Syrie : retour sur six ans de politique américaine et française
Les gouvernements français ont eu, depuis 2011, diverses positions vis à vis des révolutions au Proche et Moyen-Orient, en Syrie : position d’Alliot-Marie (en soutien à la répression conduite par le dictateur Ben Ali), position de Sarkozy (intervention militaire contre l’armée du dictateur Khadafi en Libye), position de Hollande de début de quinquennat (menace d’intervention militaire en Syrie) puis celle de milieu et fin de quinquennat (maintien de la dictature de Assad en Syrie). C’est dans la suite de ces évolutions que prend place la position de Macron, de maintien de Assad, un maintien affirmé plus ouvertement que ne l’avait fait Hollande.
En janvier 2011, devant le soulèvement tunisien, la ministre française des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, avait à plusieurs reprises offert le soutien des forces de sécurité françaises à la police de Ben Ali, suggérant que le « savoir-faire » français pourrait « régler des situations sécuritaires de ce type ».
La fuite de Ben Ali, le 14 janvier, entraîne un premier revirement : peu après, Alliot-Marie est éliminée du gouvernement et Sarkozy annonce une nouvelle politique étrangère. Elle se concrétise en mars, quand l’aviation française bombarde les troupes de Kadhafi (lequel avait été accueilli en grande pompe en 2007 à Paris).
Toutefois concernant la Syrie, malgré la répression féroce menée par le régime, c’est une politique d’attentisme qui domine. Il faut attendre août 2011 pour qu’Obama s’exprime clairement sur l’avenir de Assad : « Dans l’intérêt du peuple syrien, le temps est venu pour le président al-Assad de se retirer ». Une ligne politique que reprend alors le gouvernement français. Car les gouvernements américain et français étaient persuadés qu’Assad allait s’effondrer.
Ce discours des USA et de la France apparaît très vite comme étant uniquement un discours de circonstance. Aucune aide n’est envoyée aux insurgés dans leur combat pour chasser Assad. En août 2012, Obama menace d’intervenir militairement au cas où le régime utiliserait les armes chimiques, mais il laisse pourrir la situation jusqu’en août 2013.
C’est suite au massacre aux armes chimiques perpétrées par le régime dans la Ghouta de Damas, en août 2013, qu’Obama montre qu’il préfère le maintien d’Assad au pouvoir plutôt que de risquer le développement d’une révolution.
Ce tournant de 2013 est un tournant en terme d’alliance et de mode d’intervention : les USA décident de ne pas intervenir militairement mais politiquement ; ils délaissent un temps la France et leurs autres alliés traditionnels et ils décident d’intervenir politiquement en s’alliant à la Russie, en signant un accord avec Poutine. Cet accord USA-Russie trouvé en septembre 2013 devait permettre au régime d’Assad de rendre « l’arme du crime », tout en le laissant au pouvoir, autorisant ainsi le régime à utiliser toutes les autres armes.
Avec l’accord USA-Russie, contrairement à ce qui a pu être dit, ce n’est pas Poutine qui a « sauvé » Obama. Il s’agit d’un accord qui traduit une convergence d’intérêts, et dans lequel chacun des deux protagonistes a trouvé son compte. Pour les USA, comme pour la Russie, il ne fallait pas que le régime syrien, déjà très affaibli, s’écroule, ce que permit l’accord, et ce que comprit à juste titre Assad. Cet accord de 2013 est simplement un accord de coopération contre la révolution syrienne, passé entre deux puissances impérialistes. À partir de ce premier accord USA-Russie, contre-révolutionnaire, la coopération entre les deux pays ira en s’accentuant au fil des ans.
En septembre 2013, le gouvernement français était prêt à intervenir militairement en Syrie, mais, en l’absence des États-Unis, il renonça à intervenir. Le gouvernement français s’inclina devant la première puissance mondiale sur deux points : le choix de non intervention militaire et le choix de soutien à la coopération politique avec la Russie (via un soutien à l’accord USA-Russie). Ainsi Hollande expliqua le 15 septembre sur TF1 : « Que doit-on penser de cet accord ? Je considère que c’est une étape importante, mais ce n’est pas le point d’arrivée. » « La France a considéré que ce qui avait été noué entre les Américains et les Russes ces derniers jours est donc une étape importante. » (Hollande sur TF1, le 15/09/2013) |
Au cours des trois années qui suivent, la coopération des USA avec la Russie et l’Iran ne fait que s’accentuer. Après la première étape de cette politique, avec l’accord USA-Russie de 2013 visant à éliminer du territoire syrien certaines armes chimiques détenues par Assad, une deuxième étape prend place en 2014 : avec l’intervention militaire américaine en Syrie, qui nécessite une autorisation pour utiliser le ciel syrien.
