3/3. Septembre 2015 : un gouvernement domestiqué
Si le premier gouvernement de Tsipras n’a jamais remis en cause le capitalisme, ni l’Union européenne, il affirmait vouloir s’opposer à la politique de rigueur dictée par les créanciers. Ce n’est plus le cas du gouvernement issu des élections de septembre : il accepte pleinement la mise en œuvre du troisième mémorandum, avec une célérité qui étonne bien des commentateurs. Tout au plus va-t-il, parfois, jouer à celui qui tente d’atténuer les exigences qu’on lui dicte. En réalité, il est complètement domestiqué.
Le nouveau gouvernement se met au travail
Ce gouvernement est, comme le précédent, structuré par l’alliance entre Syriza (débarrassée de son aile gauche) et l’AN.EL, et l’on y retrouve les piliers du précédent gouvernement. L’AN.EL détient deux postes clefs : la Défense et les Affaires étrangères. Et le ministre de l’économie, Stathakis, déclare que la priorité est « de respecter le plan de réformes passé avec les créanciers »...
Le 5 octobre, Euclide Tsakalotos reprend les discussions avec l’Eurogroupe. Il doit s’engager sur un paquet de 48 mesures. Une première série devra être votée avant la mi-octobre. Une deuxième série à la mi-novembre. C’est la condition pour que soient versés (en deux fois) 3 milliards d’euros d’aides nécessaires pour… rembourser le FMI en décembre.
16 octobre : hausses d’impôts et coupes dans les retraites
Comme prévu, le Parlement vote, le 16 octobre, 19 premières mesures groupées en une loi unique...

L’incidence financière de ces mesures est évaluée à 4 milliards d’euros. Quelques mesures semblent concerner les plus riches (comme l’augmentation du taux d’imposition des bénéfices de 26 % à 29%, ou la contribution exceptionnelle des revenus de plus de 500 000 euros… sous réserve que ces bénéfices et revenus ne soient pas dissimulés…). Mais l’essentiel, à hauteur de 2,4 milliards d’euros par an, résultera de la modification des taux de la TVA, l’impôt le plus injuste.
Grève générale du 12 novembre 2015
D’autres mesures visent, une fois encore, les retraités.
Contre le vote de cette loi, plusieurs milliers de manifestants se rassemblent à l’appel du Parti communiste (ainsi que quelques centaines à l’appel du syndicat des fonctionnaires, Adedy).
Puis, le 6 novembre, le Parlement approuve une nouvelle série de mesures facilitant en particulier la privatisation du port du Pirée et supprimant des rabais fiscaux pour les agriculteurs.
Mais le gouvernement grec rechigne à mettre en œuvre les mesures concernant les banques. Le mémorandum prévoit 25 milliards d’euros pour leur recapitalisation. Les créanciers veulent contrôler les actifs détenus par les banques, et exigent l’expulsion de ceux qui ne peuvent rembourser leur emprunt immobilier, afin de pouvoir revendre ces logements. Jusqu’à présent, seuls les logements valant plus 250 000 pouvaient être saisis.
Pour les créanciers, il faut en finir avec ces réticences. Le 9 novembre, l’Eurogroupe serre donc un peu plus le garrot, refusant de débloquer la tranche promise de 2 milliards d’euros.
Quand Syriza soutient la grève…
La direction de Syriza fait alors mine de résister. Elle apporte son soutien à la grève générale du 12 novembre, appelée par les centrales syndicales, ADEDY pour le secteur public et le GSEE pour le secteur privé. Il s’agit de protester contre les hausses d’impôts et la réforme des retraites, mesures votées par les députés de Syriza...
Ceci étant fait, le gouvernement grec peut donc annoncer, le 17 novembre, avoir trouvé un accord avec ses créanciers.
Concernant les saisies immobilières, il prétend avoir préservé 60 % des cas concernés, soit 400 000 ménages, contre 70 % aujourd’hui. En fait, les débiteurs en difficulté sont classés en trois groupes. Seuls ceux qui ont un très faible revenu (1000 euros mensuels pour un couple) et un bien estimé à moins de 170 000 euros sont protégés. Les couples dont le revenu est inférieur à 2000 euros (pour un bien inférieur à 230 000 euros) devront renégocier leur prêt. Les autres seront expulsés.
De toute façon, les banques n’ont pas intérêt à inonder le marché avec trop de logements saisis : les prix s’effondreraient, et l’intérêt de l’opération financière serait alors bien faible…
Le deuxième point concerne le programme de remboursement, en cent tranches, des dettes envers l’Etat mis en place par le gouvernement Tsipras au mois de mars. Le plan est durci, mais préservé.
Le Parlement grec, désormais discipliné, ratifie donc, le jeudi 19 novembre, l’accord.
Néanmoins, la faible majorité parlementaire s’effrite dangereusement : deux députés sont exclus de la coalition gouvernementale pour avoir refusé de voter le texte.

À ces deux défections s’ajoute la démission de Gabriel Sakellaridis ancien porte-parole du gouvernement. Il ne rejoint pas pour autant l’UP : il quitte le Parlement, permettant à Tsipras de le remplacer par un « fidèle ». Son retrait traduit le découragement qui touche nombre de militants.
