2015 : changement de stratégie du gouvernement français en Syrie
Depuis le printemps 2011, le gouvernement français expliquait qu’Assad devait quitter le pouvoir ce que certains, crédules, prirent pour un soutien à la révolution syrienne. Au cours de l’année 2015, la position du gouvernement français a changé. Le tournant est officialisé en août 2015, vis-à-vis du sort de Assad : jusqu’alors, Assad devait partir en début d’une période dite de transition, dorénavant, ce n’est plus le cas. Ce tournant s’inscrit dans un contexte international et dans le cadre logique, pour le gouvernement français, d’une politique impérialiste.
Deux positions caractérisent, entre autres, la politique du gouvernement français sur la question syrienne : sa position par rapport à Assad et vis-à-vis à l’Iran.
Concernant Assad, jusqu’à 2015 la position du gouvernement français est claire : de nouvelles élections doivent être organisées en Syrie, après une période de transition au début de laquelle Assad doit partir. Ainsi Fabius explique le 09/01/2014 « L’objet de Genève II, c’est de se réunir, (...) pour essayer de construire un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs, pas avec M. Bachar Al-Assad mais avec des éléments du régime, et avec l’opposition modérée ». On peut noter, au passage, que, alors que le Communiqué de Genève (2012) indiquait que les « éléments du régime » dans un gouvernement de transition étaient une éventualité, pour Fabius, c’est une obligation.
Concernant l’Iran, ce pays n’a pas, pour le gouvernement français, sa place à la table des négociations. Ainsi, « Il est évident qu’aucun pays ne saurait participer à cette conférence s’il n’en acceptait pas expressément le mandat » (Fabius, Le Monde 20/01/2014). En mai 2013, il était encore plus clair : « Parmi les éléments qui ont été actés [lors de la réunion à Amman des Amis du peuple Syrien, le 22 mai], il y a le fait que l’Iran, compte tenu de son comportement et l’attitude extrêmement hostile qu’il adopte vis-à-vis du peuple syrien, n’a pas sa place dans une telle conférence.[de Genève II] » (Fabius, le 22/05/2013 -point de presse).
De trop nombreux articles expliquent que le tournant dans la politique de Hollande date des attentats de novembre 2015. Cette assertion est démentie par les faits et paroles officielles : le 25 août 2015, Hollande déclare devant les ambassadeurs réunis à Paris, qu’il faut « la neutralisation de Bachar Al-Assad », et « mêler toutes les parties prenantes à la solution » ; il cite notamment l’Iran. Ainsi le changement dans la politique de l’impérialisme français est acté ce jour là, vis-à-vis du sort de Assad (il ne doit plus « partir » mais simplement être « neutralisé ») et vis-à-vis de l’Iran qui est dorénavant reconnue comme interlocuteur.
Les déclarations et actions suivantes de l’État français ne feront que conforter et préciser cette nouvelle position.
Ainsi le 7 septembre, Hollande annonce l’intervention de l’aviation française en Syrie. En outre, lors de cette conférence de presse, il ne parle que de Daesh : « C’est Daesh qui fait fuir, par les massacres qu’il commet, des milliers de familles », ce que reprendront à loisir les médias. Il faudra attendre les questions de la presse pour qu’Hollande daigne mentionner les massacres de Assad ; et de préciser « Le départ de Bachar al-Assad est, à un moment ou à un autre, posé dans la transition », « une solution doit être, avec le régime, avec l’Etat syrien sûrement, mais à terme, Bachar al-Assad doit partir ».
Les mois suivants, Fabius confirme bien qu’il n’est plus exigé qu’Assad parte en début de période de transition, mais à un moment de celle-ci : il faut « accélérer les négociations pour installer à Damas un gouvernement de transition, composé à la fois d’éléments du régime et d’éléments de l’opposition modérée, sans la domination de Bachar. » (08/09, Le Parisien), « il faudra à un moment ou un autre que dans cette transition politique, il ne soit plus en fonctions. » (le 30/10 à Vienne). Derrière la formule « Bachar al-Assad ne peut pas être l’avenir de la Syrie » (le 21/11), c’est désormais non un départ immédiat de Assad qui est prévu mais un départ en cours d’une transition politique.
