Edito : François Hollande, ou la continuité affirmée d’une politique : Le dialogue social au service du capitalisme
Il est vrai que ces patrons n’ont pas eu à regretter les voux formulés par Hollande le 31 décembre, puisque leur fut faite une grande annonce : la naissance prochaine du « pacte de responsabilité » qui répondait aux attentes de Gattaz, le président du MEDEF. Ce pacte, était-il expliqué, serait « fondé sur un principe simple : moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leurs activités et, en même temps, une contrepartie, plus d’embauches et plus de dialogues social ». Passons sur le fait curieux que le « dialogue social » puisse être présenté comme l’une des « contreparties » à des cadeaux faits au patronat, alors que ce dialogue est un outil au service du gouvernement et du patronat : faudrait il y voir une récompense promise aux bureaucrates syndicaux qui réclament sans cesse plus de « dialogue social » ?
L’essentiel est que cette annonce, aussitôt saluée par le patronat, s’inscrivait dans la continuité du « pacte de compétitivité » issu fin 2012 du rapport Gallois et qui avait alors donné naissance au CICE, le Crédit d’impôt compétitivité, un somptueux cadeau de 20 milliards d’euros aussitôt offert au patronat. Et s’il n’était pas alors précisé sur quoi porterait ces dites réductions de « charges », on comprit aussitôt que cela concernerait les cotisations qui financent la Caisse nationale d’allocations familiales. Rappelons que, quelques jours auparavant, le premier ministre Jean-Marc Ayrault s’était adressé au Haut Conseil de financement de la protection sociale pour demander « une réflexion » sur une « réduction des prélèvements sociaux pesant sur le coût et les revenus du travail » . L’objectif était de « poursuivre l’effort pour faire moins reposer sur le travail le financement de certaines prestations à vocation universelle » . Tout le monde avait compris qu’étaient visées les cotisations pour la branche famille de la Sécurité sociale. (Ce Haut Conseil a été installé en septembre 2012. Il est présenté comme une instance de « concertation » réunissant les « partenaires » sociaux. Traduire : une instance de collaboration de classe entre bureaucrates syndicaux et représentants du patronat et de l’État).
L’annonce faite par Hollande le 31 décembre était donc prévisible. Restait à préciser les choses.
Sur ce projet, Hollande fut beaucoup plus explicite lors de sa conférence de presse du 14 janvier. Il présente le pacte en ces termes : « Il a un principe simple : c’est d’alléger les charges des entreprises, de réduire leurs contraintes sur leurs activités ; et en contrepartie de permettre plus d’embauches et davantage de dialogue social. ».
En résultent quatre chantiers. Trois correspondent aux revendications patronales : « Le premier, c’est la poursuite de l’allègement du coût du travail (...). Le deuxième chantier, c’est de donner de la visibilité aux entreprises (...), c’est une modernisation de la fiscalité sur les sociétés et une diminution du nombre des taxes ». Et le troisième vise à réduire le nombre de normes et les procédures imposées aux entrepreneurs.
Reste le quatrième chantier, qui concerne les « contreparties » : « des objectifs chiffrés d’embauches, d’insertion des jeunes, de travail des seniors, de qualité de l’emploi, de formation, d’ouvertures de négociations sur les rémunérations et la modernisation du dialogue social. Un Observatoire des contreparties sera mis en place ». En clair, et le MEDEF insistera sur ce point, il ne s’agit ni de loi ni d’obligations ni de contrats mais simplement « d’objectifs » auxquels personne ne croit un instant.
Par ailleurs, Hollande annonce également « des économies, nombreuses ». À cette fin, « Je constituerai donc autour de moi, un Conseil stratégique de la dépense. (...) Toutes les dépenses, toutes les politiques, toutes les structures seront concernées. L’État » mais aussi les « collectivités locales » et « ce qu’on appelle la protection sociale ».
Hollande précisait aussi le calendrier pour la réalisation de ce pacte, tout au long du printemps, et se terminant par une grande conférence sociale et par un vote du Parlement.
Aussi, ceux qui font mine de s’indigner se moquent un peu du monde, tel le journal l’Humanité qui, à la une de son numéro du 15 janvier, accuse Hollande d’être « le commis des patrons » et (en titre intérieur) de « tomber le masque ». Mais n’est ce pas le PCF qui a voté, il y a 8 mois, la très réactionnaire loi Peillon qui ouvre tout grand les portes des écoles aux patrons ?
