Enseignement, Université, Recherche
De la maternelle à l’université : contre la territorialisation de l’enseignement et la casse des statuts
Des conditions d’enseignement dégradées
Le premier bilan ? Dans nombre de communes, des activités périscolaires sont mises en place ; mais bien souvent le personnel employé est sous-qualifié (ne possédant même pas le BAFA).
Et surtout, la soumission des horaires à l’autorité communale (plus de 100 horaires différents dans un seul département) organise l’éclatement de l’unité nationale de l’école, sa territorialisation. Et les parents voient enfler le budget du périscolaire : activités payantes, appel à un baby-sitter pour aller chercher les enfants à l’école. La demande de garde d’enfant a augmenté de 30% dans les villes où la réforme des rythmes a été appliquée l’an dernier et le prix d’un baby-sitter a explosé (plus 11% à Paris). Certains parents sont contraints de cesser de travailler le mercredi, ce qui conduit à une diminution de leur salaire.
⇒ Dans le secondaire, les effectifs par classe sont pléthoriques, et les heures supplémentaires font florès (nombre d’enseignants à mi-temps se retrouvent... avec une heure supplémentaire alors qu’ils n’y ont normalement pas le droit). Les enseignants en collège en éducation prioritaire REP+ (et parfois même non REP+) se voient imposer 1h30 de concertation par semaine par leur principal, en plus de leurs heures enseignements, souvent totalisées à 18h par semaine, voire plus (et non 16h30 comme l’avait tant vanté la réforme de l’éducation prioritaire).
⇒ Dans le Supérieur, la précarité du personnel atteint un niveau record : un communiqué intersyndical annonce environ 122 000 personnels vacataires ou en CDD (enseignants, administratifs, bibliothécaires,...), sans compter les précaires des organismes de recherche.
⇒ À l’Université, les réformes LMD, LRU1 et LRU2 ont permis de territorialiser les Universités et de faire voler en éclat les diplômes nationaux. Le décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs publié début septembre permet de moduler leur service : actuellement défini nationalement à 192 heures/an (équivalent TD), ce service d’enseignement pourra être augmenté et modulable selon les configurations locales. Certes cette modulation est « facultative », mais il va sans dire que les pressions vont être accrues sur les enseignants, qui ont déjà dû accepter l’an passé, dans certaines universités (comme à Versailles) des augmentations de services, sous le chantage : « soit vous acceptez, soit on ferme la section ».
⇒ Dans le secondaire, le décret Peillon publié fin août mettra notamment en place les « missions liées » à la rentrée 2015 : de multiples tâches contrôlables par le chef d’établissement, en plus de leur service d’enseignement. Ces missions liées permettront de rendre les enseignants « multi-tâches », avec des variations locales, au détriment de leur fonction première, l’enseignement. Déjà dans nombre de collèges les principaux ont imposé 1h30 de concertation par semaine, en plus des heures d’enseignement.
En outre, sera mise en place une pondération pour certaines heures (comme en Terminale, l’heure sera comptée 1,1h), mais en contre partie, les minorations de service pour fort effectif disparaissent. Ceci permettra de dépasser allègrement, par exemple, le seuil de 35 élèves par classe.
De plus, la pondération est un bon moyen pour imposer des heures de « missions liées ». C’est ce que l’on observe en collège REP+, où la pondération à 1,1 s’applique à toutes les heures dès cette année. Les 18h d’enseignement par semaine, devaient se décomposer en « 16h30 d’enseignement + 1h30 de compensation, pour pénibilité ». En réalité cette 1h30 devient un temps de réunion. Et pour nombre de collègues, vue la pénurie d’enseignants, c’est bien 18h par semaine (voire plus) qu’ils font (avec 1h30 supplémentaire payée en heure sup).
⇒ Dans le premier degré, les enseignants remplaçants ou à cheval sur deux établissements ne font plus 24h d’enseignement par semaine, mais 24h en moyenne sur l’année. Ainsi, nombre d’entre eux effectuent 27 h d’enseignement. On leur a promis une récupération des heures faites « en trop », mais, au vu de la pénurie d’enseignants... il est fort possible qu’ils n’en voient jamais la couleur. Il s’agit là d’une accentuation de la flexibilité (via l’annualisation) du travail de ces enseignants. Qui ouvre la voie à une probable généralisation.
