L’accord « Union Européenne-Turquie » : externaliser et renforcer la répression des réfugiés
Les 17 et 18 mars 2016, l’Union européenne et la Turquie ont adopté un accord présenté comme
devant résoudre la « crise migratoire », et « offrir aux migrants une perspective autre que celle de risquer leur vie » (sic).
Derrière le langage de la diplomatie, la réalité est toute autre. Il s’agit en fait de permettre aux pays de l’Union Européenne de repousser les réfugiés hors de leurs frontières. Et de sous traiter la répression des migrants à la Turquie.
Dans le même temps, le régime de Bachar al-Assad, à l’origine de l’exode massif des Syrien, continue à massacrer son peuple.
Au 7 février 2016, l’Agence nationale des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) comptabilisait plus de 4,6 millions de réfugiés syriens dans les pays limitrophes, 1 million en Europe, 7,5 millions de déplacés à l’intérieur de la Syrie…
Ils fuient les massacres organisés par le régime, les exactions de Daesh, les bombardements russes et iraniens, ceux aussi de la coalition emmenée par les États-Unis et la France, lesquels renforcent la propagande djihadiste.
Et c’est un véritable marchandage sur le dos des réfugiés qu’ont négocié les puissances européennes.
Entré en vigueur début avril, l’accord prévoit que tous les migrants arrivés en Grèce après le 20 mars et qui ont transité par la Turquie, y compris les Syriens, sont renvoyés en Turquie. Les migrants refoulés pourront déposer une demande d’asile en Grèce.
La Turquie est reconnue comme un « pays tiers sûr ». Cela permet aux juges de rejeter leur requête, en particulier pour les Syriens, puisque la Turquie serait en théorie à même de leur offrir des conditions d’accueil équivalentes. Les coûts des opérations de retour des migrants en situation irrégulière seront pris en charge par l’UE.
La Syrie, par le groupe de la campagne "Live Kafranbel"
Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie, un Syrien sera envoyé en Europe en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies. Cependant, le nombre de Syriens qui accèderont ainsi à l’Europe est plafonné à 72 000.
Ce tri entre « bons » et « mauvais » migrants est révoltant. Il s’opère uniquement selon les intérêts politiques et économiques des puissances européennes.
La Turquie est chargée de prendre tous les moyens nécessaires pour empêcher l’ouverture à partir de son territoire de nouvelles routes de migration irrégulière, maritimes ou terrestres, en direction de l’Union Européenne. Une coopération avec les États voisins et avec l’U.E. est prévue à cet effet.
D’ores et déjà, on observe une diminution notable du nombre de réfugiés arrivant sur le sol européen. Il s’agit ainsi d’externaliser le contrôle des réfugiés pour mettre fin au droit d’asile.
Car, la Turquie ne possède pas de système de protection des réfugiés. Elle a « accueilli », à elle seule, près de trois millions de réfugiés syriens. Un très grand nombre vivent dans une très grande précarité dans des camps. Aujourd’hui, Erdogan ferme la frontière et impose à nouveau des visas aux Syriens qui veulent entrer en Turquie.
Le régime d’Erdogan multiplie les atteintes aux libertés démocratiques : massacres de populations kurdes ; presse bâillonnée et répression des opposants : nombre d’avocats, d’universitaires, de journalistes… sont emprisonnés.
Et nombres de Syriens qui fuient les combats sont bloqués à la frontière. D’autres sont renvoyés, expulsés dans des zones de guerre.
Mais pour l’Union européenne, la Turquie est à la fois coupable (les réfugiés ne doivent pas entrer dans l’espace Schengen) et partenaire privilégié : les pays de l’Union européenne externalisent vers la Turquie la chasse aux réfugiés.
Aujourd’hui, la Turquie n’est un « pays sûr » (3) ni pour ses ressortissants, ni pour les réfugiés. Par cet accord, les gouvernements de l’Union Européenne apportent leur caution au régime. Car, pour ces gouvernements tous les moyens sont bons pour fermer la route des Balkans
Ainsi, la Turquie recevra trois milliards d’euros d’aides pour l’accueil des réfugiés, lesquels s’ajoutent aux trois milliards déjà accordés. Au Conseil de l’Europe, chefs d’État et de gouvernement se sont engagé à un processus de libéralisation des visas afin de permettre aux citoyens turcs de voyager dans l’espace Schengen sans visa d’ici la fin juin 2016. Et ils ont accepté de rouvrir les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE.
Mais cette exemption de visas est soumise au respect de 72 critères, allant de garanties sur la sécurité des documents d’identité à la protection des droits fondamentaux, ainsi qu’à un assouplissement de la loi antiterroriste.
En septembre, l’Union Européenne a exigé la mise en place de « hot-spots » en Grèce et en Italie.
Ces hot-spots sont des centres d’enregistrement et de sélection des migrants.
Ils ont aussi pour mission de faire le tri entre les migrants qui fuient des zones de guerre et peuvent bénéficier d’une protection internationale et les migrants économiques. Ces derniers seront incités à rentrer chez eux.