En décembre, Fabius va même plus loin en envisageant une coopération avec l’armée de Assad : le 05/12, il rappelle que : « Une Syrie unie implique une transition politique. Cela ne veut pas dire que Bachar al-Assad doit partir avant même la transition, mais il faut des assurances pour le futur » et ajoute « Il n’est pas possible de travailler avec l’armée syrienne tant que M. Bachar al-Assad est à sa tête. Mais à partir du moment où il y aura eu une transition politique et où M. Bachar ne sera pas le chef des armées, on peut très bien s’associer à ce qui sera l’armée syrienne. Mais dans une transition politique opérée ».
Puis le gouvernement va sans cesse se référer à la résolution de l’ONU du 18 décembre 2015, résolution qui ne dit rien sur Assad et satisfait la Russie car les formulations sont très générales. Par exemple dans cette résolution, le processus politique comprend « la mise en place d’un organe de transition inclusif avec les pleins pouvoirs exécutifs, qui doit être formé sur la base du consentement mutuel, tout en assurant la continuité des institutions gouvernementales ».
Le remplacement de Fabius par Ayrault lors du remaniement de février 2016 acte d’une certaine façon ce changement politique. Dans la suite logique, Ayrault envisage le 1er avril le départ de Assad non pas en début du processus de transition mais à l’issue du processus : « Il faut garder des institutions qui soient acceptables par l’opposition et un certain nombre d’éléments du régime, mais à terme, Bachar al-Assad devra partir. À l’issue du processus, il est très clair qu’il ne pourra pas rester à la tête du pays. » (1er avril 2016, Ouest-France).
Le premier semestre de l’année 2015 avait déjà laissé envisager ce changement de politique, avec deux grandes « premières » depuis 2011-2012 : la visite, le 24 février, de quatre députés français à Damas (dont un député socialiste) et l’interview de Assad par une chaîne publique, France 2, le 20 avril. Une autre visite, celle du député JF Poisson, aura lieu au cours de l’été (organisée par l’association SOS Chrétiens d’Orient).
Dans les discours, le changement vis-à-vis de l’Iran est clair depuis plusieurs mois : « il faut essayer d’intégrer l’Iran dans le processus de solution. », « Une des clés est bien sûr notamment à Moscou. » (Fabius sur France Inter, le 12/01/2015).
Concernant l’avenir de Assad, certains commentateurs perçoivent une inflexion du gouvernement français dès janvier, car le départ de Assad en début de transition n’est plus explicité : « M. Bachar Al-Assad (…) ne peut pas être l’avenir de son peuple » (Fabius le 12/01/2015 sur France Inter) « L’idée qu’on pourrait trouver la paix en Syrie en faisant confiance à Bachar Al-Assad et en pensant qu’il est l’avenir de son pays est une idée que je crois fausse. » (Fabius, le 15/02/2015).
Nous voulons te jeter Bachar, toi et ton parti
Organisation des jeunes civils al-Ielami al-Mareh
24/03/2015, par al-Ielami al-Mareh (Le journaliste gai)
Fin février (sans doute en lien avec les remous générés par la visite des députés à Damas), la critique contre Assad redevient plus claire. « Depuis le palais où il est reclus, Bachar Al-Assad ne se contente plus de faire la guerre à son propre peuple : il a lancé une démarche d’auto-réhabilitation. Dans les médias occidentaux, il tente de profiter de l’effroi suscité par les extrémistes pour se présenter en rempart contre le chaos. ». « Pour notre propre sécurité nationale, nous devons venir à bout de Daech en Syrie. Nous avons besoin d’un partenaire pour agir contre les extrémistes, donc d’un règlement politique négocié entre les différentes parties syriennes et conduisant à un gouvernement d’unité. Celui-ci devrait réunir certaines structures du régime existant, la Coalition nationale et d’autres composantes qui ont de la Syrie une vision modérée, inclusive, respectant les différentes communautés du pays. Il est clair pour nous que Bachar Al-Assad ne peut s’inscrire dans un tel cadre. » (Fabius et Hamon, tribune dans Le Monde du 27/02/2015).
