Syrie : coopérations contre la révolution
Les six premiers mois de l’année 2016 ont été marqués par un renforcement de la coopération entre certaines grandes puissances, notamment entre les USA et la Russie. Cette coopération s’est faite contre la révolution syrienne qui, malgré la répression féroce qu’elle subit au quotidien, est encore debout.
Ainsi le siège d’Alep s’est déroulé en plusieurs étapes : en février, après d’intenses bombardements, la partie libre d’Alep, Alep-est, se retrouve isolée des zones qui la liaient à la frontière nord avec la Turquie ; en avril, après un mois de « trêve partielle », Alep est à nouveau pilonnée, puis, après le « régime de calme » du mois de mai, l’offensive reprend, et fin juillet le siège d’Alep est total.
Alep brûle, activistes de Yalda, sud de Damas
De nombreuses forces opposées à Assad (regroupées en deux alliances, l’une islamiste et l’autre liée à l’ASL) se coordonnent alors et arrivent à briser le siège en moins d’une semaine. Il faudra un mois d’une féroce contre-offensive, avec un pilonnage intense et l’arrivée de renforts de Russie (aériens mais aussi au sol), d’Iran, d’Irak, du Liban (Hezbollah), pour que le régime parvienne, le 4 septembre, à imposer à nouveau un siège total et à récupérer les jours suivants de nombreuses zones qu’il avait perdues. Alors que plusieurs gouvernements étrangers s’étaient « émus » du siège d’Alep en juillet, en septembre, le silence est presque total.
La rupture du siège, début août, est associée à une débandade côté régime : les soldats du régime mais aussi nombre de ses alliés fuient, ce que dénoncera le Hezbollah (NOW, 08/08/2016). La débandade de l’armée syrienne est un témoin, parmi d’autres, de la fragilité du régime. Une fragilité militaire et politique. Celui-ci, malgré tous ses appuis, n’est pas arrivé à son coup d’éclat, militaire et symbolique, que devait représenter en juillet le siège d’Alep (où plus de 250 000 Syriens vivent dans une situation catastrophique). Cela montre aussi que la Russie et l’Iran, malgré leur puissance militaire, ne peuvent, seuls, maintenir Assad en place.
Ainsi, les sièges de juillet et de septembre ne sont pas seulement dus aux forces armées des alliés d’Assad. Ils sont également dus à la politique des puissances impérialistes occidentales et des puissances régionales (comme la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar), qui forment chacune une béquille permettant au régime Assad de rester en place. Des béquilles qui influent, selon leurs propres intérêts, sur le rapport de forces en Syrie. Par exemple, l’armement des groupes islamistes (qui étaient les mieux armés lors de la rupture du siège) passe notamment par la Turquie et l’Arabie saoudite ; l’armement, ou non, de l’ASL passe essentiellement par les USA.
La soumission d’Alep-est à un siège et la résistance à ce siège ne sont qu’un exemple : cette politique se décline de différentes façons à travers toute la Syrie. Ces béquilles ont une politique qui évolue en fonction de l’affaiblissement du régime et des intérêts de chaque puissance étrangère intervenant en Syrie. Et ces politiques ont légèrement évolué ces six derniers mois.
Alep, 31/07/2016, des enfants font brûler des pneus
pour installer une zone de protection aérienne et empêcher
les avions de Poutine et d’Assad de tirer.
Durant ces six premiers mois de l’année 2016, les négociations inter-syriennes (entre le régime d’Assad et une opposition triée sur le volet) tout comme les rencontres internationales de grandes puissances ont dépendu de l’évolution des discussions entre Lavrov et Kerry.
Concernant les négociations inter-syriennes du 14 au 24 mars, à Genève, seule série de négociations qui se soit déroulée en entier, Le Monde notait : « Dès l’annonce, le 15 mars, d’une visite de John Kerry à Moscou, plus aucune avancée n’était enregistrée. » Les deux autres séries de négociations (de janvier et d’avril) quant à elles ont avorté rapidement, les aviations de Poutine et d’Assad redoublant de violence, et l’opposition à Genève quittant la table des négociations.
