Enseignement, Université, Recherche
Orientation, sélection au lycée et à l’université
Premier grade universitaire, l’acquisition du diplôme du Bac était une condition nécessaire et suffisante pour aller à l’Université (dans la plupart des filières). Avec la loi Vidal, toute filière pourra refuser un étudiant. Il suffira pour cela que « l’effectif des candidatures dépasse les capacités d’accueil d’une formation », ces capacités d’accueil étant fixées chaque année par le recteur.
Ceux qui seront acceptés dans la filière où la demande excède le nombre de places seront triés sur le volet : selon des critères scolaires (notes aux épreuves du Bac et 5 derniers bulletins) et extrascolaires (lettre de motivation, bénévolat, travail dans certains secteurs, brevets d’État, attestation de suivi de MOOC - cours en ligne -,...). Les critères extrascolaires favoriseront les élèves qui n’ont pas besoin de travailler pour aider leur famille à boucler les fins de mois, et ceux dont les familles ont les moyens d’offrir de telles formations extrascolaires. De plus, la prise en compte des bulletins de lycée dans les critères de sélection exclut tout droit à l’erreur. L’établissement d’origine risque en outre de peser dans les critères informels de sélection, renforçant le poids de l’origine sociale.
Cette réforme de l’entrée à l’Université est à lier à celle du lycée et du Bac, menée par le ministre Blanquer et qui se fondera notamment sur le rapport Mathiot publié fin janvier 2018. Aujourd’hui la Seconde est générale, puis à la fin de cette classe, les élèves sont orientés en voie technologique et générale, avec un début de spécialisation (comme les filières L, ES et S en lycée général), un peu plus poussée en Terminale (comme en S avec trois spécialités différentes, mais non contraignantes pour la poursuite d’étude à l’Université). Le rapport Mathiot prévoyait aussi une orientation-spécialisation beaucoup plus tôt, dès la Seconde. Sans nécessairement retenir ce dernier projet, Blanquer introduira des dispositifs pour une orientation précoce.
Mais la réforme du lycée ne vise pas seulement à orienter-spécialiser plus précocement les élèves. Le lycée de Blanquer sera modulaire avec un Bac modulaire et donc individualisé : 4 épreuves (deux de spécialités, une de philosophie et un grand oral) en plus de l’épreuve anticipée de français seront évaluées dans un cadre national, les autres matières seront évaluées en continu. La prise en compte d’évaluations en continu implique qu’il y aura ainsi autant de diplômes que d’établissements scolaires (selon la « valeur » de ces établissements). La multiplicité des parcours et modules suivis individualisera encore plus le Bac. D’autant plus que des programmes « à entrées multiples » afin « d’adapter la transmission des connaissances au niveau des élève » accentueront les inégalités entre les établissements et entre les élèves. Ainsi le contenu des nouvelles épreuves nationales risque d’être très faible et c’est le « Supplément » au diplôme qui indiquera précisément les modules suivis et compétences acquises et renforcera l’individualisation du diplôme. Rappelons que la loi Peillon de 2013 (sous la présidence de Hollande) avait posé quelques bases de la réforme du Bac. Avant Peillon, le Bac « vérifiait un niveau de culture » et « contrôlait des connaissances » : avec la loi Peillon le Bac ne « contrôle » plus rien, et « vérifiera » « un niveau de connaissances, de compétences et de culture ». Sous Hollande, l’école primaire, le collège et l’Université ont été réformés ; le lycée devait venir en dernier. C’est le gouvernement de Macron qui poursuit cette œuvre destructrice et Blanquer s’appuie sur la loi Peillon pour faire passer sa réforme du Bac et du lycée. Cette individualisation du Bac permet ainsi de faire un peu plus voler en éclats la correspondance entre un diplôme (le Bac) et les grilles salariales. La compétition entre travailleurs et la baisse des salaires n’en seront qu’accrues.
Jusqu’alors, le Bac était le seul critère de sélection d’entrée à l’Université. L’anonymat (à l’écrit) des élèves qui le passaient et le caractère national et disciplinaire de la majorité des épreuves permettait à tout élève qui arrivait à le décrocher de poursuivre dans le Supérieur (quelques soient les difficultés qu’il ait pu rencontrer durant sa scolarité) et lui assurait un certain accès à l’emploi.
Certes le Bac a déjà été dévalorisé par les réformes précédentes qui ont notamment baissé le nombre d’heures disciplinaires, et rendu plus difficile la poursuite dans le Supérieur. Mais les ministres Blanquer et Vidal n’ont pas répondu à ce problème par une augmentation du nombre d’heures disciplinaires dans le secondaire et à l’Université, par une limitation du nombre d’élèves par classe et le maintien du droit aux bacheliers de poursuivre les études de leur choix (tout au moins en terme de choix de matière). Non, ils ont préféré mettre fin au libre choix d’études en instaurant une sélection à l’Université en fonction de besoins locaux (le nombre de place sera défini par le recteur de l’Académie) et via des critères qui prennent un caractère social (exemple : le fait de détenir le BAFA dont l’accès est payant). L’objectif étant d’éliminer une partie des bacheliers des bancs du Supérieur ou de les orienter (de façon forcée) vers les filières souhaitées par le patronat.
À l’Université, 11% des étudiants viennent de milieux d’ouvriers et 30% de milieux de cadres supérieurs. En instaurant une sélection fondée sur les bassins d’emplois et, de facto sur les origines sociales, il va de soit que les premiers exclus de l’Enseignement Supérieur seront les étudiants venant des milieux sociaux les plus défavorisés et ceux qui seront acceptés n’étudierons pas obligatoirement les matières qu’ils souhaitaient.
