Algérie : du 5e au 4,5e mandat de Bouteflika
Bouteflika a renoncé. Au bout de 17 jours de manifestations quotidiennes, dont trois vendredis avec des marées de manifestants dans les rues, le président algérien a renoncé à briguer un cinquième mandat.
Mais en même temps, il a annulé la tenue d’élection présidentielle en 2019 et annoncé qu’il resterait au pouvoir un certains temps... Le temps de contribuer "à l’assise des fondations d’une nouvelle République en tant que cadre du nouveau système algérien" en lançant une "Conférence nationale" qui aura jusqu’à décembre pour élaborer un projet de Constitution ; le temps que cette constitution soit soumise à un référendum et qu’une nouvelle élection présidentielle (à laquelle il ne se représentera pas) ait lieu. Président d’Algérie depuis 1999, Bouteflika a ainsi annoncé ce lundi 11 mars 2019, qu’il ne briguait pas de 5e mandat mais qu’il rallongeait son 4e mandat de un an, deux ans ou plus...
Mais cette annonce n’a pas fait refluer la mobilisation. Les manifestants ont rangé leur slogan "Non au 5e mandat" pour en sortir un autre : "non au 4e mandat +", "non au 4,5", "non aux prolongations". Et, comme depuis le premier jour, ils ont continué à exiger "FLN dégage", "système dégage".
Bouteflika est un dinosaure du sérail algérien post-indépendance. Il a été ministre de 1962 à 1979 et est président d’Algérie depuis 1999. Depuis l’indépendance, en 1962, un système oligarque, lié à l’armée, corrompu et soumis aux forces impérialistes s’est mis en place.
Si les mouvements sociaux jalonnent l’histoire de l’Algérie indépendante, celle-ci est marquée par une rupture : en 1988, le parti unique FLN, répond aux Algériens en grève et dénonçant la pénurie par une répression sanglante (plus de 500 morts) et par la mise en place d’un "multipartisme". Aux élections législatives de décembre 1991, le Front islamique du salut arrive en tête. L’armée effectue alors un coup d’état et il s’en suit dix ans de guerre civile (il y aura plus de 200 000 morts).
En 2001, des manifestations de masse éclatent en Kabylie et embrasent bientôt toute l’Algérie avec, parmi les mots d’ordre : "Dehors Bouteflika". La répression fera plus de 120 morts. En 2011, dans le cadre des révolutions qui éclatent au Maghreb, au Proche et au Moyen Orient, le FLN achète la paix sociale en Algérie en augmentant la part de la rente pétrolière redistribuée à la population. Mais aujourd’hui, en 2019, le cours du pétrole est bas, le chômage structurel, la jeunesse sans avenir ; le FLN est incapable de surmonter la crise qui le traverse, une crise qui depuis un an est aiguë. L’incapacité à trouver un candidat capable de remplacer Bouteflika, qui depuis un AVC qu’il a eu en 2013 est presque incapable de parler, en est un symptôme.
L’annonce, le 10 février 2019, de la candidature de Bouteflika pour un 5e mandat à l’élection présidentielle d’avril est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : des mobilisations ont alors surgi dans quelques villes et plusieurs appels à manifester pour le vendredi 22 février, anonymes, ont fleuri sur les réseaux sociaux. Ce 22 février, le mur de la peur est tombé et par centaines de milliers, les Algériens sont descendus dans les rues. A la différence de 1988, à la différence de 2001, il n’y a pas eu de massacre ; l’armée n’a pas tiré.
La semaine suivante, la mobilisation s’étend. Le mardi 26 février notamment les étudiants déferlent dans les rues ; dans la semaine plusieurs sit-in d’avocats ou de journalistes se tiennent. Les syndicats autonomes de travailleurs appellent à rejoindre la mobilisation du vendredi 1er mars et quelques résistances individuelles transparaissent au sein de la fédération syndicale l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens) affiliée au gouvernement. Au FLN, impossible d’arriver à organiser une contre-marche. Des élus locaux commencent même à refuser de soutenir un 5e mandat de Bouteflika.
Le vendredi 1er mars, une marée humaine déferle à travers toute l’Algérie. Et le week-end, alors qu’une vague de démission débute au FCE, le syndicat patronal, les manifestations et sit-in se poursuivent. Un premier syndicat de travailleurs gèle son affiliation à l’UGTA jusqu’à « la démission de Sidi Saïd » (le secrétaire général, qui soutient le 5e mandat). Des syndicats autonomes (regroupés dans le Cosyfop) appellent à la grève entre le 10 au 14mars.
A l’annonce du dépôt de la candidature de Bouteflika, le dimanche soir, la mobilisation prend un nouvel élan. Les étudiants poursuivent massivement leurs manifestations en début de semaine ; ils sont rejoints massivement à partir du mardi par les enseignants. Le mouvement s’étend aux lycées. La mobilisation des avocats s’amplifie aussi avec des gels d’activités dans les tribunaux, des sit-in et une manifestation nationale le jeudi.
Suite à la déferlante du vendredi 8 mars (avec plus de 1 million de manifestants dans la capitale ; il y en avait eu entre 2 et 3 millions dans toute l’Algérie la semaine précédente), la grève générale qui débute le dimanche, le président Bouteflika, revenu d’Algérie où il était hospitalisé annonce le lundi 11 mars son retrait d’un cinquième mandat, et la prolongation de son actuel mandat... sans élection. La mobilisation se poursuit et s’étend (avec le début de la mobilisation des magistrats, le boycott national de 4 jours au barreau, une grève nationale dans l’éducation, la mobilisation des étudiants qui ne faiblit pas, de nouveaux secteurs qui entrent en grève, même ponctuellement, avec certaines villes désertes et les rideaux baissés plusieurs jours...)
Macron, à Djibouti, déclare le 12 mars, au lendemain de l’annonce de Bouteflika : " je salue la décision du président Bouteflika qui ouvre une nouvelle page dans le développement de la démocratie algérienne, en décidant la mise en place de cette conférence, en présentant un cadre transparent, et en indiquant qu’il ne se représenterait pas pour un nouveau mandat."
Le vendredi 15 mars, une nouvelle marée humaine déferle dans les rues d’Algérie. La manœuvre du clan Bouteflika est dénoncée. Mais au coté des "Non au mandat 4+", "FLN dégage", "Système dégage", de nouveaux panneaux ont fleuri : « La France, 132 ans ça suffit, halte à l’ingérence », « Non à un système béni par la France ! » "Macron occupe -toi de ta salade jaune", "Libérez l’Algérie de la tutelle française".
Tout soutien du gouvernement français à Bouteflika et son clan ne peut être que dénoncé, en Algérie mais également en France, et notamment par le mouvement ouvrier français. La revendication du peuple algérien pour le départ du FLN du pouvoir, de Bouteflika et son clan, pour la chute de ce système est légitime. Les appels à l’auto-organisation des populations laborieuses, des chômeurs et de la jeunesse sur leurs propres bases ne peuvent être que soutenus.
le 15 mars