Concernant les rencontres internationales, un mini sommet (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni) s’est tenu à Hanovre, le 26 avril, pour discuter essentiellement de la Syrie et du « rôle que joue la Russie » (Le Monde, 26/04), le 9 mai, les « affinitaires » (États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, l’Italie, Union européenne, Émirats arabes unis, Arabie Saoudite, Qatar, Turquie, Jordanie) se sont réunis à Paris, et le 17 mai, c’est au tour de l’ISSG (groupe international de soutien à la Syrie, comprenant l’ONU, l’Union Européenne et 17 pays dont les USA, la Russie et l’Iran), à Vienne. Là encore, Lavrov (qui n’était pas à la réunion des « affinitaires ») et Kerry jouent leur rôle de leadership : le 9 mai, ils font une déclaration commune... sur laquelle se fondera la déclaration de l’ISSG du 17 mai.
Enfin, ces négociations se déroulèrent essentiellement lors de deux périodes de « calme » obtenues après des échanges entre les seuls Kerry et Lavrov (la période de « trêve partielle » de mars et la période de « régime de calme » de mai).
Fin septembre 2015, l’intervention de Poutine en Syrie avait à peine été critiquée, et Kerry affirmait clairement que le départ d’Assad ne pouvait plus être immédiat. La coopération des USA (directe ou indirecte) avec ces deux dictateurs semblait toutefois consister seulement à éviter que les avions américains ne percutent les avions russes et syriens.
Dix mois plus tard, au mois de juillet 2016, Lavrov et Kerry annoncent une coopération militaire pour combattre Daesh et le Front al-Nosra.
Cette coopération, demandée de longue date par Poutine (notamment le 28 septembre, lorsqu’il avait appelé à une coalition internationale contre Daesh, au siège de l’ONU, ce qui avait été refusé), se dessine en pointillé au fil des mois.
Le 24 mars, alors qu’à Genève s’achèvent les dix jours de négociations inter-syriennes, Kerry se rend à Moscou et annonce des points d’accord avec le Kremlin : reprise des discussions inter-syriennes à la mi-avril, écriture d’une nouvelle constitution, renforcement du cessez-le-feu partiel. Kerry se sent « encouragé par les accords que nous avons pu trouver avec le gouvernement russe en terme même de processus politique... Et maintenant, nous devons arriver à la mise en œuvre de ces accords ». Le renforcement du cessez le feu « inclut de travailler pour... arrêter les tentatives, des deux côtés, pour capturer de nouveaux territoires ». (Al Monitor, 28/03/2016). Kerry renvoie ainsi dos à dos Assad et ses opposants.
Parmi ces opposants, il y a l’ASL mais il y a aussi des forces islamistes, dont le front al-Nosra. Al- Nosra s’est imposé dans de nombreuses localités de la province d’Idlib (adjacente à la province d’Alep), fin 2014, en combattant l’ASL. Aujourd’hui l’ASL et le front al-Nosra (renommé depuis juillet front Fatah al-Sham) coexistent avec, parfois, des frictions ; les zones que ces forces contrôlent, avec d’autres, forment un patchwork sur le territoire syrien libéré. Lors de la trêve partielle de mars, dans plusieurs localités une opposition ouverte et pacifiste a éclaté contre la présence d’al-Nosra. À Maarat al-Numan la population décompte, depuis, les jours de manifestation contre le front al-Nosra/Fatha al-Sham ; ainsi le 19 août Maarat al-Numan comptabilisait son 160e jour de manifestation contre ce front ; le 9 septembre son 180e jour.
