juge moins accessible (déjudiciarisation), au profit d’acteurs privés. La procédure pénale, elle, accuse un recul des libertés publiques et des droits de la défense.
La mort des tribunaux de proximité
Parmi les mesures les plus controversées figure la fusion des tribunaux d’instance avec les tribunaux de grande instance. Véritables juridictions de proximité, les TI sont compétents pour les contentieux civils d’un montant inférieur à 10 000 euros, c’est-à-dire les litiges de la vie quotidienne. Le justiciable peut avoir accès à un juge dans un délai relativement court par rapport aux TGI. La réforme transforme les tribunaux d’instance en annexes des TGI. La hiérarchie pourra à loisir mobiliser le personnel anciennement autonome des TI sur un contentieux relevant traditionnellement du TGI, avec pour effet de vider les tribunaux d’instance dont il ne restera que les murs. Les syndicats craignent que les fonctionnaires soient utilisés comme des pions dans le ressort du TGI (parfois de la taille d’un département), allant et venant au gré de la variation des « stocks » de dossiers.
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De même, le projet de loi prévoit la mutualisation des greffes des TGI et des conseils de prud’hommes (CPH). « Lorsqu’un CPH a son siège dans la même commune que le siège d’un tribunal judiciaire ou de l’une de ses chambres de proximité, le greffe du tribunal judiciaire comprend (…) le service de greffe du CPH, dans des conditions propres à garantir le bon fonctionnement du CPH. » (article 53, alinéa 12). Là aussi, il s’agit de dépecer une justice qui fonctionne dans des délais et avec des conditions de travail meilleurs pour combler les carences en personnel et en moyens des TGI. Cela permettra aux TGI de disposer du personnel comme bon leur semble et trahit une volonté de supprimer les juridictions prudhommales à terme. Ces dernières font l’objet d’attaques récurrentes de la bourgeoisie, à l’image de la réforme de la carte judiciaire en 2008 qui a supprimé un tiers des CPH, bien qu’elles soient les mieux identifiées par les justiciables (selon un sondage de 2013, 88 % des sondés savent à quoi elles servent contre 56 % pour les TGI).
Le projet de loi amorce également l’expérimentation de TGI spécialisés. Autrement dit, c’en est fini de la plénitude de juridiction qui permettait de voir trancher un litige en toutes matières dans n’importe quel tribunal. L’article aura pour conséquence d’éloigner encore plus le justiciable du tribunal compétent pour peu que le TGI de proximité n’abrite pas de juges spécialisés dans le droit applicable. Il faudra alors parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour se faire entendre d’un magistrat habilité.
Les injonctions de payer (décisions du juge obtenues par les créanciers pour obliger les débiteurs à payer leur dette), autrefois décidées par le juge territorialement compétent, seront traitées au sein d’un TGI à compétence nationale, comprenant dix magistrats qui devront traiter les 500 000 dossiers en moyenne par an que représente ce contentieux. C’est tout simplement impossible sans le recours massif à un traitement informatisé des demandes, donc à des algorithmes qui enregistreront les créances et calculeront la clémence accordable au débiteur, favorisant grandement les organismes de crédit et les banques. La mobilisation contre la réforme a fait reculer les députés de la majorité sur ce point : une fois l’injonction de payer décidée, sa contestation par le débiteur ou la demande d’un délai de paiement pourront être plaidées devant un juge géographiquement proche.
La privatisation de la justice
Toujours dans une optique budgétaire, la réforme vise à désengorger la justice en confiant une partie de ses charges à des acteurs privés.
Ainsi en est-il de l’article transférant au directeur de la caisse des allocations familiales (CAF) le soin de traiter les demandes de révisions des pensions alimentaires, charge jusqu’alors confiée au juge des affaires familiales qui prenait le temps d’entendre les arguments des parties permettant de prendre une décision adaptée à chaque situation. Les directeurs de CAF ne peuvent remplacer le juge dans ce travail de casuistique et on assistera à une véritable « barémisation » des montants de pensions alimentaires, comme le dénonce le Syndicat des avocats de France.
Par ailleurs, l’obligation des recourir à des modes alternatifs de règlement des conflits avant de pouvoir saisir le juge pour certaines procédures conduira fatalement des plateformes privées de médiation à récupérer le marché du « pré-procès », moyen économique pour l’État mais coûteux pour le justiciable de filtrer l’accès à la justice.
Le recul des libertés fondamentales en phase d’enquête
En matière pénale, le gouvernement entend sacrifier une fois de plus les droits de la défense et les libertés publiques au profit de la poursuite et de la répression. Ainsi de l’article 48 qui rend possible, dans le cadre de l’enquête policière, la prolongation de la garde à vue au-delà de 24 heures sans présentation au procureur, cette présentation permettant un contrôle mineur mais nécessaire de la mesure de garde à vue par l’autorité judiciaire.
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L’article 53 étend les pouvoirs du parquet au détriment de ceux du juge d’instruction, autorité judiciaire indépendante statutairement, contrairement au procureur. Ses dispositions permettent au parquet de prolonger des actes d’enquête de police jusqu’à 48 heures après l’ouverture d’une instruction, qui est cadre plus protecteur des droits de la défense et du contradictoire. L’objectif est de favoriser les pouvoirs de police et du parquet et de limiter l’accès de la personne poursuivie au juge d’instruction. Enfin, l’utilisation des techniques spéciales d’enquête, légalisées en 2004 pour la seule criminalité organisée, est étendue à tous les crimes et aux délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement. Un simple vol pourra ainsi faire l’objet d’interception de correspondances, de sonorisation de lieux ou de véhicules ou encore de captation de données informatiques, autant de mesures attentatoires à la vie privée et donc encadrées strictement jusqu’alors.
Conclusion
Cette réforme est donc avant tout une loi de réduction des coûts de la justice, au détriment de l’accès au juge et donc des libertés fondamentales. L’arbitrage s’est d’ores et déjà porté sur la répression et l’enfermement, sous couvert de résolution du problème de surpopulation carcérale. Cet alibi ne trompe personne. Le nombre de places de prison a presque doublé en trente ans (36 815 en 1990, 60 139 en 2018), quand le nombre de détenus a suivi la même progression (45 420 en 1990, 71 061 en 2018). La surpopulation est donc un problème plus actuel que jamais.