Edito : Syriza, Podemos, Parti de gauche : L’incontournable question du programme
Pourtant, il y a plus d’une raison de confronter ces trois résultats, outre leur proximité dans le temps. D’abord parce qu’il s’agit de trois pays où les travailleurs ont de grandes capacités de mobilisation, et tentent depuis près de quatre décennies - de répondre à la question du pouvoir, cela essentiellement sur le terrain électoral : qui doit gouverner, et au compte de quelle classe ? Ensuite parce que les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier (celles que l’on étiquette approximativement comme étant « de gauche ») jouent encore un rôle important. Enfin, parce que le bilan de ces organisations issues du passé (essentiellement de partis « socialistes » et de partis « communistes ») est tellement catastrophique pour les salariés que ces partis sont en crise, voire en situation comateuse, et qu’est désormais engagée, de manière pratique, la construction de nouvelles représentations politiques, cela dans des formes et à des rythmes différents.
Non sans illusions pour ces nouveaux partis que sont Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne.
Le PASOK grec, le PSOE espagnol comme le PS français ont d’abord profité de la faillite de ces partis communistes. Mais depuis le début des années 80, les salariés ont mesuré que, sur le fond, leur politique va dans le même sens que celle menée par les partis bourgeois. Ce qui signifie, avec la crise ouverte en 2007-2008, la multiplication des mesures anti-sociales exigées par les capitalistes. De ce fait, le PSOE (au pouvoir depuis 2004) subit une lourde défaite électorale en 2011. Même processus, en plus rapide, pour le PS français qui, dirigeant le gouvernement depuis 2012, n’a connu depuis que des défaites, dont celle des départementales.
Quant au PASOK, sa victoire de 2007 (44% des voix) se transforme, en mai 2012, en une cinglante défaite (13 % des voix), qui s’approfondit en janvier 2015, avec 4,7% des voix, payant pour la politique d’austérité qu’il mit en œuvre, seul d’abord, puis dans le cadre d’une union nationale.
Ce que Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche) résume ainsi : « La victoire de Syriza nous ouvre la voie : à Podemos de s’y engouffrer en Espagne avant que nous ne fassions de même en France ».
Cette espérance découle de l’idée selon laquelle la social démocratie (rebaptisée social libéralisme) a fait son temps et que, sur ses ruines, peut se bâtir un nouveau parti de « transformation sociale », et de « rupture avec le capitalisme ».
L’ennui, c’est que le réel est un peu plus compliqué.
Certes, en Grèce, il s’agit d’un véritable retournement. Le PASOK faisait 44% en 2009 quand Syriza en recueillait 4,6%, et il en fait dix fois moins en 2015 quand Syriza bondit à plus de 36%.
Mais peut-on escompter que, mécaniquement, le PSOE espagnol et le PS français, ayant mené une politique analogue, s’effondrent au profit d’un parti fringant neuf tel Podemos ? Rien ne l’assure.
Ainsi, en Espagne, Podemos créé il y a un an, recueille d’emblée 8% aux élections européennes. Les sondages s’enflamment, et prévoient même qu’il sera en tête, avec plus de 27%, aux futures législatives fin 2015. Mais lors de l’élection régionale d’Andalousie, il obtient 14,8 % des voix. C’est un progrès, mais moindre que rêvé. Surtout, cette percée ne se fait que partiellement au détriment du PSOE, qui gouvernait l’Andalousie avec Izquierda Unida (IU, issue de l’ancien PC). Car le PSOE, avec 35,4% des voix, (39,5% en 2012) conserve ses 47 députés, après avoir rompu son alliance avec IU. Par contre, l’apparition de Podemos frappe brutalement IU, qui s’effondre (6,9% au lieu de 11,3%). Cela, alors que le Parti populaire (PP) au pouvoir à Madrid, discrédité, recule durement.
Et en France ? Là au moins, on ne peut nier que le PS s’effondre. Hélas pour Mélenchon, ni le PG ni le Front de gauche qu’il constitue avec le PCF n’en tirent profit. Selon l’Humanité, ce Front (à géométrie variable) aurait réalisé 9,4% (en progrès de 0,5%), là où il s’était présenté.
Peut jouer, bien sûr, la diversité des situations nationales. Par exemple, en Grèce, le Parti socialiste n’existe que depuis 1974 et fut créé, d’emblée, comme un parti défendant le capitalisme grec.
Mais une question décisive n’en reste pas moins celle du programme de ces organisations.