Mais les USA ne souhaitent surtout pas appuyer cette résistance populaire contre al-Nosra. Le 9 mai, Washington et Moscou, actaient une « compréhension partagée », entre ces deux pays, de la menace qu’al-Nosra représente et de sa localisation (ce qui est nouveau par rapport à la déclaration de l’ONU de décembre 2015). Le 17 mai, l’ISSG apportait notamment son soutien à cette « compréhension partagée » entre Moscou et Washington, et Kerry et Lavrov ajoutaient lors d’une conférence de presse : « Nous appelons toutes les parties impliquées dans la cessation des hostilités à se dissocier physiquement et politiquement de Daesh et d’Al Nosra ». Une déclaration d’une hypocrisie sans nom, les USA sachant pertinemment que l’ASL n’a pas les moyens militaires de se dissocier physiquement d’al-Nosra (sauf si l’ASL décide de laisser les zones qu’elle contrôle à al-Nosra…). Et tous affirmaient l’objectif de trouver « un accord sur un cadre pour une véritable transition politique » le 1er août.
Le 20 mai, Poutine propose des frappes communes avec la coalition internationale. Ce à quoi les USA répondent, le 24 mai, lors d’une conférence de presse, que les discussions qu’ils mènent avec les Russes ont pour objectif principal le maintien de la trêve [1]. Le 1er juin, Moscou annonçait que Kerry et Lavrov avait discuté le jour même, par téléphone, du « besoin d’actions communes décisives contre le Front Al-Nosra » (Le Figaro, 01/06/2016). Les discussions se poursuivent en juin, sur fond de bombardements croissants, de poursuite des sièges (et notamment sur Alep où la pression croît).
Le 30 juin, le Washington Post révèle que l’administration d’Obama a transmis à Moscou, quelques jours plus tôt, un document détaillant les modalités d’une coopération militaire poussée entre Washington et Moscou, ce que les USA avaient jusqu’alors refusé. Dans ce texte, transmis « après des semaines de négociations », les USA accepteraient de viser de façon coordonnée avec les Russes des cibles du front al-Nosra, en échange de quoi les Russes feraient pression sur Assad pour qu’il cesse de cibler les groupes soutenus par les USA (ou non considérés comme terroristes).
Alors que la bataille est engagée pour le siège d’Alep-est et que le nœud se resserre, que la violence des bombes russes et syriennes sur les civils s’exacerbe, Kerry reste impassible et poursuit : il se rend à Moscou les 14 et 15 juillet et confirme l’accord de coopération.
Alors que le siège est effectif, Kerry, qui vient de rencontrer à nouveau Lavrov, au Laos, annonce le 26 juillet qu’ils ont « fait des progrès »[2] et de Mistura, qui rencontre le même jour des officiels américains et russes, à Genève, annonce la reprise des négociations à la fin du mois d’août, et explique que les négociations inter-syriennes « n’attendront sûrement pas une amélioration de la situation à Alep et à Damas »[3].
Une nouvelle rencontre entre Kerry et Lavrov est prévue la semaine suivante, et des fuites annoncent qu’un accord final aurait enfin été trouvé, avec une trêve de 5 à 7 jours à Alep (02/08, Orient News).
Le changement de nom d’al-Nosra en Fatah al-Sham (et sa dissociation d’al-Qaida), la rupture du siège d’Alep, la violente répression sur les civils et la poursuite des combats par Assad et ses alliés pour réimposer le siège, l’évacuation forcée des Syriens assiégés de Darraya, ne modifient pas les objectifs de Kerry. Peut-être certains de ces événements auront-ils retardé la conclusion d’un accord. Une autre réunion entre Lavrov et Kerry a lieu le 26 août pour préciser les termes de la coopération, mais aucun accord n’est annoncé.
Il faut attendre qu’Assad, Poutine et leurs alliés arrivent à nouveau à imposer un siège à Alep pour que Kerry et Lavrov annoncent leur accord, le 9 septembre : une cessation des hostilités de sept jours et, si elle est respectée, des frappes communes sur al-Nosra ; en outre, « si les groupes de l’opposition légitime veulent garder leur légitimité, ils doivent se distancer par tous les moyens » de ce groupe [4]. Rien d’officiellement nouveau par rapport à juillet, sauf que le jour où débutera la trêve est fixé (au 12 septembre), et qu’Alep est cette fois-ci bel et bien assiégée.
