Poursuivre le combat pour la libération de Koltchenko et Sentsov !
Leur procès s’était ouvert le 27 juillet dernier. Quatre semaines plus tard, le 25 août, la sentence tombait : Alexandr Koltchenko, militant anti-fasciste ukrainien, et Oleg Sentsov, cinéaste ukrainien, étaient lourdement condamnés par le tribunal militaire russe de Rostov-sur-le-Don, le premier à dix ans d’enfermement et le second à vingt ans. Le combat pour leur libération, engagé depuis 2014, en Russie et en Ukraine, en France et en d’autres pays, va donc se poursuivre.
Militer en Russie contre la politique de Poutine et pour la défense des libertés démocratiques, c’est prendre le risque d’être condamné à la prison, parfois simplement pour avoir manifesté. Mais dans la Crimée occupée militairement par l’armée russe, c’est prendre le risque d’une condamnation particulièrement lourde que de protester contre cette annexion et de revendiquer le droit de conserver la nationalité ukrainienne. C’est ce qui est arrivé à Sentsov et Koltchenko.
L’un et l’autre furent arrêtés en Crimée, en mai 2014, par les services russes et aussitôt transférés dans une prison de Russie. Les accusations portées contre eux sont, pour les militants qui les connaissent comme pour leurs avocats qui ont étudié leur « dossier », particulièrement invraisemblables. On y trouve ainsi « l’organisation d’un groupe terroriste lié à l’extrême droite ukrainienne », le sabotage de voies ferrées, etc. Mais Koltchenko est un militant anarchiste et antifasciste connu en Crimée et Sentsov un cinéaste plus doué pour réaliser un film qu’un attentat.
Quant aux preuves, elles semblent inexistantes ; de ce fait, les aveux arrachés à d’autres emprisonnés, tels Afanassiev et Tchirny, étaient décisifs pour la police. Or Afanassiev s’est ensuite rétracté, expliquant devant le tribunal que ses déclarations avaient été obtenues par la torture.
Mais pour une police et un appareil judiciaire aux ordres de Poutine, il fallait que la condamnation soit exemplaire, et qu’elle contribue à terroriser quiconque prétend protester contre les aventures militaro-policières menées par le régime bonapartiste russe. Au prononcé du jugement, la lourdeur de la condamnation n’a donc pas surpris.
Car ce que redoute avant tout Poutine, ce sont les mobilisations des masses, surtout quand elles aboutissent à la chute d’une dictature.
L’enlèvement et le procès de Koltchenko et de Sentsov ne se comprennent qu’en les re-situant dans le cadre des événements qui ont bouleversé l’Ukraine durant l’hiver 2013-2014, et qui se traduisirent par la fuite du président Ianoukovitch le 22 février 2014. (Voir le numéro 19, d’avril 2014, de L’insurgé).
Rappelons que Poutine avait obtenu de son « ami » Ianoukovitch, qui était alors au pouvoir à Kiev, qu’il renonce en novembre 2013 à un accord de partenariat avec l’Union européenne, accord qui était sur le point d’être signé, et s’engage dans le processus de création d’une union avec la Russie et quelques uns de ses vassaux. Des Ukrainiens partisans d’un rapprochement avec l’Union Européenne avaient alors protesté sur Maïdan, place centrale de Kiev. Mais très vite, et en particulier du fait des violences policières, la protestation changea de nature, et devint une mobilisation de masse d’une ampleur et d’une durée exceptionnelles, brassant les couches sociales et les organisations les plus diverses, mais unies sur une exigence : en finir avec la répression policière et la corruption, en finir avec le régime de Ianoukovitch.
Et la mobilisation se propagea dans toute l’Ukraine. Finalement, le dictateur dut s’enfuir en Russie après avoir organisé l’assassinat d’une centaine de manifestants sur Maïdan. Poutine expliquera plus tard qu’il l’avait fait exfiltrer pour éviter qu’il se fasse lyncher. Et, redoutant par dessus tout qu’un tel type de mobilisation ne fasse école en Russie, il utilisa tous les moyens de propagande de son régime pour appeler à l’union nationale contre un prétendu « coup d’État » en Ukraine et les « fascistes » qui selon lui étaient arrivés au pouvoir à Kiev. Il y eut, en France et ailleurs, quelques idiots utiles pour reprendre à leur compte ces discours. Puis il organisa, via ses réseaux politico-mafieux et quelques oligarques de l’extrême est de l’Ukraine restés fidèles à Ianoukovitch, une « mobilisation » sécessionniste, en essayant de dresser les Ukrainiens de langue russe contre les « fascistes » ukrainiens de Kiev. Cela fonctionna plus ou moins en Crimée (rapidement occupée par l’armée russe) et dans le Donbass, avec l’action brutale de nervis payés par des oligarques locaux et les services de Poutine, mais échoua dans la plupart des régions où la langue russe est largement parlée. La volonté des Ukrainiens, quelle que soit leur langue, à affirmer leurs droits nationaux, fut la plus forte.