Cette politique s’accentue en 2015 avec le début de l’intervention militaire russe, avec le développement de la coopération, sur le sol irakien, entre les troupes de la coalition internationales et les troupes iraniennes (qui combattent la révolution en Syrie). En arrière fond, se tiennent des négociations qui aboutissent à la signature de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, en juillet 2015. L’accentuation de cette politique en 2015 peut être résumée par le changement officiel de position vis à vis d’Assad : l’exigence américaine « le temps est venu pour le président al-Assad de se retirer » (Obama, été 2011) étant remplacée alors par : Assad « a perdu toute légitimité dans la capacité à être en mesure de faire partie de l’avenir à long terme du pays ». (Kerry, 30/04/2015) L’exigence de départ d’Assad est ainsi repoussée à un avenir lointain.
En 2016, la recherche d’une coopération se poursuit (ce qui n’implique pas l’absence de divergences) et durant les premiers mois de l’année, le tandem Kerry-Lavrov s’affirme comme leadership des négociations. Peu avant le début du siège d’Alep, le 30 juin, un accord USA-Russie de coopération militaire dans la lutte contre Daesh et al-Nosra est révélé dans la presse. Il sera signé début septembre. Les tensions qui suivent, sur fond de campagne présidentielle puis de changement de gouvernement (Obama puis Trump), ne modifient pas fondamentalement la ligne politique des USA.
Fin mars 2017, sous le nouveau gouvernement de Trump, Tillerson explique que « le sort du président Assad, à long terme, sera décidé par le peuple syrien ». Une nouvelle inflexion : cette expression reprend une expression du gouvernement russe. En réalité il s’agit de faire accepter au peuple syrien des élections sous contrôle de Bachar al-Assad.
Après le massacre aux armes chimiques de Khan Cheykhoun début avril 2017, et la réponse militaire des USA (qui détruisirent des avions du régime de Assad) Tillerson explique « En aucun cas, je n’essaierais d’extrapoler de cela [des bombardements américains sur les avions de Assad] une modification de notre politique ou de notre position relative à nos activités militaires en Syrie aujourd’hui. Il n’y a pas eu de changement dans cette situation ». « De façon générale, notre approche et notre politique actuelles sur la situation en Syrie, consistent d’abord à vaincre ISIS ». « En même temps, à travers le processus de Genève, nous allons commencer un processus politique pour résoudre l’avenir de la Syrie en termes de structure de gouvernance et cela en fin de compte conduira, à notre avis, à une résolution de départ de Bashar al-Assad ». L’idée d’un départ d’Assad, sous forme diffuse, réapparaît.
Le gouvernement français suit, pour l’essentiel, cette politique dictée par les USA en Syrie, jonglant entre ses intérêts propres et sa soumission à l’impérialisme américain.
Après avoir soutenu l’accord Russie-USA de 2013, la France intervient militairement en Irak à partir de 2014, comme les USA. En Syrie, l’intervention française débute en septembre 2015, soit un an après celle des USA en Syrie. L’intervention française en Syrie suit le changement officiel de la politique du gouvernement français vis-à-vis d’Assad : l’exigence du départ d’Assad au début d’une période dite de transition cède la place à la nécessité de « la neutralisation de Bachar al-Assad » (25 août 2015). La position rejoint celle des USA : « une solution doit être, avec le régime, avec l’État syrien sûrement, mais à terme, Bachar al-Assad doit partir ». (Hollande, le 7 septembre 2015). Le changement de ministre des affaires étrangères en février 2016 (Fabius cède la place à Ayrault), acte cette modification politique. Ayrault quelques mois plus tard indique même : « À l’issue du processus, il est très clair qu’il [Assad] ne pourra pas rester à la tête du pays. » (1er avril 2016).
Macron en juin 2017, n’évoque même plus la période de transition : « Le vrai aggiornamento que j’ai fait à ce sujet, c’est que je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar al-Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime ! ».
La coordination avec la Russie, dans le survol de la Syrie, était discrète jusqu’aux attentats de Paris de novembre 2015. Hollande se précipite alors à Moscou, cherchant une coopération ouverte avec Poutine contre Daesh, qui n’aboutit pas. Toutefois c’est à ce moment là que les contacts directs entre ministres russe et français de la défense, rompus en 2014, reprennent. En janvier 2016, le conseil économique et financier se réunit pour la première fois depuis novembre 2013, lors de la venue du ministre Macron à Moscou. En septembre, Ayrault salue l’accord de coopération militaire, qui doit être « pleinement mis en œuvre et respecté ». Durant le pilonnage d’Alep par les avions syriens et russes, le gouvernement rappelle sans cesse la nécessité de dialoguer avec le Kremlin, et ne qualifie jamais les bombardements russes comme criminels. Le 16 décembre, Hollande affirme : « il faut que la Russie puisse prendre sa part maintenant de la situation humanitaire qu’elle a d’ailleurs contribué à créer et de la nécessité d’une solution politique, plutôt que de laisser penser qu’il suffirait de parler à Vladimir Poutine ».
A peine élu président, Macron invite Poutine en France, le 29 mai. Lors de la conférence de presse, un groupe de travail franco-russe, de lutte contre le terrorisme est annoncé. En France, la complaisance avec un dictateur dans le cadre du conflit syrien n’aura jamais été aussi forte.