Durant les six premiers mois de l’année 2016, la France a maintenu sa ligne politique concernant la Syrie : elle est restée dans le cadre établi par la déclaration de l’ONU de décembre 2015, et a réaffirmé son soutien à un départ non immédiat d’Assad (dans la lignée du discours des USA). Ainsi Ayrault explique : « Nous ne disons pas qu’il doit partir demain matin, mais il ne peut rester à la tête du pays » (le Monde, 19/04/2016) ; quand ? « À l’issue du processus [de transition], il est très clair qu’il ne pourra pas rester à la tête du pays. » (Ouest-France, 01/04/2016).
Côté Russie, la France a renforcé sa coopération économique : fin janvier, le conseil économique et financier s’est réuni pour la première fois depuis novembre 2013, lors de la venue de Macron à Moscou (Macron devient alors, en trois mois, le 4e ministre à être allé en Russie).
Ce renforcement des liens économiques prend place après une reprise de contacts directs entre les ministères de la défense russe et français (rompus en 2014) suite aux attentats du 13 novembre 2015. Hollande avait alors prôné la nécessité d’une coalition unique (incluant la Russie), qui s’était par la suite concrétisée par la simple annonce d’une coordination de frappes contre Daesh.
Alors que les bombardements russes et syriens redoublent, notamment sur Alep, et qu’à Genève, l’opposition vient de quitter la table des négociations, Ayrault se rend le 19 avril 2016 à Moscou, et invite Poutine à venir à Paris au mois d’octobre. Lavrov se rend dans la capitale française le 29 juin. Dans la même veine, Roahni était venu en janvier en France (une première pour un chef d’État depuis 1999) et Ayrault se rendait au Liban en juillet (une première pour un ministre des affaires étrangères depuis 4 ans) ; là, il rencontrait notamment des députés du Hezbollah.
a Révolution Continue Car Elle Est Notre Espoir, 22/09/2016, mouvement La Révolution du printemps, murs de trois villes au sud de Damas
Les déclarations du gouvernement français en soutien au tandem Kerry-Lavrov ou légitimant la politique russe font florès.
Ainsi, le 9 mai, le jour-même de la déclaration commune de Kerry et Lavrov, Ayrault explique : « Nous la considérons comme positive et notre objectif commun est que cette déclaration puisse être mise en œuvre et respectée par tous le plus rapidement possible. »
Le 28 juillet, un communiqué de presse de l’Élysée explique : « Les ministres [Jonhson et Ayrault] se sont félicités des efforts que les États-Unis continuent de déployer pour collaborer avec la Russie afin de trouver un accord d’ici cette échéance, en coordination avec les Nations Unies. Les ministres ont souligné que seule la Russie a la capacité de convaincre le régime de Bachar al-Assad ».
Le 30 août, dans son discours aux ambassadeurs, Hollande évacue de l’Histoire les crimes de Poutine. Il ne s’agirait que d’un simple soutien : « Depuis près d’un an, la Russie apporte son concours au régime de Bachar El Assad, qui utilise ce soutien pour bombarder des rebelles mais aussi des populations civiles, ce qui fait le jeu des extrémistes de tout bord. ».
Hollande rêve de plus de coopération, sur tous les plans : « il y a tant d’éléments qui justifient que nous puissions avec la Russie avoir un haut niveau de coopération. Alors, la France fait ce qu’elle doit pour favoriser le règlement d’un certain nombre de conflits, mais la Russie doit également prendre sa part ». En complément, « La France souhaite que l’Iran, ce grand pays, réintègre pleinement la communauté internationale. Mais si l’Iran veut y parvenir, il doit contribuer à l’apaisement de la situation dans la Région. La France est prête à faciliter ce processus avec les pays du Golfe ».
