Art et révolution en Syrie Poésie : À la pleine lune (extraits) de Fadwa Souleimane
Les mobilisations révolutionnaires dans les pays arabes se sont accompagnées d’une créativité artistique foisonnante : musique, films, vidéoclips, caricatures, tableaux et affiches naissent chaque jour et circulent sur la toile.
Ce phénomène commencé en Tunisie avec les caricatures, les graffitis, s’est développé en Égypte avec la musique. Il a pris depuis une ampleur incomparable en Syrie avec la mobilisation révolutionnaire contre le régime dictatorial d’Assad dont l’oppression tyrannique s’exerce depuis plus de 40 ans y compris sur l’activité intellectuelle et artistique, imposant un « art officiel ».
En Syrie, la mobilisation révolutionnaire a libéré toutes les énergies créatrices latentes, plus ou moins spontanées ou organisées, et généré une explosion de créativité artistique. Avec cette libération de la parole ont émergé de jeunes photographes, cinéastes et reporters au talent exceptionnel. Pour eux, c’est un combat en soi d’avoir dès les premiers instants filmé, enregistré et documenté l’horreur et la beauté, la haine et la bravoure, la célébration et le deuil issus des combats contre cette dictature sanglante des Assad.
Un article du mensuel CQFD rend compte de ce foisonnement populaire et de sa créativité :
« L’image et le dessin ont commencé à apparaître, ainsi que des collectifs de graffeurs développant leur propre style à travers de grandes fresques. Les caricaturistes amateurs tournaient en dérision l’image, jusque-là intouchable, du président et de sa clique. Grâce au piratage d’une boîte mail privée du président, tout le monde a pu apprendre que sa maîtresse l’appelait “mon canard”, les moqueries ont pu ainsi être déclinées sous des formes diverses. La communauté internationale, les pays impliqués dans le conflit, les extrémistes religieux et les dérives des opposants syriens n’ont pas non plus échappé au regard mordant des caricaturistes ». (1)
Ce foisonnement artistique reflète la vitalité de la révolution ; il s’exprime dans tous les domaines : caricatures, BD, dessins, peinture, graffiti, calligraphie, sculpture, affiches, timbres, photographie, cinéma, vidéo, musique et chant, théâtre, poésie, affiche et bannière…
Le site Mémoire créative de la révolution syrienne (creative memory) regroupe les œuvres publiées à nombre d’endroits sur la toile. Il s’agit non seulement d’enregistrer, de documenter, de réunir les histoires de ce surgissement du peuple syrien pour reprendre en main son existence sociale, politique et culturelle, mais aussi de soutenir la résistance artistique syrienne.
Une "Carte des mots-clés géographiques" (2) fait le lien entre les matières (caricature, BD, dessin, sculpture, musique, etc. - déjà documentées sur le site et la localisation de leur production sur le territoire syrien. Alors qu’aujourd’hui, tout est fait pour enterrer la révolution syrienne, voire masquer qu’elle ait réellement existé, ce travail est d’autant plus précieux.
L’insurgé a déjà publié des affiches de Kafranbel et utilisé avec l’accord de l’auteur des œuvres pour illustrer des articles. Nous publions, dans ce numéro, l’extrait d’un poème de Fadwa Souleimane issu du recueil À la pleine lune (Le Soupirail, janvier 2015). Traduction de Nabil El Azan.
(1) Syrie : Nous voulons un pays en couleur http://cqfd-journal.org/Syrie-Nous-...
On ne garde pas les vivants avec des gardiens
On les garde avec les vivants
On ne garde point les morts
Homs, 11 janvier 2011
encre de Reem Yassouf
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c’était à l’aube
un enfant se réveilla parmi les décombres il chercha sa mère la dégagea d’entre les pierres la secoua avec force mais il ne la réveilla pas il appela ses frères et sœurs un à un puis il retourna auprès de sa mère et s’écria je ne te croirai plus mère hier tu chantais aux colombes que nul ne les égorgerait jamais le jour de son anniversaire dans un refuge pour orphelins il écrivit avec une plume d’oiseau ma pauvre mère elle ne savait pas comment s’amusent les puissants elle n’a pas su qu’ils ont tout barbouillé de rouge frères et sœurs et elle-même de rouge ma mère ne les a pas maudits lorsqu’ils ont détruit la maison en rigolant elle ne leur a pas crié dessus lorsqu’ils ont mis le feu à ma balançoire et dans le jardin de Hala elle n’a pas hurlé lorsqu’ils ont aligné mon père avec les voisins et de leurs fusils ont fait jaillir les crayons pour barbouiller toutes les têtes de rouge le rouge ô mère t’a empêché de crier de maudire quiconque et cet enfant qui n’en est plus un continuera de faire voler les colombes ça et là le cœur saignant Paris, le 3 août 2012.
Extraits du recueil À la pleine lune (Le Soupirail, janvier 2015) |
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