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« école du socle » - « bac -3, bac+3 »
En effet, cette réforme, poursuivant les réformes antérieures, devait « améliorer » la mise en place de « l’école du socle » (école primaire + collège) qui délivrerait un SMIC culturel (au détriment des enseignements disciplinaires), et du « bac -3, bac+3 » (de la Seconde à l’année de licence L3).
⇒ L’ « école du socle commun » devra être une école « bienveillante », où les élèves certes n’apprendront pas grand chose (le SMIC culturel), mais où ils se sentiront « bien » : la mission première des enseignants ne sera plus d’instruire les élèves, mais de les garder, de les formater, de les adapter à un marché du travail flexible et une société fondamentalement incapable de répondre au problème du chômage.
En témoigne le contenu du « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » qui a été publié en juin : il redéfinit le socle commun Fillon en 5 domaines (les compétences clés y sont présentes, à commencer par « apprendre à apprendre »), et... aucun contenu disciplinaire n’y est décrit !
Ce socle présenté comme le « programme des programmes » doit être une référence nationale pour les cycles de l’école élémentaire et du collège. Ensuite, ce sera aux enseignants (en accord avec les pouvoirs locaux) de le décliner « en fonction des acquis, de la culture, des goûts et des difficultés des élèves, des projets d’école ou d’établissement, des enseignants, des ressources culturelles, naturelles et économiques locales (…) ainsi que des projets éducatifs locaux ».
Exemple : en collège, les « parcours d’éducation artistique et culturelle », introduits par la loi Peillon, seront déclinées localement, cogérés avec les collectivités locales et associations ; et ils pourront allègrement remplacer tout type d’enseignement.
L’annonce d’un nouveau livret de compétences (le livret scolaire unique numérique) accompagne la volonté affirmée d’en finir avec les notes au profit… des compétences. Cette démarche marginalise les contenus disciplinaires et conduit à la mise en cause du cadre national de l’enseignement et des diplômes (y compris le bac).
La refonte du statut des enseignants, les contraignant à être multitâches, à être beaucoup plus présents sur les établissements (dans le Secondaire) et à « collaborer » avec les pouvoirs locaux (comme pour les directeurs d’école) permettra de mettre en place cette « école du socle ». |
⇒ Quant au système « bac-3, bac +3 », la LRU2 (loi Fioraso), contraint tout lycée ayant des classes d’enseignement supérieur (STS ou CPGE), à passer une convention avec une ou plusieurs universités, convention qui « prévoit les modalités de mise en œuvre d’enseignements communs » (article L612-3 du code de l’Éducation).
De telles conventions « ont vocation à s’étendre, à terme, à l’ensemble des lycées » (circulaire de rentrée). En parallèle du « conseil école-collège », qui conforte la mise en place de l’école du socle, se développeront des structures de réunion « bac-3, bac+3 », qui accéléreront cette mise en commun d’enseignements grâce aux enseignants devenus multi-tâches (dans le secondaire) ou pouvant fournir plus d’heures d’enseignements (dans le supérieur).
Les lois Peillon-Fillon et Fioraso-Pécresse répondent aux besoins économiques des entreprises : s’adapter à la compétition internationale, et pour cela fluidifier le marché du travail (et donc liquider les diplômes nationaux). En réponse aux demandes du MEDEF, le ministre Rebsamen déclarait cet été que « l’apprentissage est pour nous un sujet majeur ».
Une grande masse de jeunes doit être privée de tout accès à la culture.
Et la nouvelle étape de la décentralisation (territorialisation) va donner un élan considérable à une différentiation toujours plus grande de l’enseignement selon l’origine sociale des parents*.
Plus que jamais, la défense du cadre national de l’enseignement public, du métier, du statut exige le combat uni de tous les enseignants, de la maternelle à l’université, contre les attaques statutaires, en défense d’un statut national. Cela implique la défense d’un service des enseignants défini à l’échelle nationale, et uniquement en heures d’enseignements (et hebdomadaire, pour le premier et second degré a minima).
Mais cela est totalement contradictoire à la participation des directions syndicales aux concertations sur l’application des lois Peillon et Fioraso, sur la rédaction des décrets et circulaires d’application. Qu’elles organisent le boycott des concertations, des groupes de travail, des consultations !
Défendre ces statuts nationaux, passe par la nécessité d’abroger les décrets Peillon sur le statut des enseignants du premier et second degré, abroger les lois qui les ont instigués (lois Fillon et Peillon, dont la réforme des rythmes), abroger le décret des enseignants-chercheurs, et les lois LRU1, LRU2, et LMD.