Le 10 septembre, Ayrault saluait l’accord entre Washington et Moscou, estimant qu’il est « crucial que cet accord soit pleinement mis en œuvre et respecté ».
L’intervention militaire des USA depuis 2014, en Irak et en Syrie, les a amenés à des coopérations militaires étroites multiples. Ces coopérations impliquent souvent la coalition internationale, et donc la France.
En 2016, deux nouvelles coopérations militaires ont vu le jour (avec Poutine et avec Erdogan), mais une autre, plus ancienne, existait déjà avec l’Iran.
Le régime iranien intervient militairement en Irak et en Syrie. En Irak, il intervient en coopération avec la coalition internationale, contre Daesh ; en Syrie il intervient en soutien à Bachar al-Assad, avec entre autres des troupes au sol. Même si, en Syrie, aucune coopération officielle n’est actée, la coopération en Irak de la coalition internationale avec le régime de Khomeni renforce le soutien iranien au régime Assad.
Par contre la recherche d’une coopération avec la Russie en Syrie est officielle et présentée par les impérialismes comme la clef principale de la solution en Syrie. Très couverte médiatiquement, ses conséquences politiques doivent être observées.
5 Années ensanglantées, En attendant la liberté, 07/04/2016, mouvement La Révolution du printemps, Babilla, Sud de Damas
Cette recherche d’une coopération militaire avec Poutine légitime la politique et l’intervention russes en Syrie, qui visent à anéantir la révolution syrienne. Le nombre de centres médicaux visés par Poutine en 11 mois, au minimum 59, en est une triste illustration.[5]
Cette recherche de coopération militaire avec un régime qui soutien ouvertement le pouvoir syrien légitime également la politique et les massacres de Assad (et de ses autres alliés).
Enfin, le choix de cette coopération conduit les gouvernements à taire certains faits : en 10 mois d’intervention, l’intervention russe a tué plus de civils en Syrie que Daesh en trois ans [6] ; entre janvier et juin 2016, 6567 civils tués ont été dénombrés (3417 du côté du gouvernement syrien, 1378 par les bombardements russes, 764 par Daesh, 21 par al-Nusra, 78 par le YPG, 462 par les forces opposées à Assad -dont des forces islamistes, 127 par la coalition internationale [7]).
Ainsi, d’un côté les USA et la coalition internationale utilisent l’ASL et l’YPG pour leurs propres intérêts ; de l’autre, la Turquie fait de même avec l’ASL et des forces islamistes.
Certains ont vu dans l’entrée en Syrie d’un nouvel acteur, la Turquie, une des conséquences de la prise de Manbij par l’YPG ou de la tentative de coup d’état du 15 juillet.
Il est vrai que l’intervention turque suit la libération de Manbij. Cette ville contrôlée par Daesh depuis 2014 et située à l’ouest de l’Euphrate devait être reconquise par les forces du FSD (qui contient le YPG), et ensuite le YPG devait partir. L’offensive, débutée le 31 mai avec le soutien aérien de la coalition internationale, s’est achevée par la libération de la ville le 12 août ; mais l’YPG refusa alors de partir de la ville.
Toutefois, ces modifications des coopérations militaires turques ont, dans les grandes lignes, été élaborées quelques mois plus tôt. Ainsi en mai, peu après l’annonce du changement de premier ministre turc, une nouvelle stratégie est mise en place (ou tout au moins discutée), avec les USA. Celle-ci concerne Manbij mais également l’ouverture d’un nouveau front face à Daesh, avec intervention militaire turque en Syrie, supportant des groupes de l’opposition à Assad, collaboration avec Washington, mais sans l’aide de l’YPG (Orient News, 20/05/15, Middle East Eye, 30/05/16).
