Liberté de circulation, droit d’asile, droit de l’asile
Si la notion de droit d’asile est très ancienne, la notion actuelle de droit d’asile comme droit du réfugié n’apparaît guère qu’au XXè siècle. Elle a peu de liens avec le droit d’asile de l’Antiquité ou celui du Moyen-Âge.
Gérard Noiriel[1] montre qu’avant la Révolution de 1789, le droit d’asile est une pratique monarchique fondée sur la notion chrétienne de charité et de bienfaisance. Mais cet asile n’est pas défini par la loi. Après 1989 et surtout avec l’adoption en 1848 du suffrage universel masculin, nationalité et citoyenneté deviennent liées : on distingue le « national » de l’ « étranger ». Le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » : |
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Après l’écrasement de la Commune de 1871, avec l’industrialisation et l’essor du mouvement ouvrier dans les années 1880, la lutte des classes s’amplifie : la bourgeoisie est confrontée à d’importantes mobilisations ouvrières et à la mise en avant d’une perspective, celle de la suppression de la propriété privée, de l’expropriation des expropriateurs. Certains secteurs de l’économie sont durement touchés par la Grande dépression (1873-96). L’étranger « devient alors un personnage central du discours politique ». Mettant en relation la question du travail et la question nationale, la bourgeoisie invente un nouveau discours pour justifier l’ordre établi. Le clivage entre « eux » et « nous », ne serait pas une opposition entre les classes (la bourgeoisie et la classe ouvrière) ; il opposerait les « étrangers » aux « nationaux ».
C’est là le point de départ de la politique des « papiers d’identité », « créant une ligne de démarcation entre immigrants légaux et illégaux, ceux que l’on appellera ensuite les “clandestins” ou les “sans papiers” ». (Noiriel)
Ce discours est utilisé par la bourgeoisie pour essayer de diviser la classe ouvrière, pour rallier une partie des travailleurs nationaux contre les travailleurs immigrés, substituant l’identité nationale à l’identité de classe. « La politisation de l’identité nationale » devient « la riposte que la droite a trouvée pour répondre à la politisation de la classe ouvrière impulsée par les partis socialistes », comme « une arme essentielle pour combattre la lutte des classes »[2].
La loi de la nationalité française date de 1889. La nationalité s’obtient par la filiation (droit du sang) ou par la naissance (le droit du sol). Cette volonté « d’intégrer » les classes populaires dans l’État-nation conduit à exclure les criminels et les étrangers[3]. À partir de 1888, le séjour des étrangers sur le territoire est réglementé par une procédure d’immatriculation. « Désormais, tous les individus dépendent de leur État d’origine par le lien juridique qu’est la nationalité et la preuve bureaucratique qu’est le passeport »[4](ou aujourd’hui la carte d’identité)[5]. La conception du droit d’asile va être bouleversée par le nationalisme.
La Déclaration Universelle de 1948 affirme : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ». Elle énonce un principe fondamental et une condition de possibilité du droit d’asile lui-même : « 1) Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. 2) Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » (art.13). Mais trouver refuge à l’étranger implique de franchir une frontière. Ce qui suffit bien souvent à se mettre à l’abri des persécutions (les conditions de séjour, de vie sont une autre question). Ce franchissement des frontières ne peut donc être subordonné à un examen préalable (un tel examen inclut la négation même du droit d’asile). Encore faut-il que cette persécution soit « reconnue »…
Contrairement à une idée reçue, la convention de Genève de 1951 ne fonde pas le droit d’asile, elle traduit cette protection en droit de l’asile, c’est à dire des règles de droit international. Elle ne met pas en cause le principe de la souveraineté des États. Chaque État reste maître de la procédure d’éligibilité. C’est ainsi qu’en France est créé l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en 1952.
Pour obtenir le statut de réfugié, le demandeur d’asile devra prouver qu’il est persécuté. Or, si l’on prend les exemples de réfugiés dans l’histoire (Arméniens avant la Première Guerre mondiale, juifs Allemands dans les années 30, Syriens aujourd’hui…) on constate que l’administration peut exiger des preuves difficiles ou impossibles à rassembler, voire nier toute persécution.
Le « droit d’asile » (principe fondamental) est donc soumis au « droit de l’asile », variable d’un pays à l’autre, selon les conditions économiques, politiques, en fonction de choix diplomatiques…
Ainsi, durant les années 1960 et 1970, avec l’ouverture du marché mondial, la croissance économique dans les pays impérialistes a créé des besoins de main-d’œuvre. Les réfugiés (5% seulement de la population immigrée en France en 1992) étaient accueillis facilement (une simple photocopie des pièces d’identité, des lettres de la famille suffisaient comme preuve de la persécution). Des demandes d’asiles sont aussi accordées pour des raisons politiques (accueil de réfugiés politique polonais ou roumains en France, de Kurdes refusés en Allemagne). Avec la crise (milieu des années 1970), la situation se modifie, et au début des années 1980, se développe le thème du « réfugié fraudeur ». Le nombre de refus de l’asile explose (ce refus passe de moins de 10% en 1976 à plus de 90% aujourd’hui).
Toute une campagne se développe pour accréditer l’idée que si le pourcentage des déboutés de l’asile augmente, la faute en incombe aux demandeurs d’asile eux même, lesquels sont qualifiés de « fraudeurs ». Belle démonstration, accompagnée d’un discours humanitaire, qui masque le fait que c’est l’État qui élabore la définition du réfugié et la modifie selon les intérêts économiques et politique de la classe dominante. La notion de « pays d’origine sûrs »[6] a été introduite en droit français par la loi du 10 décembre 2003. Les demandeurs d’asile, ressortissants des États figurant sur cette liste, ne peuvent bénéficier d’une admission à séjourner au titre de l’asile. Le fait que cette liste régulièrement révisée diffère d’un pays à l’autre montre bien que chaque État l’établit en fonction des opportunités politiques (ainsi, en 2007, le taux d’acceptation des Irakiens qui cherchaient à trouver refuge en Europe a varié de 0 à 81 % selon les pays d’Europe).
Dans toute l’Europe, la chasse aux « clandestins » se renforce.
Avec la persistance de la crise économique et financière, le développement des inégalités entre les pays, le développement de la misère dans nombre de pays dominés et des inégalités sociales à l’intérieur des autres, les bourgeoisies sont conduites à renforcer les appareils bureaucratique et militaire des États.
Ainsi sont renforcés le contrôle social des populations, la répression des mobilisations ouvrières, des mobilisations démocratiques, et notamment des mobilisations de la jeunesse et de la fraction immigrée des travailleurs et des jeunes.
Les libertés démocratiques sont des libertés bourgeoises, définies par la loi. Les travailleurs ont conquis des droits politiques (droit de s’organiser, de manifester, de faire grève…). Ces droits et libertés sont à défendre car ils sont indispensables pour assurer la défense de leurs intérêts de classe. La défense des droits des immigrés est partie prenante de ce combat.