L’orientation précoce en lycée et la modularisation, ainsi que l’adaptation locale des programmes et l’accroissement de l’autonomie des établissements accroitront également les inégalités sociales.
Quant aux enseignants du secondaire, tous devront indiquer en terminale une appréciation sur chacun des dix vœux émis par le lycéen (soit 350 appréciations pour une classe de 35 élèves) et ceux qui seront professeurs principaux participeront encore plus activement à l’orientation-sélection des élèves (un 2e professeur principal a été mis en place dans les classes de terminale). Cette orientation se fera au détriment du travail disciplinaire. En outre, avec la réforme du lycée qui s’annonce, la place de l’enseignement disciplinaire risque d’encore diminuer (au moins pour certaines matières) avec une mise en concurrence accrue des disciplines (concurrence déjà instaurée avec la réforme Chatel de 2005), via la modularisation du lycée et du Bac Enfin, l’objectif des enseignants, l’obtention du Bac, risque de disparaître, minorant de nouveau l’enseignement disciplinaire.
À l’Université, ce serait plusieurs centaines de postes qu’il faudrait créer pour trier les dossiers. Les Universités n’ayant pas ou peu de moyens alloués à cette fonction, ce sera vraisemblablement l’avis du chef d’établissement (lycée) qui sera pris en compte dans la sélection des dossiers.
En outre, une augmentation de la concurrence entre universités (déjà fortement développée par l’autonomie financière des universités) est à craindre, et donc un accroissement des inégalités entre les diplômes et les salaires des futurs travailleurs.
En plus de la modification du métier des enseignants, via le rôle qu’ils joueront dans l’orientation-sélection, la réforme du lycée risque d’entraîner une suppression de postes dans certaines disciplines (en SVT, en langues...), une baisse du contenu disciplinaire pour certaines d’entre elles ; et l’externalisation des langues - via le développement des certifications - se dessine. La semestrialisation du lycée ouvrirait la voie à l’annualisation du temps de travail des enseignants et une dégradation des conditions de travail.
Le projet de loi Vidal de l’accès à l’Université a été publié le 30 octobre 2017 après trois mois de concertations avec différentes associations et organisations. Un mois plus tard, il était appliqué,... avant même d’être voté. Le projet Mathiot-Blanquer de réforme du Bac et du lycée a été publié le 24 janvier après 3 mois également de concertations (plus de 100 auditions). Alors que plusieurs direction syndicales demandent « l’abandon » du projet, elles continuent à se « concerter » ou « négocier » sur la base d’un rapport pourtant inacceptable. De telles concertations-négociations ont pour unique but d’arrondir quelques angles afin de mieux faire passer ce projet. Le rôle des syndicats n’est pas d’entraver les mobilisations en « alertant tout en négociant » mais d’être auprès des travailleurs et de faire en sorte que ce projet soit définitivement retiré. Imposer aux directions syndicales l’exigence du retrait de ce projet et la fin de toute concertation serait un point d’appui ouvrant la voie à la mobilisation pour mettre en échec ce projet.
Apprentissage et destruction des diplômes professionnels
Le gouvernement a lancé plusieurs concertations sur la question de l’enseignement professionnel. JM Blanquer a chargé Céline Calvez et Régis Marcon d’une mission devant aboutir à un rapport pour « transformer la voie professionnelle, en lien avec la concertation sur l’apprentissage conduite par le ministère du travail, mais aussi avec la mission sur l’évolution du baccalauréat ». Et la concertation lancée sous l’autorité de M. Pénicaud, JM Blanquer et F. Vidal a conduit à la publication d’un Rapport pour le développement de l’apprentissage.
Parmi les mesures annoncées par le gouvernement, on note les points suivants :
- Un Centre de formation des apprentis (CFA) pourrait ouvrir sans requérir l’imprimatur des régions (ou de l’Etat) : le but est de répondre rapidement aux besoins exprimés par les patrons.
- La taxe d’apprentissage, dont 51 % était reversée aux régions, va être remplacée par une « contribution alternance ». Le produit de ce prélèvement (soit plus de 4 milliards d’euros : 0,85 % de la masse salariale des sociétés) sera intégralement versé aux CFA, en fonction du nombre de contrats signés avec des jeunes.
- Plusieurs mesures seront prises pour inciter les jeunes à entrer en apprentissage : aide de 500 euros attribuée aux apprentis majeurs pour passer le permis de conduire ; augmentation de 30€ de la rétribution des apprentis ; en cas de rupture du contrat, droit de prolonger durant six mois la formation au sein du CFA…
- D’autres mesures sont prises en faveur des patrons : assouplissement de la législation du travail (temps de travail porté à 40 h dans le BTP ; assouplissements chez les boulangers-pâtissiers…). Les patrons pourront recruter un apprenti à tout moment et la rupture du contrat par le patron facilitée.
La concurrence de l’apprentissage avec la formation sous statut scolaire sera encore renforcée par l’implantation d’une UFA dans tous les LP : cela aura des conséquences délétères sur les conditions de travail des enseignants et sur les conditions d’études des jeunes. Le statut des Professeurs de lycée professionnel (PLP) sera remis en cause et ces mesures sonnent la mort des lycées professionnels.
Tout cela s’inscrit dans la continuité des ordonnances de casse du Code du travail. Les patrons qui souhaitent limiter la culture générale au profit de compétences dites « transversales », centrées sur leurs besoins immédiats seront maîtres du jeu dans la définition des référentiels de formation et des règlements d’examen.
Cela va conduire à liquider toute formation professionnelle sous statut scolaire et à la fin diplômes professionnels nationaux au profit de l’individualisation des compétences.
Il faut constater, une fois de plus, que les concertations ne sont là que pour permettre au gouvernement d’affiner ses plans, amener les syndicats à se situer sur ce terrain et désarmer les mobilisations.