Le 27 mai, Moscou annonçait que la Russie était prête à reconsidérer ses relations avec la Turquie et le 1er juillet, les deux pays annonçaient vouloir coordonner leur politique en Syrie. Les déclarations du premier ministre turc, le 13 juillet, préfiguraient peut-être le changement de politique officialisé le 20 août : « dans le cadre d’une transition, il est possible de s’asseoir et de parler. Il est évident que, qu’on le veuille ou non, Al-Assad est un acteur. » Dans la même veine la Turquie se rapproche d’Israël et de l’Iran.
Ces coopérations militaires, ces marchandages, ces manœuvres entre les gouvernements ont une constante : cela se fait sur le dos des peuples, et contre les révolutions.
Ces coopérations se retrouvent aussi sur le terrain des interventions humanitaires, notamment liées à l’ONU. Elles sont dénoncée par nombre de Syriens, dans des manifestations mais également par des déclarations communes.
Ainsi, début juillet, le conseil local de Daraa (au Sud de Damas), publiait une déclaration :
« Nous - au Conseil Local de la ville de Daraa - considérons toutes les personnes, organisations ou organismes traitant avec le régime de Asad comme ses complices de tous les crimes qu’il commet en Syrie ».
« Coopérer avec le régime de Assad est un crime grave, non moins sérieux que son génocide contre le peuple syrien. »
« Si des organisations de l’ONU sont vraiment pour la paix civile et pour la sécurité, nous leur demandons à toutes de s’abstenir de travailler, de se coordonner et d’aider le régime criminel d’Assad et tous ses soutiens ».
En mai, une déclaration collective rappelait au Conseil de sécurité de l’ONU (qui n’avait pas sourcillé lors du massacre de 13 civils qui faisaient la queue devant une boulangerie à Hritan) : « Tout acte de bombardement par baril ou par bombe à fragmentation sur des civils Syriens est criminel et injustifiable, quelle que soit la motivation, où que ce soit, à tout moment et quelle que soit la personne qui l’ait commis ». (Orient News, le 29/05)
Ces quelques exemples rappellent le rôle contre-révolutionnaire de l’ONU. Il est rare de trouver de telles critiques en Europe, où nombre de partis n’ont de cesse d’en appeler au dieu sauveur ONU.
Ces déclarations ou prises de positions se retrouvent à travers des groupes ou ONG qui soutiennent la révolution syrienne. Ainsi le groupe The Syria campaign publiait à la mi-juin un rapport donnant quelques informations sur cette collusion entre l’ONU et le régime Assad : « en 2015 moins de 1 % de la population des zones assiégées a reçu de l’aide alimentaire chaque mois », « en avril 2016, 88 % de l’aide acheminée depuis la Syrie a été distribuée dans des territoires sous contrôle gouvernemental, et seulement 12 % dans les secteurs aux mains de la rébellion », depuis 2011 ces agences de l’ONU « ont investi dans le pays près de 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) » (Le Monde, 17/06/2016). Le 27 juin, le coordinateur humanitaire de l’ONU à Damas était muté.
De même, The Guardian révélait le 23 août que l’ONU avait versé des dizaines de milliers de dollars à des personnes proches d’Assad, à la tête de structures figurant sur des listes répertoriant celles soumises à sanctions (comme l’organisation Syria Trust charity présidée par la femme de Bachar al-Assad qui a reçu 8,5M de dollars depuis 2011).
Début septembre, 73 ONG qui collaboraient avec l’ONU dans un programme « The Whole of Syria information-sharing » suspendaient leur participation à ce programme (qui devait permettre d’éviter les interruptions dans l’aide humanitaire), soulignant son échec. Elles dénonçaient l’entrave, par le gouvernement syrien, de toute action humanitaire et expliquaient : « Nous n’avons pas d’espoir que les agences de l’ONU basées à Damas et que le SARC [Croissant Rouge en Syrie] prennent des actions concrètes pour répondre aux violations des droits de l’Homme en Syrie », « Nous avons peu d’espoir que la réponse humanitaire coordonnée avec l’ONU puisse se faire de façon indépendante à la politique du gouvernement syrien ». « Nous pensions qu’il était raisonnable d’exercer une pression sur l’ONU pour qu’elle aide à mettre fin à l’utilisation de la faim comme une arme de guerre (…). Cela a également échoué ».