Le 11 décembre, nouvel accord ! Il concerne 13 mesures exigées par les « experts » des créanciers.
Cela concerne par exemple les créances douteuses détenues par les banques (Une part d’entre elles pourra être vendue à des fonds spéculatifs), et aussi l’établissement du « fonds de privatisation ». Cela doit être voté le 15 décembre.
14 et 17 décembre : faire semblant
Sous couvert de compenser les mesures d’austérité, le gouvernement grec soumet aux députés, le 14 décembre, un projet de « programme parallèle ». Mais le 17 décembre, le projet doit être retiré.
Le texte visait à offrir une couverture médicale à ceux que la Sécurité sociale ne couvre pas, à développer des cellules de soutien aux « personnes vulnérables », élargir et prolonger la distribution de soupe populaire, réduire les factures d’électricité des plus fragiles, développer les classes de soutien. Coût estimé : un milliard d’euros.
Mais toute mesure budgétaire doit avoir l’imprimatur des créanciers. Tsipras savait que son projet serait refusé par l’Eurogroupe. Mais faire semblant de résister, faire semblant de présenter de « bons » projets, c’est à quoi se ramène sa politique. Pas sûr que ce jeu dupe longtemps les Grecs.
Janvier 2016 : la grande réforme des retraites
Le gouvernement grec a présenté le 4 janvier un projet de réforme du système des retraites, qui constitue la seconde étape prévue par le mémorandum.
La première étape, bouclée à l’automne, comportait des mesures précises fixées par les créanciers : report de l’âge légal de départ à la retraite de 65 à 67 ans, mesures pénalisant les départs anticipés, hausse des cotisations santé sur les retraites et retraites complémentaires, suppression d’ici à 2019 du complément versé aux retraités les plus fragiles (EKAS).
La seconde ne fixe qu’un objectif général : réduire chaque année les dépenses de retraites de 1% du PIB, soit 1,7 milliard d’euros. Et c’est au gouvernement de proposer les moyens de tenir cet objectif.
Pour cela, le gouvernement grec propose de réorganiser complètement le système, avec une caisse unique et les mêmes règles dans le public et le privé. Avec un système à trois étages : d’abord une « pension nationale », d’un montant de 384 euros, financée par l’impôt. Ensuite, une « pension principale », calculée sur le montant des cotisations. Le taux de remplacement sera fixé à 55-65 % du salaire moyen contre 70 % aujourd’hui. Elle sera calculée sur toute la durée de cotisation, et non plus sur les cinq dernières années. A cela s’ajoutera, éventuellement, une retraite complémentaire.
Mobilisation en défense des retraites, et mobilisation des agriculteurs
Les dégâts seront considérables : en Grèce, la pension moyenne est tombée à 750 euros. Elle baissera encore de 15%. Pour les pensions supérieures, ce sera pire encore, jusqu’à 35%. Il est aussi prévu de relever d’un point les cotisations santé des employeurs et de 0,5 point celles des salariés.
Contre ce projet, le 5 février, une importante mobilisation est organisée, marquée par des grèves et manifestations, mai une fois encore dans la division.
Cette réforme suscite aussi l’opposition des « professions libérales », et nourrit aussi la mobilisation des agriculteurs qui refusent également plusieurs mesures fiscales les concernant : depuis le 20 janvier, les barrages de route se multiplient à travers le pays.
La question centrale du parti
Sur cette question comme sur d’autres, tout dépend de la possible irruption de puissantes mobilisations. Mais on ne peut tout attendre de la spontanéité des masses. La nécessité de construire un parti capable de représenter les exploités reste décisive.
Syriza n’a jamais prétendu être un parti révolutionnaire. Mais dans une situation où le capitalisme ne laisse place qu’à des contre réformes, sa nature instable et réformiste l’a transformé, après épuration, en machine à faire passer les plans d’austérité.
L’UP peut elle être ce parti qui a manqué aux travailleurs grecs ?
En perdant sa première bataille, l’UP a compromis son avenir, surtout si elle persiste dans une orientation sans vraie frontière de classe, marquée par le nationalisme et la recherche illusoire d’une « bonne relance » à l’intérieur des frontières nationales.
Certes, elle dispose d’une force militante réelle. Mais elle demeure une coalition hétéroclite de groupes divers issus, pour les plus importants, de Syriza, mais aussi d’Antarsya et d’ailleurs.
C’est un patchwork, un « work in progress » sans programme solide, dont la direction est animée pour une grande part par Lafazánis et son équipe, qui reste dans la tradition (organisationnelle et politique) des fondateurs de Syriza, issus du PC grec : un goût modéré pour la démocratie interne et une tendance prononcée au souverainisme.
Son avenir n’est donc pas gagné d’avance. Il est juste de considérer, comme le fait DEA, que la situation leur impose de participer à l’activité de ce regroupement, tout en conservant son autonomie politique et organisationnelle, et il juste d’expliquer : « nous ne considérons pas l’UP en tant que ’parti fini’, mais en tant que ’front politique’ en construction ». Mais rien ne se fera sans une réelle progression programmatique.
Les débats internes vont donc jouer un grand rôle pour surmonter l’échec électoral de septembre, tirer le bilan des combats passés, et faire face aux nouveaux développements de la situation.