Défense de la Sécurité sociale, de l’hôpital public : retrait du projet de loi « santé » !
Au lendemain de la manifestation d’union nationale du 11 janvier, François Hollande déclarait au journal Le Monde que « le pays a changé », et il promettait « Encore plus d’audace réformatrice ». Après le projet de loi Macron*, cette « audace réformatrice » ; vertèbre le projet de loi “relatif à la santé”. Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes annonce une « refondation » de tout le système de santé (hôpitaux publics et sécurité sociale…) en un « service territorial de santé au public ».
Avant même que la commission des affaires sociales de l’Assemblée n’ait commencé à examiner le projet de loi, Libération du 9 mars révèle un document confidentiel nommé « Kit de déploiement régional du plan Ondam à destination des ARS ». Ce kit comptable fondé sur des indicateurs de performance et des objectifs économiques explique aux hôpitaux comment mettre en œuvre le plan de 10 milliards d’euros de réduction de crédits prévus par le pacte de responsabilité. Sur les 3 milliards d’euros d’économies concernent l’Hôpital public, 860 millions doivent être réalisés sur le personnel hospitalier, soit la suppression de 22 000 postes en 3 ans !
L’hôpital représente 45% des dépenses de santé et la masse salariale correspond à 65% - 70% des dépenses des établissements. » L’avenir, c’est l’ambulatoire », l’hôpital ne doit plus être un lieu de séjour, le patient ne faisant plus que passer (un patient le matin et un autre dans le même lit à 14h pour les « petites pathologies »). Fusionner des hôpitaux, mutualiser, externaliser, réaliser de nouvelles suppressions de postes et fermetures de lits…
Autant d’objectifs que le projet loi Touraine permet de réaliser.
Cette loi « santé » a été préparée par la publication de divers rapports et par une kyrielle de « concertations », à commencer par la grande conférence de juillet 2012, suivie de forums régionaux… Elle annonce une politique nationale englobant prévention, organisation des soins, accès aux soins, participation des usagers ; elle veut mettre fin au “cloisonnement” des acteurs du système de santé. Ce projet s’inscrit en réalité contre la revendication d’abrogation de la loi hôpital, patients, santé et territoires (loi HPST Bachelot de 2009). Ce « service territorial de santé au public » (STSP), rebaptisé récemment par M. Touraine « communautés professionnelles territoriales de santé » afin de rassurer les professionnels libéraux, doit réorganiser « le système de santé autour du patient ». Il s’agit, en réalité, d’organiser un transfert d’activités du service public vers le secteur privé et la médecine libérale, d’accélérer la privatisation de tout le système de santé et la destruction de la sécurité sociale. |
ONDAM : Créé par l’ordonnance Juppé de 1996, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) est le montant prévisionnel établi annuellement pour les dépenses de l’assurance maladie. Chaque année, la loi de financement de la Sécurité sociale en fixe le montant. ARS : créées par la loi de 2009, les agences régionales de santé sont des établissements publics de l’État chargés de mettre en œuvre la politique de santé dans chaque région, de rationaliser l’offre de soins et les dépenses hospitalières. |
Mais que propose-t-il en matière de prévention ?
S’agit-il d’annuler la réforme Sarkozy de la médecine du travail qui s’applique depuis fin 2011, réduisant les médecins du travail à de simples exécutants des patrons ? Pas du tout. Le projet de loi Touraine veut modifier le code du travail pour que des « médecins non spécialistes en médecine du travail » puissent exercer des « fonctions dévolues aux médecins du travail ». Il s’agit d’en finir avec cette médecine spécialisée.
S’agit-il d’imposer au patronat des mesures de protection des salariés ? Ainsi, alors qu’un récent rapport1 liste les effets néfastes du travail de nuit sur la santé des salariés et des risques spécifiques pour les femmes (cancer du sein), il n’est pas question d’en imposer l’interdiction (ni de définir des normes très strictes quand ce travail est nécessaire, comme dans les hôpitaux).
S’agit-il de rétablir la « médecine scolaire » qui permet de dépister chez les élèves nombre de troubles de l’enfant, de l’adolescent ?