Dans la pratique, la plupart des Irakiens, Syriens et Afghans appartiennent à la première catégorie, et sont éligibles à l’asile. Les autorités nationales reçoivent l’appui de diverses agences européennes : Europol, l’agence de coopération policière ; Eurojust, pour la coopération judiciaire ; Frontex, l’agence européenne pour les frontières ; Easo, le Bureau européen d’appui en matière d’asile.
Ces hot-spots enregistrent les migrants grâce au système Eurodac de prises d’empreintes digitales électroniques. Rendu opérationnel en 2003 par le règlement de Dublin, ce système prévoit qu’un réfugié demande l’asile dans l’Etat membre de l’Union européenne qui a enregistré ses empreintes digitales.
Avant la mise en place de l’accord de mars dernier entre Bruxelles et Ankara les migrants étaient libres d’aller à leur guise hors du camp et de se diriger vers les ferries assurant la liaison avec le continent. Ils seront désormais maintenus dans les camps jusqu’à ce que leur demande d’asile soit traitée. Selon le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR), les hot-spots sont devenus des « centres de détention ».
Cette chasse aux réfugiés s’appuie aussi sur le renforcement du véritable bras armé de l’Union Européenne : Frontex (Frontières extérieures). Créée en 2005, Frontex n’est pas un corps de sauvetage en mer. Elle a vu ses compétences augmenter de façon constante : déploiement de contingents d’action rapide (2007), administration du système de surveillance des frontières EUROSUR (2012), possibilité d’intercepter des personnes en mer et de les débarquer hors de l’UE (2014), multiplication du budget par 13 en dix ans.
D’ici août 2016, l’Union Européenne veut remplacer Frontex par une nouvelle agence dotée de moyens techniques quasi-militaires (satellites, radars, hélicoptères, possibilité d’usage de drones). La logique sécuritaire va être renforcée sans quasiment aucun contrôle.
Rappelons que Frontex se situe à l’intersection de l’industrie, des politiques de défense et des programmes de l’aérospatiale et de renseignement. Un marché très juteux pour des groupes comme Finmeccanica, Indra, Siemens et Thales.
D’ores et déjà, Frontex coopère avec plus de 40 pays hors de l’Union Européenne (certains bafouent ouvertement les libertés démocratiques).
Et l’agence se situe elle-même « au-delà des droits et des lois ». « En interceptant, puis en refoulant des embarcations de migrants dans les eaux extra-européennes », Frontex interdit aux migrants de pouvoir « bénéficier de la protection internationale dont ils peuvent se prévaloir en vertu de la Convention de Genève de 1951, relative au statut des réfugiés ». C’est ce qu’explique le site FRONTEXIT (1). Les organisations menant la campagne FRONTEXIT, militent pour la suppression de la mission de Frontex.
La « nouvelle Frontex » aurait pour mission de faciliter l’expulsions des personnes sous OQTF. Frontex n’empêche ni le recours aux passeurs (depuis sa mise en place, ils se sont multipliés), ni les morts en mer (le sauvetage n’est pas sa priorité). Au contraire, sa présence renforcée pousse vers des voies migratoires toujours plus dangereuses.
Le plan de l’U.E. est supposé résoudre ce qui, à tort, est nommé "la crise migratoire".
Le renforcement de cette politique sécuritaire va contribuer à attiser la méfiance envers les personnes migrantes assimilées à des terroristes, et les sentiments xénophobes et racistes au sein de l’opinion publique.
Depuis novembre 2015, Frontex contribue à la lutte anti-terroriste. Et sa coopération avec Europol va s’amplifier : elle pourra récolter des données personnelles de personnes soupçonnées de participer à des activités terroristes.
Et, dans le même temps, tout est fait pour masquer d’une part les cause de l’exode de la population syrienne et d’autre part des attaques terroristes en Europe.
Depuis le début de l’année, 147 437 migrants (dont 49 % de Syriens) sont arrivés en Grèce, selon le HCR.
Plus que jamais, le combat pour la défense du droit d’asile, le combat pour l’accueil de tous les réfugiés va de pair avec celui pour l’abrogation de Frontex.
NOTES :
(1) FRONTEXIT est une campagne portée par des associations, des chercheurs et des individus issus de la société civile du Nord et du Sud de la Méditerranée à l’initiative du réseau Migreurop pour l’abrogation de la mission de Frontex.
http://www.frontexit.org/fr/docs/68...
(2) http://insurge.fr/15WEB/15BULLETIN/... Cf. dossiers de L’insurgé, n° 21, décembre 2015.
(3) Pays d’origine sûr : selon la Convention de Genève et la législation de l’UE (Directive sur les procédures d’asile), cette classification signifie que le pays dispose d’un système démocratique et que, de façon générale et permanente il n’y a pas de persécution, pas de torture, ni de traitement ou punition inhumains ou dégradants, pas de menace de violence, ni conflit armé.