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La réforme du collège, pièce essentielle de la loi Peillon
Le 19 mai 2015, la mobilisation massive des enseignants du second degré manifestait leur volonté de combattre contre la réforme du collège. Le décret et l’arrêté sur la réorganisation du collège publiés le lendemain montrent de façon indéniable, la réalité de » la loi Peillon votée en 2013 : un véritable changement de base de l’Enseignement public.
En effet, loin de ne concerner que le seul collège, ces textes sont des pièces maitresses de la mise en œuvre de la loi Peillon dite « d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ».
La réforme est liée au processus de territorialisation de l’Enseignement public et de toute la Fonction publique.
Les grilles horaires seront modulables localement à hauteur de 20%. Les enseignements disciplinaires seront diminués au profit « d’enseignements complémentaires » (enseignements pratiques interdisciplinaires/EPI et accompagnement personnalisé/AP). Se mettra alors en place un enseignement « local ». Cette organisation territorialisée sera encore accentuée par les « parcours » obligatoires que devra suivre chaque élève : « parcours d’éducation artistique et culturelle » (PEAC), « parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel » (PIIODMEP), « parcours citoyen », lesquels impliquent de multiples partenariats avec des « acteurs locaux, du monde associatif et du monde professionnel ». Tous ces dispositifs seront inscrits dans le projet d’établissements. Et c’est le conseil d’administration qui décidera de « l’organisation des enseignements ».
Corrélativement à l’autonomie des établissements, ce processus de dérèglementation conduit à l’explosion du cadre national de l’enseignement. Avec la mise en place de cet enseignement « local », les inégalités entre les différents établissements scolaires et entre les élèves seront considérables.
Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, met scrupuleusement en œuvre la loi Peillon.
Tous les discours prétendent que l’objectif serait « la lutte contre l’échec scolaire ». Qui peut le croire, alors que dans le même temps, les conditions d’études se dégradent : augmentation des effectifs par classe, suppressions de moyens aux établissements en « zone difficile » (éducation prioritaire), manque de remplaçants...
Plus encore, la « réforme » prévoit de diminuer les heures d’enseignement disciplinaire (math, français…). Ce qui est clairement mis en évidence dans le calcul effectué par les enseignants d’un collège et publié dans un tract diffusé aux parents (voir l’extrait ci-dessous).
Commentant la manifestation du 19 mai, ces mêmes enseignants écrivent : « Au-delà des slogans, tous les manifestants se rejoignent sur une même ligne : ils ne veulent pas d’une école tirée vers le bas avec moins d’heures d’enseignement et une dévalorisation de l’enseignement culturel (dit théorique) au profit d’une surévaluation du pratique dit EPI qui donnerait plus à faire et moins à réfléchir. »[2]
Par ailleurs, les nouveaux programmes sont conçus non plus par niveau (5e, 4e, 3e) mais par cycle, c’est à dire sur trois ans. Et les heures d’enseignement pourront être modulées sur l’ensemble du cycle (exemple : plus d’heures de math en 5e et moins en 3e). Ainsi, pour un même niveau (5e, ou 4e, ou 3e), le volume horaire de math pourra varier d’un établissement à un autre : tous les élèves ne bénéficieront donc pas des mêmes enseignements.
Cette explosion des inégalités entre élèves est la conséquence du « parcours différencié de l’élève », de la « territorialisation » de l’enseignement de la maternelle au lycée et de la mise en concurrence des établissements qui en découle. Tout cela est inscrit dans la loi Peillon.
En effet, les nouveaux programmes n’ont plus pour objectif l’apprentissage méthodique des connaissances disciplinaires. Construits selon la logique des compétences, la place des savoirs y est marginalisée. Ces programmes listent les « contributions essentielles [que] chaque discipline » doit apporter à chacun des « cinq domaines du socle ». Puis ils listent les « compétences attendues en fin de cycle ». Ces compétences sont au demeurant très vagues : il sera alors très facile d’obtenir une évaluation positive.
Les savoirs listés dans les nouveaux programmes ne sont qu’un ensemble de ressources dans lequel chaque école, chaque établissement puisera en fonction des conditions locales et du projet d’établissement. Il y a là un bon moyen pour mettre en concurrence les écoles et les établissements.
Cette démarche utilitariste conduit à évacuer un grand nombre de connaissances, jugées « inutiles », de l’enseignement scolaire dispensé à une masse de jeunes.