Non, le projet veut mettre en place avec le Ministère de l’Éducation Nationale, un « parcours éducatif en santé » afin d’apprendre « à tous les enfants et adolescents “à prendre soin” de soi et des autres et d’éviter les conduites à risque ». Il n’est nullement question d’instaurer un réseau dense de médecins scolaires travaillant en collaboration avec un nombre suffisant d’infirmières, de psychologues scolaires, d’assistantes sociales... permettant une prévention chez les jeunes qui intègre les aspects médicaux, sociaux, psychologiques. Les médecins scolaires ne sont même pas cités. Il s’agit en fait, quelles que soient leurs conditions sociales, de rendre les jeunes responsables de leur santé, et même de renforcer les mesures répressives (concernant l’alcool et l’ivresse, par exemple).
Et pour réduire les inégalités sociales en matière d’alimentation (les enfants d’ouvriers sont dix fois plus victimes d’obésité que les enfants de cadres), la loi prévoit de mettre « sur la face avant des emballages des aliments, un logo complémentaire à l’étiquetage informatif » ! Ainsi seront « responsabilisés » les pauvres qui, en toute connaissance, mangeront les produits bas de gamme de l’industrie agro-alimentaire !
Mais la réalité est tout autre. Depuis les ordonnances de 1967 imposant la division de la Sécurité sociale en trois branches (maladie, retraite, famille) et l’extension du ticket modérateur, le pourcentage des frais non remboursés par l’assurance maladie (CNAM) n’a cessé de croître. La place des assurances complémentaires (mutuelles, société privées) s’est considérablement accrue.
La loi de 2004 a réformé la gouvernance de l’Assurance maladie. La création de l’UNOCAM (union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire : mutuelles, institutions de prévoyances et assurances) pousse au désengagement de la Sécurité sociale. L’UNOCAM associée à l’UNCAM (union nationale des caisses d’assurance maladie) gère des remboursements de soins et négocie avec les professionnels de santé.
Puis la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, rend obligatoire, dans le privé, la complémentaire santé d’entreprise dès janvier 2016. Les employeurs qui devront la financer à 50% minimum feront appel aux assurances ; et les mutuelles, soumises à la concurrence, se rapprocheront des groupes privés.
Le gouvernement s’est engagé à éviter toute charge administrative supplémentaire pour le médecin libéral.

Ainsi, sous couvert de tiers payant, les acteurs privés préparent une plate-forme informatique, sur le modèle du Groupement d’intérêt économique des Carte Bancaires : ce « dispositif coordonné » associera la Caisse nationale d’Assurance-maladie aux entreprises et acteurs privés. Passé un délai de 7 jours de retard, l’assurance maladie paiera une pénalité au médecin. Cela imposera à la CNAM un mode de gestion totalement aligné sur les critères de rentabilité des groupes privés de l’assurance.
