L’Iran et l’accord sur le nucléaire
Ce 14 juillet 2015 était signé un accord historique à Vienne, mettant fin à une escalade de sanctions affectant l’Iran depuis 1979, année où le régime monarchique du Shah, mis en place en 1953 par les états-Unis, fut renversé. Au nom de la « lutte contre le terrorisme » ou contre « la volonté de posséder l’arme nucléaire », les sanctions ont touché, pendant plus de trente ans, l’économie iranienne.
La dernière série de sanctions s’est échelonnée entre 2006 et 2013. En novembre 2013, un premier accord provisoire a été signé à Genève, permettant de suspendre, réversiblement, certaines sanctions à partir de janvier 2014. Seize mois plus tard, et après de nombreuses discussions, l’accord de Vienne permettrait une levée très importante des sanctions économiques à partir de janvier 2016, en échange d’engagements du gouvernement iranien sur son programme nucléaire.
Vanté comme une victoire de l’Occident qui, grâce à des années de discussions et de pressions « politiques » via des sanctions économiques, serait arrivée à faire reculer l’Iran, cet accord a une histoire un peu plus complexe.
Une simple preuve par les chiffres : au cours des 8 années de la présidence d’Ahmadinejad (2005-2013), les revenus pétroliers réels ont rapporté plus du double que durant les huit années de la précédente présidence de Khatami (en Iran, une grande partie des recettes publiques provient des recettes pétrolières)1. Pourtant, malgré ces bénéfices exceptionnels, les conditions de vie des travailleurs n’ont fait que s’aggraver.
Les causes intrinsèques au régime de cette situation sont pour l’essentiel : les dépenses faramineuses pour l’appareil islamo-répressif et pour acquérir et construire certaines armes (arme nucléaire et missiles balistiques), ainsi que la gestion de l’économie par une oligarchie capitaliste ultra-corrompue.
Ainsi, l’appareil islamo-répressif permet, par la force et par la propagande islamiste, d’empêcher toute expression qui pourrait remettre en cause le régime.
Les politiques d’acquisition d’équipements nucléaires et d’expansionnisme régional permettent d’alimenter un discours « anti-impérialiste », cherchent à créer une union nationale face à une ennemi commun et donnent prétexte à la répression. Cette politique vise à étouffer toute velléité de lutte de classe. Elle a fortement été développée par Ahamdinejad (un Pasdaran), dans un contexte de résurgence de la lutte de classe au début des années 2000.
Plus de 70% de l’économie est contrôlée par le secteur public et le secteur para-public (tenu par le corps para-militaire des Pasdaran et les fondations du Guide, ce secteur est dispensé d’imposition et de contrôle étatique). Cette structure du régime nourrit la corruption, le clientélisme et le secteur informel. Un exemple : la fondation « Imam Khomeini’s Aid Committee » redistribue en permanence des aides à 1,7 million de pauvres.2
La République islamique d’Iran est organisée autour du Guide suprême (Khamenei) qui a un rôle de chef d’Etat et détient des fondations. Les institutions comportent également un parlement, un président (Rohani, précédé par Ahmadinejad) et deux conseils, dominés par le clergé, islamique. Les Pasdaran (« Gardiens de la Révolution »), forment une force para-militaire « islamo-répressive ». A la suite de la guerre Iran-Irak, leur poids dans l’économie et au parlement est devenu de plus en plus important. Ils sont les garants des « idéaux » de la République et sont sous le contrôle du Guide suprême.
La politique d’Ahmadinejad a accentué la crise : la réforme des subventions de certains produits a entraîné une inflation importante, le plan concernant l’immobilier a accru la spéculation immobilière, le choix, face aux sanctions, d’importer certains biens lucratifs plutôt que des biens nécessaires a notamment entraîné un manque de médicaments...

Caricature des membres du parlement iranien, lors de leur vote sur l’interdiction de la contraception permanente volontaire et la restriction de l’accès des femmes au contrôle des naissances. L’auteur, Atena Farghadani, a été condamnée à plus de 12 ans de prisons en mai 2015 pour ses caricatures.
Les sanctions économiques, en empêchant l’entrée de pièces nécessaires à l’entretien ou au renouvellement des infrastructures industrielles, entravent une économie dépendante de l’Occident : en 2007, la situation dans l’industrie pétrolière était si catastrophique que des chercheurs estimaient que dans 10 ans, l’Iran ne pourrait plus exporter de pétrole3. De même, la chute de la production pétrolière iranienne entre 2011 et 2013, de 4,4 à 3,4 millions de barils par jour, est vraisemblablement liée aux nouvelles sanctions de 2011 (le cours du baril était alors toujours très élevé). L’inflation atteint alors, en 2013, un nouveau record (plus de 40%).
Mais les attentats de 2001 vont entraîner un changement dans la politique des USA vis-à-vis de l’Arabie saoudite (soupçonnée d’avoir été alors peu vigilante) et donc vis-à-vis de l’Iran. Ces deux pays sont en effet deux puissances régionales (et rivales) et parmi les 10 plus grands producteurs mondiaux de pétrole. Ainsi en 2001, l’Iran et les USA collaborent dans le cadre du conflit en Afghanistan, ce qui n’empêchera pas Bush de placer l’Iran parmi les pays de « l’axe du mal ».
