Enseignement, Université, Recherche
Évaluer par compétences : une même attaque contre les élèves et les enseignants
Dans le premier degré, la réforme des rythmes a été mise en place en 2013 et 2014. La conséquence la plus visible pour les élèves et les parents est une augmentation des inégalités à travers tout le territoire, avec des configurations très diverses. Quelques exemples : dans de nombreux d’endroits, les activités périscolaires introduites sont payantes ou accessibles seulement à certains ; elles peuvent correspondre à une simple garderie. Et surtout, ces bouleversements se traduisent souvent par une augmentation de la fatigue chez les enfants, et selon leur organisation, entraîner des pertes de repères.
Dans le second degré, la réforme des collèges a été mise en place à la rentrée 2016.
Les conséquences les plus visibles pour les élèves et les parents sont la réduction du nombre d’heures de cours ; et parmi les heures restantes, moins d’heures sont dévolues à l’enseignement disciplinaire. À cela s’ajoute une autonomie renforcée des établissements qui entraîne une inégalité accrue des enseignements délivrés selon les collèges.
Ces réformes menées par Hollande marquent donc une baisse globale du niveau de l’enseignement, associé à une augmentation des inégalités entre établissements.
Mais ces réformes ne s’arrêtent pas là. Elles comportent également des changements considérables dans la conception des programmes et dans l’évaluation des élèves, qui sont fondés sur la notion de « compétences » et non plus de « connaissances ». Et ces changements visent l’ensemble de l’Éducation nationale.
Quelles sont les conséquences pour les élèves ? Et quels sont les objectifs poursuivis par le gouvernement ?
L’enseignement a toujours été conçu et dispensé dans un contexte social et économique précis. Il dépend des exigences et rapports de forces entre la bourgeoisie et les travailleurs. Ainsi, en 1967, le plan Fouchet voulait imposer une sélection à l’université, et ce fut la mobilisation de 1968 qui empêcha cette sélection et permit à la massification de se poursuivre.
Mais la fin des années 70 est bien loin, et la situation économique actuelle modifie les exigences de la bourgeoisie. Bien entendu, les entreprises les plus compétitives sont toujours celles qui disposent de la main d’œuvre la mieux adaptée et la moins chère. Mais aujourd’hui, la crise économique et la compétition entre les entreprises à l’échelle nationale et internationale accroissent la pression sur la bourgeoisie pour réformer en ce sens. Ainsi, la bourgeoisie agit sur deux leviers : la destruction du statut de fonctionnaire et du Code du travail (comme on l’a vu par exemple avec la loi Travail), mais également via la destruction de la formation initiale actuellement dispensée au sein de l’Éducation nationale.
L’outil principal possède le doux nom de « compétences ». Avec Hollande, les « compétences » gouvernent dorénavant les programmes scolaires et les évaluations, et détruisent la formation actuelle de plusieurs façons.
L’approche par compétences relègue les savoirs au second plan et néglige les contenus propres aux disciplines enseignées. L’évaluation par compétence évalue la capacité à réaliser une tâche, à savoir exécuter une opération, sans se soucier de savoir si les connaissances ont bien été transmises, bien assimilées, car l’accès au savoir ne constitue plus un objectif d’enseignement.
Comment est-ce possible ? Un professeur de lettres donne l’exemple suivant :
« Toute tâche complexe, comme la lecture est divisée en une multitude de compétences mises en œuvre pour réaliser cette tâche (…) Ainsi, en sixième, pour évaluer les qualités de compréhension d’un jeune lecteur, on trouve les items suivants : identifier le cadre de l’histoire, identifier le personnage principal, identifier les forces agissantes du récit, comprendre la situation, identifier le genre d’un texte... ». À noter « qu’on peut très bien comprendre un texte sans en identifier le genre ». Mais surtout, « un élève qui, par exemple, aurait identifié personnage principal et cadre mais ne comprendrait ni la situation ni les actions des autres personnages n’aurait tout simplement rien compris à l’histoire. Pourtant, d’un tel élève, on dira, d’après ce type d’évaluation, qu’il a 50% de réussite en compréhension de texte. Réussite qui, on l’aura compris, ne signifie rien. ». (1)
Les compétences sont ainsi un saucissonnage de la pensée. Mais c’est bien là l’un des objectifs de la bourgeoisie : l’école ne doit pas apprendre à raisonner, à développer son esprit critique et à développer sa sensibilité artistique. Surtout pas ! Elle doit apprendre le minimum vital... nécessaire aux entreprises, minimum dénommé le « socle commun ».