Le gouvernement sait parfaitement que dans le cadre de « l’autonomie », les établissements vont diversifier « librement » leurs niveaux d’exigences. La spécificité de chaque établissement découlera avant tout de l’origine sociale des élèves et les différences entre eux s’exacerberont. Seuls un nombre restreint d’établissements dispenseront un enseignement disciplinaire de haut niveau donnant les meilleures chances de réussite, tandis qu’une masse d’établissements ne dispenseront qu’un enseignement « low coast ». C’est ainsi que cela fonctionne aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Cela correspond totalement aux exigences actuelles du patronat, lesquelles sont ainsi formulées par le Conseil européen : il faut « préparer les citoyens Européens à être des apprenants motivés et autonomes (…) à même d’interpréter les exigences d’un marché du travail précaire, dans lequel les emplois ne durent plus toute une vie ». Ils doivent « prendre en main leur formation afin de maintenir leurs compétences à jour et de préserver leur valeur sur le marché du travail » ![4] Et les grandes proclamations sur la « mixité sociale » de N. Vallaud-Belkacem ne sont là que pour essayer de masquer cette réalité.
« Avec des programmes renouvelés et pensés en pleine cohérence avec le nouveau socle commun, c’est la première jambe pédagogique de la refondation de l’École que nous faisons avancer. La seconde jambe de cette refondation, c’est l’évaluation des élèves »[5].
Les programmes sont effectivement corrélés à l’évaluation. Jusqu’alors, il s’agissait d’organiser la progression des apprentissages, de mettre en œuvre des programmes disciplinaires dans l’objectif de permettre aux élèves de réussir un examen national fondé sur des épreuves disciplinaire. Les diplômes nationaux servant de bases à la construction des qualifications reconnues (conventions collectives et statuts nationaux).
Or, les annonces sur le nouveau diplôme national du brevet (DNB) mettent en évidence une première concrétisation du changement radical induit par la loi Peillon. 65% du total des points seraient obtenus en contrôle continu. Le reste (35% des points) serait acquis sur des épreuves terminales « interdisciplinaires ». Il n’y aurait donc aucune épreuve disciplinaire. Et par ailleurs, seul le terme de « compétence » est retenu pour l’évaluation régulière et la validation en fin de cycle.
Ainsi se confirme la marginalisation des savoirs disciplinaires. Jusqu’alors, l’objectif fixé à l’enseignant était d’amener un groupe-classe à progresser collectivement en vue d’acquérir les savoirs inscrits dans les programmes disciplinaires annuels et nationaux. Rien de tel avec la « réforme » Peillon-Belkacem : la mise en œuvre des programmes conçus par cycle se fera par établissement ou groupe d’établissements. Et avec l’individualisation des apprentissages, avec le parcours de l’élève, l’enseignant sera chargé de permettre à l’élève de développer ses compétences, à son rythme.
Les compétences « comportementales » prendront une place de choix. Ce qu’atteste l’évaluation du « parcours citoyen », du « parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel » (PIIODMEP), du « parcours d’éducation artistique et culturelle » (PEAC).
Les thèmes imposés des « enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) vont dans le même sens. Une application numérique (Folios) répertoriera les compétences du PEAC acquises « à l’école », « en dehors de l’école » et les « expériences et engagements » de l’élève de la 6e à la terminale. De même sera créé un livret dédié au parcours citoyen.
Ces évaluations par compétences seront consignées dans un « livret scolaire unique numérique » (LSUN), lequel intègrera « toutes les formes d’évaluation » et suivra l’élève du premier au second degré. Ce LSUN risque fort de s’articuler avec le « passeport d’orientation, de formation et de compétences » du jeune créé par la loi relative à la formation professionnelle du 5 mars 2014 et qui sera effectif au 1/01/2016. Cette loi prévoit que ce passeport sera lui même intégré au « compte personnel de formation informatisé » du salarié (décret du 30/12/2014)[6].
Tout cela s’inscrit dans la logique de « l’employabilité » chère au patronat : la destruction de la valeur nationale des diplômes (le brevet, puis le bac) sur lesquels sont adossées les qualifications collectives, est, pour le patronat, une nécessité. C’est l’objectif central de la réorganisation du système d’enseignement fixé par la loi Peillon.
En effet, comment les emplois du temps hebdomadaires fixes des professeurs pourraient-ils être compatibles avec l’organisation flexible des emplois du temps des élèves (cf. l’organisation trimestrielle ou semestrielle des EPI) ? De plus, la participation aux multiples réunions et conseils (de cycle, école-collège, conseils pédagogiques, conseils d’école, d’établissement…) va considérablement alourdir la charge de travail. En plaçant l’organisation de l’enseignement et les nouvelles tâches qui l’accompagnent sous la coupe du chef d’établissement, des hiérarchies intermédiaires, la liberté pédagogique de l’enseignant sera réduite à néant. Le professeur doit devenir un simple exécutant.