Le blocage par le gouvernement de toute forme d’aide humanitaire (dans les zones assiégées mais pas seulement), la soustraction d’aide médicale des convois sont depuis 2011 monnaie courante. L’ISSG, avec Kerry et Lavrov en tête, avait averti le 17 mai que, si au 1er juin l’accès humanitaire était toujours interdit à une douzaine de localités, des ponts aériens seraient mis en place. Jusqu’alors de tels largages n’avaient eu lieu qu’à Deir Ezzor, en avril, dans une enclave tenue par le régime et encerclée par Daesh. Mais Assad, qui autorise le vol d’avions transportant des bombes, n’autorisa pas ces vols chargés d’aides humanitaires. Les grandes puissances se plièrent à la décision du boucher et, le 9 juin, Washington s’en remit à Poutine, suggérant que les Russes pouvaient larguer eux-mêmes de l’aide humanitaire. Ce dernier préféra faire « pression » sur Assad : l’autorisation d’acheminer des convois humanitaires, par la route, fut alors délivrée mais dans les faits, l’arrivée à bon port ne se fit qu’au compte goutte.
Coopérations politiques, coopérations militaires, coopérations humanitaires. Aux facettes plurielles. De gouvernements aux intérêts divergents, tous hostiles à la révolution.
La Révolution Continue, Car Nous Allons La Reconstruire, par Sois Libre, 8/09/2016
Lors des six premiers mois de l’année 2016, ces coopérations n’ont fait que se renforcer. Aujourd’hui la révolution syrienne est non seulement orpheline mais également prisonnière. Et ses prisons sont multiples. Ces coopérations permettent de maintenir des milliers de Syriens derrière les barreaux (et de réprimer ceux qui se soulèvent, comme dans la prison de Hama, dans celle de Sweida). Ces coopérations permettent le maintien des sièges où règnent les lois de la faim et des bombardements. Ces coopérations permettent d’empêcher l’immigration ou d’offrir aux réfugiés un accueil souvent misérable parfois prisons à ciel ouvert dans lesquelles ils sont sommés de se taire.
Ces coopérations permettent au régime de maintenir la terreur dans les zones qu’il contrôle, de renforcer la militarisation dès qu’un brin de révolte souffle (comme dans la province de Sweida). Ces coopérations permettent la poursuite des bombardements dans les zones libres tandis que certaines puissances étrangères jouent avec les opposants, les alimentant ou non en monnaie et en armes, selon leur orientation politique et leur obéissance aux ordres des mécènes. Épuisant les révolutionnaires syriens et les poussant dans les bras des islamistes.
Fin février, dès de le début de la trêve partielle, les révolutionnaires sont redescendus dans les rues, notamment à Alep, à Daraya, à Daraa, manifester, demandant toujours la chute du régime. Durant tout le mois de mars les manifestations ont fleuri, dans de nombreuses localités, avec toujours les mêmes exigences qui avaient fait irruption en 2011. Et dans certains endroits les slogans se tournèrent également contre le front al-Nosra.
Quelques mois plus tard, début septembre, Alep est assiégée, Daraya a été évacuée, le front al-Nosra s’est développé. Mais la révolution résiste encore et le régime d’Assad a de nouveau montré son extrêmement fragilité. Celui-ci ne tient que par les soutiens et coopérations de nombreuses puissances étrangères. Ainsi, alors que le soutien à la révolution syrienne reste toujours d’une urgente nécessité, il passe plus que jamais par le combat systématique contre la politique de nos propres gouvernements : contre leurs décisions militaires et meurtrières, mais également contre les coopérations multiples avec des assassins de masse (tels Assad et Poutine), qu’elles soient directes ou indirectes (comme à travers l’ONU et la coalition internationale).
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