De plus, l’évaluation par compétence implique une évaluation permanente des élèves. Ce qui exercera une pression constante sur eux, avec l’objectif, pour la bourgeoisie, de leur apprendre la docilité. L’évaluation du comportement de l’élèves, qui le suivra toute sa vie, est ainsi actée noir sur blanc. Et la « culture de l’engagement » est omniprésente dans la réforme.
Concrètement, chaque élève aura un livret appelé LSUN qui le suivra toute sa scolarité obligatoire, et vraisemblablement tout au long du lycée. Ce livret listera le degré d’acquisition par l’élève de huit compétences, subdivisées en sous-compétences. Il a pour objectif de remplacer les diplômes nationaux fondés sur les disciplines par des diplômes individualisés fondés sur des compétences. La conséquence sera une augmentation de la concurrence entre travailleurs, ce qui permet aux entreprises de les payer moins cher.
Les compétences sont ainsi un bel outil pour obtenir des travailleurs flexibles et peu chers.
Mais vous nous direz, les entreprises ont besoin de travailleurs non qualifiés mais également de travailleurs qualifiés ! Pas de problème. Les travailleurs non qualifiés et les chômeurs seront formés et formatés via l’école publique et son socle commun. Quant aux autres, ils pourront se payer des parcours ou cours privés en parallèle du socle commun ou même, s’ils en ont les moyens, des écoles privées. Les établissements publics étant de plus en plus gérés au niveau local, certains mettront sûrement en place des structures spécifiques permettant de limiter la casse... des structures bien entendu réservées à une minorité.
Ainsi, les compétences permettent également de baisser le coût de l’école... ce qui permettra, par exemple, un allègement d’impôt pour les entreprises. Il s’agit ainsi de reporter le coût de la formation initiale sur les familles. Et de développer au plus tôt la culture de l’auto-formation : les élèves doivent avant tout « apprendre à apprendre »... L’État reporte ainsi sur le jeune, puis le salarié la responsabilité de ne pas trouver de travail et de prendre en charge sa formation, à ses frais, tout au long de sa vie.
Depuis plusieurs années, les enseignants se sont battus contre le système de compétences qui a pour objectif de dévaluer les diplômes, de les individualiser pour augmenter la concurrence entre les salariés, mais également de formater les élèves pour les rendre plus flexibles, et reporter le coût de la formation sur eux ou leur famille.
Ainsi en 2005, les enseignants se sont opposés au projet de loi Fillon. D’importantes mobilisations de lycéens se conjuguèrent alors à la mobilisation contre le CPE (contrat première embauche) et Fillon dût revoir à la baisse ses ambitions. La loi Fillon introduisit tout de même un « socle commun » mais les programmes disciplinaires restèrent déconnectés de ce socle.
En 2010, le processus engagé en 2005 se poursuivit au lycée avec la réforme Chatel.
Et en 2013, Hollande fit voter la loi Peillon de refondation de l’école. C’est notamment d’elle que proviennent la réforme du collège et la réforme des rythmes, et c’est grâce à elle que les programmes sont dorénavant soumis au socle, et que la place de l’enseignement disciplinaire est extrêmement réduite. Cette loi achève ainsi les réformes de Sarkozy, qui ont toutes connu l’opposition des enseignants.
Certains pourraient espérer que la résistance des enseignants empêchera l’application de telles réformes.
Mais le gouvernement a pensé à tout.
En 2014, le gouvernement a redéfini le métier des enseignants en une série de « missions ». Aujourd’hui, les chefs d’établissements peuvent ainsi contrôler et imposer une multitude de tâches aux enseignants, et ce au détriment de leur investissement dans la préparation de leurs cours. Mais qu’importe ? L’école ne doit plus dispenser aujourd’hui que le minimum et le moins de connaissances disciplinaires possibles.
Pourtant, cette réforme du métier ne suffit pas pour mener au bout la réforme de l’école. Il faut que les enseignants soient contraints physiquement à mettre en place la refondation de l’école.
La méthode ? La même que pour les élèves ! Il faut évaluer les enseignants en permanence, par compétences, et notamment sur leur comportement et leur servilité. De là dépendra une bonne partie de leur salaire.
L’enseignant du futur vu par le gouvernement est simple : l’enseignant idéal passera son temps dans le bureau du chef d’établissement, à faire des courbettes, à promouvoir ses talents, à vanter son intégration dans les équipes, dans le rayonnement de la communauté éducative, à dénigrer subrepticement certains collègues, et surtout, à passer du temps à essayer de rentrer dans les cases de sa grille d’évaluation par compétences, au détriment de son investissement dans la tâche d’enseignement. Sans oublier les multiples réunions qu’on pourra lui imposer pour le « former », entendez, le forcer à appliquer la réforme.
