Édito : La chemise déchirée du dialogue social
À l’échelle de la planète, la violente crise financière et économique ouverte en 2007 n’est pas surmontée. Certes, d’un côté, il y a reprise de la croissance, aux États-Unis par exemple, mais d’autres économies végètent, tel le Japon, tandis que des pays qui avaient paru échapper à la crise voient leur croissance s’anémier, comme la Chine, ou entrer en récession, comme le Brésil.
L’aspect le plus éclairant de cette situation, c’est la surproduction mondiale de quasi toutes les matières premières, qui entraîne la chute violente des prix, l’arrêt des investissements dans ce secteur décisif, et l’effondrement des ressources financières pour les pays dont les budgets dépendent totalement de l’exportation de ces matières premières : la Russie comme l’Algérie ou le Venezuela sont ainsi frappés par la baisse des prix du pétrole.
Ce phénomène touche d’autres secteurs : l’automobile, y compris en Chine, le transport maritime, une grande part de l’agriculture (quand une partie du monde ne mange pas à sa faim), etc.
Et il gangrène l’ensemble du système capitaliste alors que de lourds nuages menacent de nouveau le système financier, à commencer par la Chine, ses banques et son crédit de l’ombre.
Face à cette situation, la réponse des conseils d’administration et des gouvernements est partout la même : réduire les salaires, augmenter l’intensité et le temps de travail, licencier, etc.
Pour cette politique, la bourgeoise bénéficie - et ce n’est pas nouveau - de solides appuis : outre l’action constante de l’appareil d’État (police, tribunaux…) elle bénéficie de l’aide de tous ceux qui considèrent que le capitalisme est leur seul avenir : vieux partis d’origine ouvrière (dits « partis de gauche ») et bureaucraties syndicales. Les uns, quand ils sont au gouvernement (ou l’appuient de l’extérieur), font passer les lois et textes qu’exige le patronat (contre le droit à la santé, le code du travail…). Les autres réclament plus de « dialogue social », un « vrai » dialogue social, plus de concertation avec les « élus du personnel » : bref, plus de collaboration de classe.
Cette camisole de force entrave efficacement les salariés du privé comme du public. Mais parfois, la camisole se déchire, et la chemise des DRH avec.
Le transport aérien est lui aussi touché par les sur-capacités et une concurrence féroce : si la production d’avions est encore florissante, c’est que les achats massifs d’avions se sont multipliés. Les « low cost » et les nouvelles compagnies du Golfe persique menacent les « vieilles » compagnies comme Air France. Les personnels sont donc sommés d’accepter hausse du temps de travail, baisse des salaires et suppressions de postes. Et les directions syndicales jouent le jeu, encadrant les grèves « pression » et réclamant davantage de concertation pour discuter de « plans » destinés à préserver « l’entreprise ». Elles acceptent donc de rester dans le cadre de la concurrence capitaliste. C’est ainsi que, le 5 octobre, une manifestation devait « accompagner » la tenue d’un comité central d’entreprise qui devait discuter d’un plan de 2900 licenciements… jusqu’au moment où la colère des salariés a explosé, endommageant quelque peu la chemise d’un DRH.
Le plus intéressant est la suite : les déclarations indignées et tonitruantes de Valls, les arrestations spectaculaires de salariés chez eux, témoignent de la peur qui saisit la bourgeoise quand les vieilles recettes du dialogue social sont en difficulté.
Et pendant que Valls éructait, les travailleurs jubilaient. La chemise déchirée est devenue, dans les manifestations, un nouvel étendard, l’expression à la fois du soutien indispensable aux salariés d’Air France réprimés et de ce que doit craindre désormais la bourgeoise.
Mais cette action rappelle surtout que le « dialogue » social ne sert qu’à préserver le capitalisme, et que tout combat, même partiel, même défensif, ne peut s’inscrire que dans un cadre général - le combat classe contre classe - et dans une seule perspective : en finir avec le capitaliste. 20/10/2015