Dans ces conditions, toute résistance s’exprimant au sein des territoires occupés par l’armée et les mercenaires de Poutine, qu’elle émane d’Ukrainiens ou de la minorité des Tatars de Crimée, ou qu’elle s’exprime en Russie même, doit être impitoyablement brisée. C’est ainsi que la condamnation de Koltchenko et celle de Sentsov valent exemples. Mais de ce fait, combattre pour leur libération, c’est combattre en même temps pour la défense de tous ceux qui, comme Koltchenko ou Sentsov, combattent - en Russie, mais aussi en Ukraine ou ailleurs - pour les droits démocratiques et en particulier pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
En France, le combat en défense de Koltchenko est mené depuis un an déjà. Il commença, en octobre 2014, à l’issue d’une réunion publique qui avait été convoquée pour contrecarrer les discours tenus par tous les « amis » de Poutine, nombreux dans les partis bourgeois et le patronat, mais aussi « à gauche ». Il s’agissait de montrer que, en Ukraine aussi, la question centrale était celle du mouvement des masses et du combat en défense des droits démocratiques. À cette occasion, des militants russes et ukrainiens avaient été invités. Au cours de cette réunion, l’exemple de Koltchenko fut évoqué et un appel - contre signé par une quinzaine de participants - fut adopté.
En février 2015, à l’issue d’une seconde réunion publique, il fut proposé d’élargir ce combat en défense de Koltchenko, sur qui le silence le plus total était fait dans les medias (on parlait seulement, et avec une extrême discrétion, du cinéaste Sentsov, connu dans les milieux cinéphiles). L’idée fut retenue de constituer un collectif unitaire. C’est par ce collectif unitaire, regroupant une vingtaine d’organisations, qu’est mené l’essentiel de la mobilisation pour Koltcheneko et Sentsov : rassemblements à l’ambassade russe, réunions publiques, diffusions de tracts, affichages, etc.
L’insurgé, bien sûr, participe à ce combat depuis son tout début.
À la suite de la condamnation prononcée le 25 août, le comité unitaire a décidé de poursuivre et renforcer son combat. D’autres initiatives sont donc en préparation.
Ci-dessous, le communiqué diffusé par le collectif unitaire au lendemain de la condamnation.
L’État russe vient de condamner Alexandr Koltchenko à 10 ans d’emprisonnement et Oleg Sentsov à 20 ans de la même peine. L’accusation de « terrorisme » qui a servi à couvrir cette ignoble décision d’un tribunal qui exécute les ordres du pouvoir politique russe n’a aucun fondement.
Depuis plusieurs mois, nos organisations ont lancé une campagne pour informer de la situation faite notamment à A. Koltchenko, connu en Crimée pour ses engagements antifascistes, syndicaux, anarchistes, écologistes. Nous soutenons bien entendu aussi le cinéaste O. Sentsov et toutes celles et tous ceux qui sont victimes de la répression du régime de Poutine.
Alexandr Koltchenko et Oleg Sentsov sont condamnés à des années de camps de travail parce qu’ils luttent contre l’oppression exercée par l’Etat russe ; tant sur le territoire russe qu’en Crimée, celle-ci est inadmissible et nous saluons celles et ceux qui résistent.
A. Koltchenko est étudiant et militant syndical ; il travaillait aussi comme postier, en parallèle de ses études. Il défend activement, par sa pratique, le droit de s’organiser librement, le droit de créer et faire vivre des organisations associatives, syndicales, écologistes ou politiques.
Il fait partie des hommes et des femmes qui luttent contre l’extrême droite, qu’elle soit ukrainienne, russe ou autre.
Parce qu’il lutte contre la corruption et pour l’égalité des droits entre tous et toutes, A. Koltchenko est la cible des clans oligarchiques, en Russie, en Ukraine.
A. Koltchenko milite pour le droit de chaque peuple à décider de son avenir.
À travers A. Koltchenko, ce sont les libertés démocratiques de tous et toutes que nous défendons. Notre démarche, comme celle d’A. Koltchenko, s’oppose donc à celles et ceux qui veulent restreindre ces libertés. Nous exigeons la libération d’A. Koltchenko et du cinéaste ukrainien O. Sentsov.
Pour la libération immédiate d’Alexandr Koltchenko, d’Oleg Sentsov et pour les libertés démocratiques dans tous les pays, nous appelons à amplifier la solidarité internationale afin de dénoncer leur enlèvement et leur détention par les autorités russes, exiger leur libération immédiate, et pour que le gouvernement ukrainien revendique explicitement leur libération.
Nos organisations se réuniront prochainement pour décider des nouvelles actions à mener en France, pour obtenir la libération des prisonnier-es politiques de l’Etat russe ; nous sommes en lien avec des mouvements de nombreux autres pays : c’est une campagne internationale que nous menons, pour la liberté de nos camarades et contre le terrorisme d’Etat du pouvoir politique russe.
25 août 2015
Organisations signataires : Ligue des Droits de l’Homme, Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme, Groupe de résistance aux répressions en Russie, Ukraine Action, Russie-Libertés, CEDETIM - Initiatives Pour un Autre Monde - Assemblée Européenne des Citoyens, Action antifasciste Paris-Banlieue, Collectif Antifasciste Paris Banlieue, Mémorial 98, Union syndicale Solidaires, CNT-f, CNT-SO, Émancipation, FSU, FSU 03, CGT Correcteurs, SUD éducation, SUD-PTT, Alternative Libertaire, Ensemble ! (membre du Front de gauche), L’Insurgé, NPA, Fédération Anarchiste, Critique sociale.