Avec la découverte de sites nucléaires secrets, en 2002, le rapprochement avec l’Iran est compromis. Les simples menaces de l’Occident suffisent alors pour que l’Iran suspende l’enrichissement en uranium.
Toutefois, l’arrivée d’Ahmadinejad au pouvoir en 2005 (sur fond de remontée de lutte des classes) complique la situation et met un frein à ce rapprochement.
Son discours populiste et pro-nucléaire vise à maintenir la paix sociale et est associé à la reprise du programme d’enrichissement de l’uranium. Pendant ses 8 années de présidence, plusieurs négociations ont lieu mais n’aboutissent pas malgré l’instauration de nouvelles sanctions en 2006.
Le mouvement post-électoral de manifestations, en 2009-2010, qui remet en question le régime et le Guide, ainsi que le déchaînement de violence du régime n’empêchent nullement les négociations de se poursuivre.
À la suite de ce mouvement, une crise s’ouvre au sein de la fraction proche du Guide (la fraction des conservateurs). Et en juin 2013 c’est Rohani, un islamiste sélectionné comme tous les candidats par le Guide qui est élu à la présidence, les électeurs l’ayant jugé comme le moins proche du Guide. En octobre 2013 une négociation s’ouvre avec les 5+1 (5 membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU + l’Allemagne). Elle débouche en novembre sur l’accord provisoire de Genève, et ouvre la voie à la signature de l’accord de Vienne en juillet 2015.
Enfin, avec le début des révolutions arabes en 2011, les gouvernements réactionnaires cherchent à étouffer ces révolutions et à rééquilibrer leurs influences régionales. De même en est-il des USA qui cherchent toujours à rééquilibrer leurs alliances et poursuivent deux objectifs : diminuer leur dépendance énergétique, ce qui les pousse notamment au développement du gaz et pétrole de schiste, et diminuer le coût politique et financier de leurs interventions militaires (suite au fiasco de la guerre en Irak de 2003) en cherchant des relais sur le terrain. Après l’accord provisoire de Genève de 2013, la position régionale de l’Iran s’est affaiblie. En témoignent l’effondrement du régime irakien (inféodé à l’Iran), la formation d’une coalition arabe contre le soutien iranien aux rebelles houthis du Yemen et les difficultés du régime d’Assad, qui « manque d’hommes » malgré le soutien de l’Iran. Si l’Iran s’est alors trouvé en plus grande difficulté que prévue pour négocier l’accord final de Vienne, les USA ont poursuivi leur travail de rapprochement : collaboration ouverte en Irak, tandis qu’en Syrie, les avions de la coalition internationale croisent dans le ciel syrien les avions de Bachar al-Assad, mais ne visent que les positions de Daech.
Avec cette levée des sanctions, le régime espère gagner une marge de manœuvre pour relancer une politique clientéliste. En outre, il espère pouvoir ouvrir le capital d’entreprises iraniennes à des capitaux étrangers, raison pour laquelle il lui faut maintenir une main d’œuvre à bas coût. Toutefois, la vétusté des infrastructures et la corruption du régime peuvent être un frein aux investissements étrangers ou à la mise en place, par le régime, d’une politique économique de renouvellement de ces infrastructures.
Le gouvernement français a bloqué le plus longtemps possible les négociations sur l’accord nucléaire, car il a accru ses échanges avec l’Arabie Saoudite et se fait le porte-voix d’Israël, un peu en froid avec les États-Unis ; en outre, il tente de préserver la place politique et militaire de l’impérialisme français. Après les accords de Vienne, le gouvernement français a fait volte face, et vante aujourd’hui tous les débouchés économiques que représente potentiellement, pour les entreprises françaises, l’Iran.
Mais dans aucun de ces accords, comme dans aucune des rencontres diplomatiques, la question des libertés démocratiques en Iran n’a été posée. Rohani avait affirmé qu’il ne faudrait pas en discuter. Et en parallèle, la répression s’est accrue en Iran.
Pourtant, cette question des libertés est liée au combat des travailleurs pour de meilleures conditions de travail, et au delà pour remettre en cause ce régime. Apporter son soutien au combat pour ces libertés est une nécessité et un point d’appui pour stopper la dégradation des conditions de travail de l’ensemble des travailleurs. Cette solidarité est de la responsabilité des organisations ouvrières à l’échelle internationale.
** ** **
Notes :
1 : Données de l’IFM ou de la Banque Centrale d’Iran. Ces bénéfices sont liés à l’augmentation du cours mondial du pétrole depuis le début des années 2000 (entrecoupée d’une chute en 2009) ; ce cours a chuté depuis 2014
2 : The working class and the islamic state in Iran, par H. Moghissi et S. Rahnema, 2001.
3 : How Iran Is Vulnerable to a Decline in Oil Exports, par Bhushan Bahree, 2007