Le tableau page 6 donne un premier aperçu des économies substantielles de postes que la réforme rendra possibles. Quant aux partenariats, aux PEDT en primaire, ils ouvrent la voie à la prise en charge des élèves, durant le temps scolaire, par des personnels non enseignants : la menace pèse immédiatement sur l’enseignement des arts plastiques, de la musique… mais pas seulement. Car nombre de savoirs sont totalement inutiles aux jeunes voués aux emplois peu qualifiés.
Le combat pour l’abrogation de la réforme du collège ne peut être efficace que s’il met en cause toute la politique du gouvernement : la loi Peillon, les nouveaux décrets statutaires des enseignants. Car la réorganisation du collège et du primaire est une pièce essentielle de la loi dite de « refondation ». Infliger une défaite au gouvernement sur la réforme du collège serait un point d’appui considérable en vue d’imposer l’abrogation de cette loi (et des lois antérieures sur lesquelles elle se hisse). C’est pourquoi, demander la « réouverture des négociations » ainsi que le fait l’intersyndicale (SNES, SNEP, snFOlc, CGTéduc’action, SUDéduc), c’est continuer à s’inscrire dans le cadre de l’application de la loi Peillon. Cette orientation a été opposée à la mobilisation pour l’abrogation du décret sur les rythmes avec le succès que l’on connaît : paralyser la mobilisation au profit du gouvernement.
En effet, c’est après des mois de « concertations » avec les directions syndicales engagées dès juin 2012, que cette loi était définitivement votée le 8 juillet 2013 avec les voix des parlementaires PS-PCF/Front de gauche, EELV. Et, au fil des mois, tout a été fait pour masquer le contenu réel de cette loi : un outil de destruction du cadre national des horaires, des programmes et des diplômes de tout l’Enseignement public. Ainsi, appuyé sur des concertations permanentes qui se sont poursuivies depuis l’été 2013, le gouvernement a pu publier nombre de textes d’application.
La réforme du collège, partie intégrante de la loi Peillon,[8] s’inscrit dans la droite ligne des lois d’orientation Fillon de 2005, et Jospin de 1989 en totale contradiction avec les aspirations et les revendications de la jeunesse et des enseignants.
En France, comme en Italie avec le plan Renzi adopté récemment, les décrets de José Ignacio Wert en Espagne, les « réformes » antérieures imposées en Suède, aux Pays-Bas, en Angleterre, etc., ces « réformes » répondent toutes (avec des modalités diverses, selon les configurations des systèmes éducatifs) aux mêmes exigences patronales : adapter les systèmes d’enseignements aux besoins actuels du marché du travail.
Mais, face aux résistances des personnels, le gouvernement doit s’appuyer en permanence sur le « dialogue social » auquel acceptent de se soumettent les directions syndicales. C’est pourquoi le combat pour l’abrogation de la réforme du collège implique d’exiger la rupture de toutes les « concertations » qui se poursuivent aujourd’hui sur les différents aspects de la mise en œuvre de la loi Peillon (rythmes, programmes, évaluation, modifications statutaires…).
À l’inverse de ce qui est parfois affirmé, fixer à la mobilisation l’objectif d’abroger la réforme du collège ne signifie pas justifier l’enseignement existant. On sait qu’à chaque moment de l’histoire du capitalisme, les gouvernements bourgeois ont cherché et mis en place un système scolaire au service de la bourgeoisie, classe qui vit de l’exploitation du travail salarié. L’école de Jules Ferry était aussi une école de classe.
Mais le combat pour le droit aux études de qualité pour tous, pour la gratuité, pour la défense des diplômes nationaux, de la qualification de personnels (statut des enseignants) est aujourd’hui contradictoire aux besoins du capital. Ce combat pour l’émancipation doit s’inscrire dans la perspective de la destruction des rapports sociaux de production capitalistes (bourgeois), dans la perspective de la prise du pouvoir par la révolution afin que la production soit organisée, sous le contrôle des travailleurs en vue de la satisfaction des besoins sociaux.
Peu à peu, la “réforme territoriale” se met en place : elle prévoit, entre autre, de transférer aux préfets des nouvelles régions la gestion des personnels. Déjà, sont publiés des décrets permettant de déroger aux décrets ministériels qui régissent les corps des fonctionnaires d’État. Et les fédérations de fonctionnaires ont néanmoins accepté les concertations, puis négociations qui se mènent depuis des mois sur les “parcours professionnels, carrières et rémunérations” (PPCR). Or, ce qui est proposé, c’est que seuls les pieds de grilles augmenteraient de 20 à 30€, mais au cours de la carrière il faudrait non plus 35 mais 40 ans pour atteindre le salaire maximal qui lui même ne changera pas. Non seulement les salaires n’augmenteront pas, mais la réforme permettra de faire de nouvelles économies.