Après une polémique liée aux propos de Kerry le 15 mars 2015, Fabius réaffirme : « La solution » au conflit syrien, « c’est une transition politique qui doit préserver les institutions du régime, pas M. Bachar Al-Assad » , « Toute autre solution qui remettrait en selle M. Bachar Al-Assad serait un cadeau absolument scandaleux, gigantesque aux terroristes de Daesh » (à Bruxelles, le 16 mars). On retrouve cette idée dans une interview de Paris Match du 2 juillet : « la solution est politique, avec là aussi la nécessité d’un gouvernement d’union qui rassemble à la fois l’opposition et des éléments du régime, mais sans Bachar El-Assad ».
La décision d’Hollande d’intervenir militairement, en septembre 2015, n’a pas été prise sous le coup de l’émotion suscitée par la photo du corps d’un enfant syrien retrouvé le 2 septembre sur une plage de la mer Méditerranée. Le Monde du 15/09 la fait remonter à août : « Décidé après l’attaque ratée du Thalys en août, l’engagement français a un objectif politique national avant d’être militaire : démontrer aux Français que tout est fait dans la lutte contre la menace terroriste. Paris affirme que la résolution de la crise syrienne relève d’abord d’efforts politiques et diplomatiques. », « ces frappes ne changeront pas la donne sur le terrain syrien en proie au chaos, conviennent tous les experts. Car pour l’heure, le cadre fixé aux militaires est étroit : il s’agit d’être prêt à engager une riposte si, demain, un attentat visant le sol français est ordonné et préparé depuis les bastions de l’EI en Syrie. », « Les services de renseignement ont acquis la preuve que des jeunes y sont formés, lors de véritables stages, à la préparation d’actions terroristes contre la France. »
De fait, après les attentats du 13 novembre, le gouvernement français répond aussitôt par de nombreux bombardements en Syrie, sur Raqqa notamment.
Ces bombardements sont inacceptables. Et ce pour plusieurs raisons :<TAG1>
- <TAG2> <TAG3>les bombardements causent la mort de civils (morts que l’on ose qualifier de « dommages collatéraux »), <TAG1>
- <TAG2> <TAG3>ces bombardements impliquent la coordination entre le gouvernement français et des régimes de bouchers (Assad et Poutine) afin notamment que les avions de la coalition internationale n’entrent pas en collision avec les avions syriens et russes,
- <TAG2> <TAG3>
les bombardements français légitiment les bombardements russes et syriens qui combattent également, mais à leur façon, « contre le terrorisme » et visent les civils en priorité, <TAG1> - <TAG2> ces bombardement incarnent le mépris pour un peuple et pour son droit à disposer de lui-même (les révolutionnaires syriens, une fois débarrassés de Assad pourraient régler facilement, et seuls, le problème de Daesh),
- les bombardements renforcent la propagande djihadiste.
Le changement de politique du gouvernement français vis-à-vis d’Assad ne date vraisemblablement pas d’août. Rappelons que les USA ont été contraints de reprendre leur intervention militaire en Irak et de bombarder en Syrie à l’été 2014 pour faire face à l’expansion de Daesh. Le gouvernement français avait alors accepté de bombarder en Irak et refusé de bombarder en Syrie. L’intervention militaire française en Syrie en septembre 2015 répond à des objectifs internes (le gouvernement « protège » le peuple français contre le « terrorisme ») mais également externe : la bourgeoisie française ne veut pas être isolée des négociations sur l’avenir de la Syrie. Rappelons, que, opposée à la levée des sanctions contre l’Iran, elle a dû se ranger derrière les USA en juillet 2015 suite à l’accord sur le nucléaire, et changer brutalement de position vis-à-vis de l’Iran.
