Projet de loi Macron sur l’immigration : contrôles et répression
L’essentiel de l’orientation incluse dans le programme de Macron se retrouve dans le projet de loi intitulé « Projet de loi pour une immigration maîtrisée et un asile effectif ». Après la présentation des axes du projet faite aux parlementaires et aux associations, le projet est présenté le 21 février en Conseil des ministres ; il sera ensuite discuté au Parlement lors du 1er semestre 2018.
Ce texte de 38 articles présenté comme devant sauver l’asile a été mis en ligne par le GISTI1 sur son site. Les quelques mesures qui vont améliorer les conditions de vie des étrangers régularisés sont noyées dans un ensemble qui organise la restriction des droits, un contrôle à outrance, accroissent les possibilités de répression et d’expulsion d’un grand nombre d’exilés jugés « indésirables ».
Les quelques mesures qui visent à améliorer les conditions d’accueil ne concernent qu’une minorité : ceux qui, qualifiés de « vrais réfugiés », bénéficieront de la protection internationale, et les « talents étrangers » hautement qualifiés que Macron veut attirer pour contribuer au « dynamisme économique » et au « rayonnement linguistique et culturel » de la France.
Ainsi, les étrangers qui n’ont pas le statut de réfugiés mais qui obtiennent la « protection subsidiaire » se verront délivrer une carte de séjour de quatre ans (au lieu de un an) ; mais cela ne concerne que les étrangers déjà mariés et autorisés à séjourner au titre du regroupement familial. La famille d’un enfant mineur qui obtiendra le statut de réfugié pourra plus facilement obtenir une carte de 10 ans. (Toutefois, le nombre de mineurs demandeurs d’asile est très faible en France).
Quant à la réduction de la durée moyenne d’instruction de la demande d’asile à 6 mois, contre 11 mois actuellement, on pourrait s’en réjouir. Mai, outre qu’elle ne s’accompagne d’aucuns moyens supplémentaires, elle est assortie d’un durcissement de certaines règles. De plus, près de la moitié des demandeurs d’asile sont aujourd’hui placés en procédure accélérée, ce qui les prive de garanties et droits. Et les possibilités de retrait du statut de réfugié sont élargies.
Par contre, le projet comporte diverses mesures pour « renforcer l’attractivité du territoire pour l’immigration hautement qualifiée » en améliorant l’accueil des « talents internationaux et des compétences ». Parmi les profils évoqués : « chercheurs », salariés d’une « entreprise innovante », étudiants titulaires d’au moins un master cherchant à créer une entreprise, jeunes à la recherche de « volontariat », de « travail au pair »…
Pour eux, les mesures inscrites dans la loi de 2016 seront simplifiées : extension notamment de la carte pluriannuelle « passeport talents » à « toute personne susceptible de participer de façon durable au rayonnement de la France »…
Maintenir les frontières fermées à la grande masse et les entrouvrir à quelques uns jugés « utiles », faire appel à l’opinion publique comme arbitre des mesures répressives : on a là quelques exemples « d’immigration choisie » à la sauce Macron.
Le projet de loi va rendre plus difficile encore la demande d’asile. Le délai maximum pour demander l’asile à compter de l’entrée sur le territoire serait réduit de 120 à 90 jours. Au-delà, le placement de la demande en procédure accélérée conduira à un traitement superficiel du dossier. Le passage de 30 à 15 jours du délai pour présenter un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) accroîtrait les difficultés à trouver un avocat ou une association pour effectuer ce recours. Et l’appel ne sera plus suspensif. C’est un moyen d’exclure nombre d’étrangers de tout droit et d’expulser plus vite.
Les demandeurs d’asile seront répartis sur le territoire selon un « schéma national » : ils seront tenus de résider dans la région vers laquelle ils auront été dirigés. Sinon, ils perdront tous leurs droits (hébergement, allocation pour demandeur d’asile).
La mise en place d’un fichier sol@asile recensant les migrants dans les centres d’hébergement d’urgence (CHU) afin de connaître leur situation (dublinés*, en fuite, déboutés) facilitera leur expulsion. Le projet légalise de fait la circulaire Collomb de décembre 2017 qui conduit à faire le tri dans les CHU (or ceux-ci relèvent de l’action sociale).
Des prises d’empreintes et des photos pourront être faites systématiquement lors de la retenue d’une personne pour vérification de sa situation, laquelle passerait de 16 à 24 heures. L’étranger qui refuserait pourrait encourir des sanctions pénales et une interdiction du territoire.
Le refus d’un titre de séjour ou le rejet d’une demande d’asile seront obligatoirement accompagnés d’une OQTF. Et le demandeur d’asile débouté pourra être rapidement expulsé dès la lecture, en audience, de la décision de la CNDA. La possibilité de demander alors un titre de séjour sera considérablement entravée. L’assignation à résidence et l’interdiction de retour seront renforcées.
Sous couvert de simplification administrative, l’utilisation des moyens électroniques (courriel, téléphone, SMS…) pour faire parvenir une convocation, une décision… pourront remplacer la lettre recommandée avec accusé de réception. Combien alors de rendez-vous ratés, d’appels déposés hors délais ?
L’utilisation de visio-audience sera étendue dans certains cas (tribunal administratif ou juge des libertés) ; le demandeur d’asile ne pourra plus refuser son usage lors du recours à la CNDA… Or, d’ores et déjà, les pratiques mises en œuvre depuis la circulaire Collomb de décembre 2017 préfigurant le projet de loi ont conduit à la tenue d’audiences devant les cours d’appel de Toulouse et de Bastia depuis le centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse, par le moyen de la visio-conférence. Toute présence du public est ainsi interdite.
Ces pratiques qui mettent en cause les droits fondamentaux ont été dénoncées notamment par le GISTI, RESF…
Les motifs conduisant à l’assignation à résidence ou au placement en centre administratif de rétention (CRA) des déboutés du droit d’asile sont élargis.
La durée de la rétention serait allongée de 45 à 90 jours et même à 135 jour si l’étranger fait obstruction à son expulsion.
Le projet prévoit aussi un « délit de franchissement non autorisé » : un an d’emprisonnement pour franchissement de la frontière sans passer par un point de passage autorisé (sont ainsi visés les migrants qui franchissent la frontière France-Italie en montagne, par les cols).
Quant au « délit de solidarité », il devrait être maintenu. Et la chasse aux dublinés sera rapidement accentuée (une proposition de loi de J.L. Warsmann, d’Agir-U.D.I. est en train d’être votée : elle va faciliter le placement en rétention d’un demandeur d’asile soumis au règlement de Dublin III).
Face à cette offensive, nombre d’associations et de forces politiques demandent une « autre politique migratoire ». De son côté, le gouvernement cherche des points d’appui auprès de certaines associations.
Mais on doit rappeler, avec l’historien Gérard Noiriel que « Parler de politique d’immigration revient à parler d’immigration « choisie » (ou, comme on disait avant la Deuxième Guerre mondiale, d’immigration “désirable”) ».
Combattre pour la liberté de circulation, le droit d’asile sans restriction, des papiers pour tous et toutes, pour le droit au travail permettant de vivre en toute autonomie… est contradictoire avec toute « politique migratoire » : Unité pour le retrait du projet Macron sur l’asile et l’immigration !
* « dubliné » : suite aux accords de Dublin, un réfugié ne peut demander l’asile que dans l’État d’Europe où il a laissé ses empreintes (centralisées dans le fichier EURODAC).