La Mécanique des flux
La Mécanique des flux est un documentaire filmé aux « frontières de l’Europe forteresse ». Une réalisation de Nathalie Loubeyre.
La caméra laisse entrevoir quelques points clés des routes empruntées par les réfugiés et migrants qui veulent se rendre en Europe (la frontière croate, Evros, Lesbos, Igoumenitsa ou la Méditerranée centrale). Mais tout ce qui se passe ici pourrait se passer ailleurs.
Natalie Loubeyre et Joël Labat ont pu suivre, en Croatie, les patrouilles de ce pays chargées, dès l’entrée de ce pays dans l’Union européenne, de traquer les réfugiés.
Les propos tenus par alors par ces garde frontières révèlent leur état d’esprit : « ils ne font que fuir la guerre », (…) « mais nous on fait notre boulot ». Pas sûr qu’ils acceptent aujourd’hui d’être filmés, zoomant la nuit avec leur caméra infrarouge, pour intercepter et traquer les migrants qui essayent de franchir la frontière.
Puis la caméra de la cinéaste parcourt le nord de la Grèce enneigé et se fixe sur un camp de rétention : « HELP, Guantanamo, nous sommes là, faites le savoir » crient les réfugiés qui étouffent, piétinés derrière les barreaux. Elle filme aussi le regard de ceux qui gèrent les réfugiés, y compris les enterrent.
La caméra se fait encore le porte parole, en images, des mères, des pères qui en Tunisie présentent sans mot dire les photos de leurs enfants morts dans leur parcours migratoire.
Puis après avoir gagné la confiance de réfugiés Afghans, Africains… elle donne à voir les espaces de solidarité de ces réfugiés qui, dans la grande précarité de la « jungle », échangent leurs points de vue sur des questions économiques, politiques…
Ces portraits et ces paysages présentent la violence de cette politique de « contrôle des flux », développée par les gouvernements nationaux et l’Union Européenne, notamment via Frontex.
La force des images et des points de vue choisis par la cinéaste, qui s’abstient de tout commentaire, suffit à dénoncer la politique « d’accueil » de l’Union européenne et de ses États, la logique sécuritaire du « contrôle des flux » avec son architecture et ses technologies de surveillance et de contrôle toujours plus sophistiqués.
D’un côté un espace militarisé, hyper-surveillé, constellé de barrières, de barbelés, de lieux de rétention, un espace de silence et d’ombres. De l’autre, des images et les voix d’êtres humains qui rêvent, qui souffrent, qui désirent, et qui décident de leur vie.
Pas de conclusions par le biais d’une quelconque voix-off. Les migrants parlent d’eux-mêmes et pour eux-mêmes. Et chose rarement vue au cinéma, ils portent leurs regards sur les Européens.
Qui est responsable de « la crise » ? En traquant des ennemis qu’ils s’inventent, les États nationaux et l’Union européenne ne cherchent-ils pas des boucs émissaires ?
Ceux qui manifestent pour réclamer « du pain et la liberté » ne sont-ils pas dans le même camp que ceux qui fuient la guerre, la famine, les maladies, … la mort ?
Tournées il y a quatre ans, après deux années de recherche pour trouver un producteur, ces images sont d’une grande actualité au moment où les États nationaux érigent des murs, et où la nouvelle agence européenne de gardes-frontières qui doit remplacer Frontex va s’appuyer sur un arsenal considérablement renforcé.
Ce film d’une esthétique originale mêle destins croisés et natures mortes en parallèle. Les plans réalisés avec les caméras infrarouges de surveillance révèlent les files de réfugiés aux corps indéfinis, flous comme les reflets dans l’eau du Danube et de la Méditerranée qu’ils traversent, affrontant tous les dangers.
Un documentaire qui permet d’engager les débats pour s’organiser et agir contre ces politiques de traque.
Le film a obtenu le Grand Prix du Jury lycéens et apprentis au Festival International du Film des Droits de l’Homme 2016. (FIFDH) Source http://www.lamecaniquedesflux.com