On s’achemine ainsi vers une couverture de l’assurance maladie de plus en plus réduite (un panier de soins) et des « complémentaires » à géométrie variable : une complémentaire obligatoire (à minima) et une sur-complémentaire pour ceux qui en auront les moyens. Ce système, nommé de façon abusive « tiers payant », servira de paravent à la destruction de la Sécurité sociale (fondée sur les principes de solidarité entre les salariés). D’une part, le patronat est de plus en plus exonéré du versement des cotisations à la Sécurité sociale. Or, ce salaire mutualisé appartient aux travailleurs. D’autre part, il prendra en charge au moins 50 % du coût de la complémentaire santé, et il pourra déduire ce montant du bénéfice imposable de l’entreprise. C’est donc un désengagement accéléré de la Sécurité sociale dans le financement des soins courants, au profit des mutuelles, des instituts de prévoyance et des assureurs. L’État contribuant, de fait, au financement de groupes privés sur le dos de la sécurité sociale |
La médecine du travail et la médecine scolaire :
des acquis de l’après Deuxième Guerre mondiale. La médecine du travail est une « spécialité ». Elle assure la prévention, les conditions et l’hygiène sur les lieux de travail, permet de dépister les maladies professionnelles. Comme c’est le patronat qui fait courir des risques aux salariés concernés, c’est lui qui doit assurer le financement des centres de médecine du travail. La loi lui imposait de veiller au fonctionnement du système, que chaque salarié passe les visites prévues, sous peine de sanctions. Mais le patronat a cherché à limiter puis à dénaturer cette médecine préventive en exigeant le contrôle des centres pour freiner l’indépendance des médecins et de leurs actions. (Or, ce n’est pas à ceux qui font courir les risques de surveiller leur réalité et leur réparation). Médecine scolaire : en 1945, la protection de la santé des élèves et des personnels des établissements d’enseignement devient une obligation du ministère de l’Enseignement public. Les médecins scolaires (et les infirmières) bénéficient d’une formation spécifique en plus des diplômes requis. -> Cf. Mort programmée de la médecine du travail http://www.insurge.fr/10WEB/10BULLE... Un déficit fabriqué Les « exemptions d’assiettes » (les dispositifs qui échappent aux cotisations sociales : tickets restaurant, chèques vacances, indemnités de départ à la retraite, intéressement et participation des salariés aux résultats de l’entreprise…) et les exonérations de cotisations sociales représentent une perte de 11 milliards d’euro en 2015, soit 84% du déficit de la Sécurité sociale (13 milliards en 2013). Avec les exonérations compensées par le budget de l’État, le total des cadeaux accordés au patronat s’élève à 35,8 milliards d’euros en 2015. Sources : PLFSS 2014 |
Le projet de loi prévoit de renforcer les pouvoirs des ARS : elles devront faire exécuter les plans drastiques d’économies. De nouveaux outils doivent permettre d’accélérer les restructurations hospitalières et réduire la place de l’hôpital public.
La loi Bachelot (HPST, Hôpital-Patients-Santé-Territoire de 2009) a permis la création de communautés hospitalières de territoire, ce qui a conduit à nombre de fermetures de lits et de services. Le projet Touraine veut imposer l’adhésion obligatoire de chaque l’hôpital public à un groupement hospitalier de territoire (GHT). Les limites du territoire seront définies par le seul directeur d’ARS et des sanctions financières, voire un refus d’autorisation de fonctionner sont prévus pour les établissements refusant l’adhésion.
Le service public hospitalier pourra aussi être assuré par un hôpital privé habilité. Les établissements ou services médico-sociaux publics pourront adhérer à un GHT, de même que les établissements privés. Ce processus créera nombre d’opportunités pour le privé et la concurrence du privé sur le public - lequel aura obligation de pallier aux défaillances du privé - sera décuplée.
Ces GHT conduiront à la mutualisation forcée des moyens, à de nouvelles fermetures de services (qualifiés de « doublons »), d’hôpitaux de proximité, de maternités, de services d’urgence... L’objectif étant de parvenir à un seul hôpital de référence par département2.
La loi « santé » introduit aussi la possibilité pour les collectivités (communes, départements, régions…) d’intervenir dans la formation des internes.
Le syndicat des internes - ISNI - s’interroge : « Quelles considérations pédagogiques auront alors ces collectivités si ce n’est d’avoir des jeunes médecins, main d’œuvre bon marché, dans les hôpitaux de proximité qui ont tant de mal à recruter des praticiens » ?
D’autant plus que la loi prévoit aussi de créer un statut précaire de praticien remplaçant dans le but de combler artificiellement les postes laissés vacants par les coupes budgétaires : « Dans ce nouveau statut, les médecins seraient ainsi corvéables à merci et considérés comme de simples pions que l’on peut déplacer à la guise des tutelles administratives ».