Les interventions militaires sont ainsi en cohérence avec les discours politiques et tous deux évoluent en fonction des nécessités internes (comme les attentats), ou externes. Elles se doublent d’opérations diplomatiques ou médiatiques : visites de députés au régime de Assad le 26 octobre 2015, le 12 novembre 2015, le 27 mars 2016 (lors de cette dernière visite, les députés ont été accompagnés de « personnalités » tels un ancien président du Front national de la jeunesse ou encore un journaliste de l’Humanité...), émission reprenant la propagande de Assad sur France 2 ("Un Œil sur la Planète", le 18/02/2016).
Lors de Genève II, Kerry avait déclaré : « Bachar al-Assad ne prendra pas part au gouvernement de transition. Il est impossible, inimaginable que cet homme qui a mené une telle violence contre son propre peuple puisse conserver la légitimité pour gouverner » (22/01/2014). Comme Fabius, il envisage un partage du pouvoir entre le régime et une partie de l’opposition : « Tous les noms proposés pour le leadership de la transition de la Syrie doit être accepté par l’opposition et le régime ». (16/04/2014)
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Début janvier 2015, le New York Times souligne que les USA souhaitent toujours le départ de Assad, mais de façon plus graduelle. Il souligne la modification du discours de Kerry, qui s’adresse désormais à Assad comme à un chef d’Etat : « Il est temps pour le président Assad, pour le régime d’Assad, de donner la priorité à leur peuple et de réfléchir sur les conséquences de leurs actes, qui attirent de plus en plus de terroristes en Syrie, essentiellement en raison de leurs efforts visant à éliminer Assad ». Dans la même veine, le 13 février, le médiateur de l’ONU, affirme que le président de la Syrie « faisait partie de la solution ». Le 15 mars, des propos ambigus de Kerry lors d’un interview amènent une rectification : « Nous n’avons pas dit que nous voudrions négocier directement avec Assad », « La politique reste la même et est claire : il n’y a pas d’avenir pour Assad en Syrie et nous le disons tout le temps » (Marie Harf). Avenir proche ou lointain ? La formule reste floue ou parfois un peu plus précise : Assad « a perdu toute légitimité dans la capacité à être en mesure de faire partie de l’avenir à long terme du pays » (le 30/04/2015, au président de la CNS)
Kerry explicite clairement, le 29 septembre, lors d’une interview à la CNN, ce changement : « Nous avons changé ça [l’exigence du départ d’Assad, ndlr]. Au bout d’un certain temps nous nous sommes dits : "Ça ne marche pas". Il est indispensable d’effectuer une transition ordonnée, contrôlée afin d’exclure les risques de revanchisme, de pertes, de vengeance ; un vide, une implosion ». En clair, Assad doit rester lors de la période de « transition ».
Concernant la position des USA vis-à-vis de l’Iran, qui soutient ouvertement Assad, la signature de l’accord de Vienne (sur le nucléaire et la levée de sanctions économiques) en juillet 2015 ouvre une nouvelle étape dans la négociation entre puissances : dorénavant, l’Iran est invité à la table des négociations concernant l’avenir de la Syrie (comme ce sera le cas lors des réunions de l’ISSG à Vienne).
En parallèle des discours, toute l’année 2015 a vu des modifications d’alliances et de stratégies.