Depuis toujours, les enseignants ont un retour quotidien, par les réactions des élèves, sur leur enseignement, et c’est cela qui fait leur boussole. Dans des conditions d’enseignement souvent délétères, cette réforme de l’évaluation n’aura qu’une conséquence : les enseignants n’enseigneront plus. Et c’est cela que cherche le gouvernement. Que les enseignants n’enseignent plus, dans le sens fondamental de leur métier, celui de faire acquérir des connaissances disciplinaires et des méthodes, de transmettre un savoir, avec tout ce que cela implique.
De fait, la bourgeoisie est coutumière de ces tours de passe-passe : on garde le nom mais on change le contenu. On garde le mot diplôme mais on enlève le cadre national, on garde le mot programme mais on enlève les disciplines, on garde le mot enseignant, mais on le transforme en animateur spécialisé dans le formatage de la future main d’œuvre.
Le gouvernement a procédé, côté enseignant, en deux étapes. En 2014 il a réformé le métier d’enseignant ; en 2017 il a prévu de réformer l’évaluation des enseignants. Cette réforme de l’évaluation vise à interdire aux enseignants de « résister » à l’application de toutes les réformes dictées par la loi Peillon de 2013, de laquelle découle la réforme des rythmes et du collège.
En 2013, lorsqu’il a annoncé sa réforme du métier d’enseignant, le gouvernement a cherché à opposer les enseignants de ZEP aux enseignants de classes prépa (CPGE). Il a focalisé l’attention sur les salaires des enseignants de CPGE, ce qui a été le déclic de la mobilisation contre cette réforme du métier. Mais ce qu’il ne fallait surtout pas médiatiser, c’est que la majorité des enseignants de CPGE s’est battue contre l’ensemble de la réforme du métier d’enseignant, pour tous les niveaux et non sur l’unique question de leur salaire.
Aujourd’hui, le gouvernement vante une pseudo-revalorisation du salaire pour faire passer sa réforme de l’évaluation. En 1980, en début de carrière, un enseignant gagnait 2 fois le SMIC, en 2015, il gagnait 1,3 fois le SMIC et cela ne changera fondamentalement pas avec sa pseudo-revalorisation. Car, au-delà d’une augmentation de 1,2% - après 6 années de "gel" - le gouvernement entend bien maintenir le blocage du point d’indice. Il s’agit de marginaliser ce système qui unifie les personnels de toute la fonction publique et d’étendre le « salaire au mérite » » Et le temps de travail des enseignants n’a pas diminué, pire les charges hors enseignement se sont alourdies et les conditions de travail dégradées.
Comme en 2013, le gouvernement cherchera à diviser les personnels enseignants, à les dissocier des autres travailleurs en pointant des soi-disant privilèges, ou en expliquant qu’il ne fait qu’acter des modifications qui ont déjà eu lieu ou chercher à corriger des incohérences.
Le mouvement contre la loi Travail l’a montré : pour le gouvernement et le patronat tous les salariés sont des privilégiés, qu’ils dépendent du Code du travail ou du statut de fonctionnaire.
Élèves, enseignants, parents, salariés, tous sont concernés par les mêmes réformes. La réforme du métier et celle de l’évaluation des enseignants sont le miroir des réformes des programmes et de l’évaluation des élèves. Toutes ces réformes doivent toujours être combattues. Elles ne pourront l’être que dans l’unité.
Exiger, dans l’unité, le retrait pur et simple du projet d’évaluation du gouvernement est une nécessité. Laisser croire qu’en « négociant » on pourrait obtenir une bonne réforme de l’évaluation des enseignants ne fait que légitimer ce gouvernement et lui permet d’avancer.
Cette réforme de l’évaluation s’inscrit dans le cadre de la modification complète du système éducatif. Le ministère le dit lui-même, l’une des lignes de forces de cette nouvelle évaluation est d’ « expliciter le sens des réformes, participer à leur appropriation et contribuer à leur application au plus près des personnels et des élèves ». On ne peut négocier une bonne réforme en gardant le cadre, posé par la loi Peillon en 2013. Depuis quatre ans, les objectifs des gouvernements sont clairs et constants concernant les travailleurs du privé comme du public. Ils ne changeront pas.
Une victoire contre la réforme de l’évaluation sera un point d’appuis pour abroger la loi Peillon « de refondation », avec notamment la réforme du collège et l’évaluation par compétences des élèves.
(1) L’évaluation par compétences : http://www.sauv.net/competences.php