Mais concrètement ? Rien qui puisse mobiliser, ni dans les urnes, ni dans la rue. Ainsi, le PG n’a mené aucun combat contre la très réactionnaire loi Peillon sur l’école (qui structure les attaques actuelles contre l’enseignement et les personnels) et refuse d’en exiger l’abrogation, pour la simple raison. que tous les élus du PCF-Front de gauche ont voté pour cette loi avec le PS et Europe écologie-les Verts.
Bien différemment se construit Podemos, issu du mouvement des Indignés qui avaient défini des plates-formes revendicatives précises. Podemos en a gardé trace, centrant son combat sur le rejet de l’austérité, et une poignée d’engagements : la défense de l’éducation et de la santé publiques, la lutte contre la corruption, l’interdiction des expulsions et un audit de la dette. Et Podemos est fondé sur un millier de cercles de base (même s’il s’est ensuite structuré de manière très verticaliste). Cela lui donne une force, un succès sans commune mesure avec l’écho que rencontrent le PG et le PCF.
Mais ce sont aussi les limites de ce programme qui peuvent entraver Podemos. Précisé durant l’automne 2014 mais non finalisé, le projet de programme pour les élections générales est très édulcoré par rapport aux annonces initiales. Ainsi a-t-il renoncé à abaisser à 60 ans l’âge de la retraite (65 actuellement). Et un audit sera fait de la dette, mais « il ne s’agit pas de ne pas payer ».
En outre, sa direction a choisi de contourner la question des « autonomies » et celle de la monarchie, « pour ne pas diviser ». Et elle a refusé de combattre le projet gouvernemental qui remettait en cause le droit à l’avortement, projet contre lequel il y eut de gigantesques manifestations, incluant le PSOE. Et le gouvernement fut contraint de reculer. Mais Podemos resta enfermé dans sa terrible logique : « nous ne sommes ni de droite ni de gauche » mais « au centre ».
D’un côté : une campagne électorale qui a martelé sur des engagements précis qui « parlaient » à la population laborieuse : en finir avec la politique d’austérité, avec les mémorandums imposés à la Grèce, avec la tutelle de la Troïka. Rétablir le salaire minimum à 751 euros, augmenter les petites retraites (13e mois), voter un plan d’urgence pour les plus pauvres, etc. Sur cette base, la grande majorité (non la totalité) des travailleurs a soutenu et continue encore de soutenir, Syriza.
De l’autre : une acceptation générale du capitalisme, de l’euro, de l’Union européenne, du paiement de la dette (en espérant la renégocier), ainsi que le strict respect du parlementarisme bourgeois.
De fait, le programme de Syriza est celui d’un « parti » réformiste assez classique. Certains croyaient en avoir fini avec le PASOK et la social-démocratie, mais celle-ci, rajeunie, revient par la fenêtre sous une autre étiquette, avec une partie de ses cadres issus du PASOK quand ils ne viennent pas de l’ancien courant « euro communiste ». (Une tout autre question, parfaitement légitime, est de militer, à cette étape, au sein de Syriza au lieu d’en faire une critique de l’extérieur).
Et si, à la différence de Podemos, Syriza s’est affirmé comme parti de « gauche », c’est la même logique interclassiste qu’exprime Tsipras le 21 janvier : « L’objectif de Syriza n’est pas de prendre une revanche historique de la Gauche, mais de former un gouverner pour tous les Grecs ».
Mais si les rapports de force entre puissances capitalistes évoluent sans cesse, et si l’Allemagne est aujourd’hui la puissance économique dominante en Europe, cela ne permet pas pour autant de transformer l’Espagne, vieille puissance coloniale en nouveau colonisé. Et encore moins la France...
Cette volonté de construire un programme interclassiste, entre salariés et tout ou partie de la bourgeoise, revient à assujettir les travailleurs à leur capitalisme national ; gommer les frontières de classe est une opération qui se fait toujours au compte de la classe dominante et du capitalisme.
Et cette orientation n’est rien d’autre que la vieille orientation réformiste, sous une nouvelle forme.
C’est ce néo-keynésianisme que l’on baptise de « rupture avec le capitalisme », de « dépassement du capitalisme », ou de « transformation sociale » : autant d’appellations pour un néo-réformisme.
Il s’agit là de tentatives d’aménager le capitalisme, sans jamais définir de perspective alternative au capitalisme : celle d’une société socialiste, sans exploiteurs ni exploités, donc sans propriété privée des moyens de production ni appareil d’état préservant la propriété capitaliste.
Or, les travailleurs ne peuvent se mobiliser et se regrouper que sur leurs propres revendications, sans s’occuper de savoir si celles-ci sont compatibles avec la bonne marche du capitalisme et les besoins de leur bourgeoisie nationale : en combattant donc classe contre classe.