Alors que les USA négociaient avec l’Iran, les forces rebelles (armées essentiellement par les USA et des puissances régionales) sont parvenues à constituer des coalitions et ont engrangé d’importantes avancées durant les six premiers mois de 2015. Cette progression a été stoppée par ordre des USA peu avant la signature finale de l’accord Iran-USA du 14 juillet 2015 : la bataille de Damas qui devait être lancée par les groupes rebelles n’eut pas lieu. Pourtant début juillet, le régime syrien était acculé et avouait manquer d’hommes. |
L’ONU nous tue : murs de Babbila assiégée, sud de Damas Bannière réalisé par les équipes de Daraya |
Comme il l’avait annoncé, Poutine appelle le 28 septembre, au siège de l’ONU à New York (la première fois depuis 10 ans), à une coalition internationale contre Daesh. Celle-ci est officiellement refusée mais, de fait, une coopération se met en place. Les USA coordonnent les sorties de leurs avions avec les sorties des avions de Assad et de Poutine. La France qui était restée discrète concernant ses propres coordinations avant les attentats de Paris du 13 novembre, cherche, après les attentats, une coopération ouverte avec Poutine.
Les six derniers mois de 2015 se caractérisent plutôt par un recul des rebelles en lutte contre Assad et Daesh ; un recul faible au début, malgré l’intensification des bombardements russes, mais la situation devient beaucoup plus dramatique début 2016, notamment à Alep.
Depuis 2011, les puissances impérialistes ou régionales ont soit opté pour une répression ouverte de la révolution syrienne (comme la Russie et l’Iran), soit par une volonté d’islamisation de la révolution (comme l’Arabe saoudite ou le Qatar), soit par un laissé faire-pourrissement (USA, France). L’objectif est quant au fond le même : la révolution syrienne doit être brisée ou muselée.
En témoignent les faibles réactions face aux massacres organisés par Assad, la faiblesse de l’armement fourni à l’ASL et notamment le refus de lui livrer des armes anti-aériennes (dont l’utilisation pourtant peut être contrôlée par les fournisseurs par différents dispositifs). L’illustration la plus spectaculaire eut lieu en août 2013 quand Assad utilisa massivement des armes chimiques, franchissant ouvertement la ligne rouge qu’Obama lui avait fixée : il n’y eut alors pas de réaction militaire d’Obama, et Hollande en fut désarçonné.
En 2014, le développement de Daesh, qui menace la sécurité et les intérêts américains, et toujours la peur de voir s’effondrer l’état syrien ont amené à un changement de stratégie des USA, en fonction de leurs intérêts propres ; changement que suivra la France à la lettre mais avec un temps de retard, dans le discours et dans l’intervention militaire.
Cette ligne politique apparaît aujourd’hui clairement : un cessez-le-feu en Syrie avec le maintien de Assad au pouvoir pour éviter que le régime n’ « implose », et une alliance Russie-USA-Régime syrien avec des Rebelles soigneusement choisis afin d’exterminer Daesh. La question encore ouverte est de savoir quels pouvoirs Assad conservera et pour combien de temps.
Le 3 décembre 2015, le New York Times résumait : « Le secrétaire d’Etat John Kerry a déclaré jeudi qu’il croit que si un accord peut être atteint pour soulager le président de la Syrie Bachar al-Assad du pouvoir, une coalition d’Américains, les Russes et les forces syriennes pourrait anéantir l’État islamique « dans une affaire de littéralement mois. », ce que reprit Fabius le 5 décembre.
Pour lutter contre Daesh, la bourgeoisie américaine a fait le choix de coopérer avec la Russie et l’Iran plutôt que d’aider les populations civiles (avec des zones d’exclusions aériennes) ou les rebelles comme l’ASL dans leur lutte contre Assad et Daesh (la tentative des USA de former des brigades syriennes pour la lutte seule contre Daesh a été un complet fiasco).