Le gouvernement veut associer les syndicats à la marche à la territorialisation de la fonction publique d’État. Fusion des corps, individualisation du “parcours du fonctionnaire” et du salaire (remplacement de la qualification donnée par le concours par l’évaluation des compétences, la façon dont le fonctionnaire les entretient, sa manière de servir…) font partie du projet. Le salaire au mérite, selon “l’appréciation de la valeur professionnelle”, avec entretien professionnel pour tous, doit prendre le pas sur l’avancement à l’ancienneté.
Les enseignants seraient-ils moins touchés ? Dès la rentrée, dans certains collèges, on va “expérimenter” l’envoi de professeurs des écoles (PE) dans les cours d’histoire-géo. en 6e. Cela en dit long sur la volonté de fusionner PE et certifiés (PLC). Ce qui se profile c’est l’allongement du temps de travail, la bi, voire la polyvalence des PLC et cette déqualification touche aussi les PE.
Dans la Fonction publique, le combat pour la défense des revendications, la hausse immédiate du point d’indice, le rattrapage du pouvoir d’achat perdu est lié à l’exigence de ruptures des “négociations”, du boycott des instances de “dialogue social”.
Dans l’enseignement, les compétences du « socle » élaboré par le Conseil supérieur des programmes (CSP) et rebaptisé par Peillon « socle de connaissances, de compétences et de culture », correspondent en réalité à la liste des « compétences de base » établie par la Commission européenne ( « communication dans la langue maternelle ; communication en langue étrangère ; compétence mathématique et compétences de base en sciences et technologie ; compétence numérique ; apprendre à apprendre ; compétences sociales et civiques ; esprit d’initiative et d’entreprise ; sensibilité et expression culturelles »).
Ce type d’évaluation correspond aux besoins actuels du patronat. En Europe, comme aux États-Unis, on observe une forte tendance à la polarisation des emplois. On prévoit une augmentation de l’emploi hautement qualifié, mais également « une croissance significative du nombre d’emplois pour les travailleurs des secteurs de services, spécialement dans la vente au détail et la distribution, ainsi que dans d’autres occupations élémentaires ne nécessitant que peu ou pas de qualifications formelles ». (a)
Divers auteurs anglo-saxons parlent de « MacJobs » et « McJobs » (par référence au Mac, l’ordinateur d’Apple, et à McDonald’s). Aux États-Unis, on considère que sur les quarante emplois présentant la plus forte croissance en volume, huit seulement nécessitent de hauts niveaux de qualification (bac+ 4 ou davantage) alors qu’une vingtaine ne requièrent qu’une courte formation sur le tas.
En Europe aussi un grand nombre d’emplois ne nécessitent pas une qualification très élevée. C’est la raison pour laquelle, dès 2004, le rapport Thélot sur lequel s’est appuyé Fillon pour élaborer la loi d’orientation de 2005 indiquait : « La notion de réussite pour tous ne doit pas prêter à malentendu. Elle ne veut certainement pas dire que l’école doit se proposer de faire que tous les élèves atteignent les qualifications scolaires les plus élevées. Ce serait à la fois une illusion pour les individus et une absurdité sociale, puisque les qualifications scolaires ne seraient plus associées, même vaguement, à la structure des emplois ». La loi Peillon, ne fait que reprendre ces objectifs. La réforme du collège et le nouveau socle Peillon-Belkacem ont pour objectif de faire entrer dans la vie ce que Fillon, confronté aux mobilisations, n’a pu réaliser jusqu’au bout.
Si un grand nombre de jeunes ne possèdent que ces savoirs de base, cela exercera une pression vers le bas sur les salaires.
Car le temps nécessaire à la formation fait partie intégrante de la valeur de sa force de travail, aux côtés de ce qui est nécessaire aux salariés pour entretenir leur force de travail (nourriture, logement, transports, santé…). Les économies, en particulier en postes d’enseignants, que la réforme permettra de réaliser participent de la baisse de la valeur de la force de travail.
Il en est de même de la liquidation des diplômes nationaux, des conventions et statuts nationaux au profit des compétences individuelles : les compétences de base du « socle » correspondent à la flexibilité et l’adaptation de la main d’œuvre exigée par le patronat. Chaque salarié est ainsi rendu responsable de son « employabilité » : il doit entretenir son « portefeuille de compétences » et son évolution selon les besoins du patronat. Une telle situation libère tous les freins imposés par les combats ouvriers pour limiter la concurrence et garantir un certain niveau de salaire pour une même qualification.
(a) Cedefop, « Future skill needs in Europe : medium-term forecast. Background technical report », Office of the European Union, Luxembourg, 2009.