Ce sont les droits de l’ensemble des travailleurs des hôpitaux publics qui vont être attaqués : durée de travail de 12 heures, suppression de RTT, remise en cause de l’avancement, de primes, développement de la précarité (16,5%)…
Face à l’engorgement des urgences, au manque de lits, M. Touraine veut mettre en place des « gestionnaires de lits » chargés d’optimiser la gestion des flux. Déjà en janvier-février, face à l’épidémie de grippe, le gouvernement a dû libérer des lits, faire revenir des agents en congés. En dépit de cela, nombre de patients n’ont pu être accueillis correctement. Or, selon un délégué CGT, au CHU de Lille par exemple, l’objectif pour 2015 est de faire passer le taux d’occupation des lits à 90% pour la chirurgie, 92% en médecine et de 100% à 200% en ambulatoire. Et nulle part le taux de retour (les patients qui reviennent après une chirurgie en ambulatoire) n’est évoqué !
Quant à la psychiatrie publique, elle assure jusqu’alors les soins dans et hors l’hôpital (Centre médico-psychologiques). La loi « santé » prévoit son intégration dans les GHT, dans le secteur « médecine - chirurgie - obstétrique » (MCO), supprimant donc les hôpitaux psychiatriques. La diminution des moyens accordés à la médecine dans et hors l’hôpital entraine la remise en cause des pratiques thérapeutiques au profit de protocoles standardisés et le développement du secteur privé lucratif dans le secteur (disparition des soins gratuits dans la cité, au profit d’acteurs privés libéraux, commerciaux ou associatifs).
Le projet de loi « santé » veut mettre en place « une coordination de l’ensemble des acteurs de santé, afin d’offrir une prise en charge adaptée à toute personne devant recourir au système de santé ». Mais s’agit-il d’assurer un meilleur suivi des patients ? Il faudrait, pour ce faire, en finir avec la main mise de l’industrie pharmaceutique, des trusts de la santé (Sanofi, etc) et des groupes financiers qui vivent en parasites sur le dos du secteur public, de la Sécurité sociale, des patients. Cela implique d’exproprier ces industries et d’en réorienter la production selon les seuls besoins des travailleurs. |
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À l’inverse, la loi prévoit la « coordination des parcours de santé, autour des soins de proximité », bon moyen pour organiser l’asphyxie de l’hôpital public et le basculement d’une grande partie des soins vers le secteur libéral. Car, mettre « le patient au centre du système » c’est, sous couvert de « prise en charge adaptée », lui imposer de s’adapter à l’offre de soins ; lui imposer l’hospitalisation de jour (l’ambulatoire)… Ce transfert de soins post-opératoires vers le secteur libéral s’accompagnera, pour le patient, d’une augmentation des soins à sa charge.
Et face à la progression des déserts médicaux urbains et ruraux, au manque de spécialistes créé par le numérus clausus, le projet propose que les médecins généralistes volontaires se forment au rabais.
La loi « Santé », s’inscrit dans la continuité de la loi HPST (Bachelot) dont les personnels réclament l’abrogation. Une seule exigence :
Retrait du projet de loi « Santé » !
Maintien des 3 milliards nécessaires à l’hôpital public, réouverture des services, des maternités. Création massive de postes de titulaires (et titularisation des précaires) !
Dans le même temps, le combat doit être mené en défense de la Sécurité sociale pour l’abrogation des lois qui l’ont mise en cause ; l’arrêt des exonérations ; la restitution à la Sécurité sociale de cet argent qui appartient aux salariés ; la gratuité des soins (abrogation du ticket modérateur) et la mise en place d’un véritable service public de la santé. La Sécu doit être gérée par les seuls représentants des salariés.
La défense inconditionnelle du statut de la Fonction publique hospitalière implique d’abroger les mesures le mettant en cause.
Cela implique d’engager le combat contre ce gouvernement, de cesser de lui faire « des propositions », de boycotter les « concertations » et groupes de travail. C’est sur cette orientation qu’il faut combattre pour imposer que se réalise l’unité des organisations syndicale.
*Loi Macron : voir l’analyse sur le blog de L’insurgé http://blog.insurge.fr/post/1066004...
1 : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports- publics/104000435/0000.pdf
2 : Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux
et maternités de proximité : http://www.coordination-nationale.org/
3 : Présentation du projet de loi en Conseil des ministres (M. Touraine 15/10/2014)