Plusieurs raisons peuvent être invoquées : le refus de voir une révolution victorieuse, les accords sur le nucléaire avec l’Iran qui participent d’une volonté de remettre l’Iran dans le jeu régional, en contre poids notamment à l’Arabie Saoudite, le refus d’une implication militaire trop importante en Syrie pour des raisons politiques et économiques internes. La raison souvent avancée d’une peur d’un effondrement de l’État syrien comme cela a été le cas en Irak est critiquable : en Irak ce sont des armées étrangères, dirigées par les USA, qui ont détruit l’État et occupé le pays ; dans le cas de la révolution syrienne, c’est le peuple syrien qui veut mettre à bas un régime (qui fait corps avec l’appareil d’État), pour en construire un autre. En outre, la peur de voir se développer, avec l’effondrement de l’État syrien, de « milices incontrôlables », ignore les massacres qui sont menés par le régime et les milices qu’il « contrôle », ou par son aviation.
Les bourgeoisies russe et américaine (et française) ont deux ennemis communs : la révolution syrienne d’abord et les djihadistes. Les USA essayent de prendre le contrôle de certaines brigades révolutionnaires tandis que l’aviation russe en bombarde d’autres.
Certains estiment que les USA se sont désengagés politiquement de la région et notamment de Syrie, mettant notamment en avant des raisons économiques ou des raisons de politique intérieure (éviter la mort de soldats américains comme il y en a eu en Irak, sous Bush). S’il y a une réelle différence de stratégie entre Obama et Bush, il n’y a en aucun cas un désintérêt d’Obama pour la région. En témoigne l’accord historique conclu avec l’Iran en juillet 2015. De plus, les difficultés économiques actuelles de la Russie, de l’Arabie Saoudite et de l’Iran (liées notamment à la chute du cours du pétrole) sont incomparablement plus fortes que celles des USA, qui restent la première puissance mondiale. Ainsi l’on ne peut pas parler d’affaiblissement des USA au Proche et au Moyen-Orient.
Par contre, la volonté de privilégier le contrôle de forces locales plutôt qu’une intervention directe est réelle. A cela s’ajoute la volonté de mieux jouer, quitte à ce que cela prenne plus de temps, sur les intérêts des principaux acteurs. Ainsi en Syrie, Poutine semble jouer au bad boy, fait le travail, et Kerry en sortira good boy. Kerry en est conscient : « Si il [Poutine] se range du côté d’Assad et de l’Iran et du Hezbollah, il va avoir un très grave problème avec les pays sunnites de la région » (interview à la CNN, 30 septembre). Et l’accord obtenu devra apparaître comme « gagnant-gagnant ».
Si chaque pays a ses intérêts propres en termes d’influence et de contrôle de la région, se superposent à cela des intérêts de politique intérieure : l’état de guerre vise à faire accepter la restriction des libertés et l’austérité (comme en Russie, en France,...) et faire remonter sa popularité face à la menace du djihadisme ; l’écrasement de la révolution syrienne vise à empêcher d’autres soulèvements en particulier dans la région.
En France, la menace djihadiste est utilisée pour mettre en place des mesures contre les libertés et les droits des travailleurs (état d’urgence, mutation d’employés présentant une fiche S...). Il est du ressort du mouvement ouvrier d’expliquer que c’est la politique même des bourgeoisies impérialistes et régionales qui ont généré cette menace, ainsi que l’abandon de la révolution syrienne par les organisations qui se revendiquent du mouvement ouvrier.
Réaffirmer son soutien à la révolution syrienne, c’est aujourd’hui apporter son soutien politique à tous ceux qui exigent le départ immédiat du boucher Assad et de sa clique. Depuis 2011, ce peuple demande la chute du régime ; ce qu’il a notamment rappelé lors des manifestations importantes du mois de mars 2016, lors de la trêve partielle. C’est dénoncer toute coopération du gouvernement de son pays avec ceux qui visent par leur bombes et barils les civils et rebelles syriens, Assad et Poutine ; ce qui implique en premier lieu d’exiger la fin des bombardements impérialistes. C’est soutenir toute demande de solidarité et d’aide émanant des révolutionnaires syriens.
Mars-avril 2016