Si tournant récent il y a, ce n’est ni du 14 janvier 2014, ni de l’élection de François Hollande au printemps 2012 qu’il faut le dater, mais de 2006, lorsque le Parti socialiste - sous la direction du même François Hollande, alors premier secrétaire - décida d’une nouvelle modification de ses statuts, en se réclamant désormais (comme le SPD allemand le faisait depuis 1956) de l’économie sociale de marché, c’est-à-dire d’une économie capitaliste gérée avec la participation, avec l’appui des organisations ouvrières. Cette nouvelle modification des principes fondant le PS mettait clairement en accord le programme et les discours du PS avec sa politique concrète de défense du capitalisme français, politique que la social-démocratie française poursuit depuis 1914.
Le programme électoral du Parti socialiste, puis celui du candidat Hollande qui en découla, ne furent donc que la mise en musique de cette déclaration de principes. Et pour quiconque prend la peine de relire le programme électoral de Hollande, il faut bien admettre qu’il met en application, avec constance, le programme annoncé : la politique conduite par Hollande et son gouvernement sont la première application de la modification des principes du PS de 2006.
Il est dès lors cocasse de voir les cris d’orfraie de Jean-Luc Mélenchon, qui s’indigne du « coup de barre à droite le plus violent d’un gouvernement de gauche depuis Guy Mollet », alors que ce même Mélenchon ne mena aucun combat, en 2006, contre la modification statutaire du PS dont il était à ce moment là un membre éminent. (On passera ici sur l’étonnant label de « gouvernement de Gauche » attribué par Mélenchon au gouvernement de Guy Mollet).
Aussi Hollande a-t-il beau jeu de répondre à un journaliste qui l’interpellait sur son « tournant » :
« « Alors, ce tournant ? Quand on tourne, on est obligé de ralentir ou alors c’est dangereux. Donc pour moi, Il n’est pas question de tourner, il est question d’accélérer sur le même chemin ».
Mais les commentateurs, en focalisant sur un hypothétique virage, ont masqué un fait essentiel.
À cette étape, aucune décision n’est prise quant au contenu détaillé de ce pacte. Il doit y avoir une phase de concertation, puis le pacte sera présenté devant l’Assemblée nationale, et le gouvernement engagera sa responsabilité. Ce qui n’est pas explicitement dit, mais qui est vraisemblable, c’est que c’est sur la base de ce vote que sera constitué un nouveau gouvernement, soit dans la continuité de l’actuel gouvernement, soit différent dans sa composition.
Vote à l’Assemblée ? Aussitôt Mélenchon s’enflamme : « Que les élus PS et Verts rompent les rangs ! » Fort bien. Car appeler les députés du PS (et, on l’espère, ceux du PCF) à l’insurrection est une bonne idée.
Mais Mélenchon oublie un détail : ce projet de pacte pourrait-il être voté à l’Assemblée nationale si, au préalable, les dirigeants syndicaux avaient refusé toute discussion de ce projet ? Pourrait-il même être présenté à l’Assemblée si les syndicats, refusant de le discuter, appelaient à la mobilisation pour le retrait de ce projet ? Pourquoi donc ne pas commencer à exiger des dirigeants syndicaux : refusez toute concertation sur ce projet ! Aucune discussion ne doit cautionner un tel projet !
Une telle exigence est d’autant plus justifiée que, à mots à peine couverts, Hollande avoue qu’il ne peut pas faire grand-chose sans l’appui de ces dirigeants syndicaux en qui il affirme sa « confiance » : « Ma méthode, c’est la négociation (...). Cette méthode elle a fait ses preuves ».
Il entend donc s’appuyer sur cette méthode pour une nouvelle étape décisive : « le pacte de responsabilité, c’est un grand compromis social, sans doute le plus grand qu’il ait été proposé depuis des décennies à notre pays. Il implique toutes les parties prenantes : l’État, les collectivités locales et, bien sûr, les partenaires sociaux ».
Car ce gouvernement est doublement fragile : fragile dès son origine, puisqu’il mène une politique qui poursuit celle de Sarkozy alors que les travailleurs, les électeurs, ont chassé Sarkozy pour en finir au contraire avec cette politique. Le Parti socialiste, qui a légitimé ce gouvernement et en constitue l’épine dorsale, perd donc le soutien d’un nombre croissant de ses électeurs.
Fragile aussi du fait de l’approche des élections municipales, que redoutent en particulier les innombrables élus sortants du Parti socialiste. Et ces élus ont raison de s’inquiéter, car nombre de travailleurs comprennent bien que le gouvernement va être sur la défensive durant cette période électorale ! La tentation d’engager les luttes n’en sera que plus grande...
Encore faudra-t-il bousculer les directions syndicales, car celles-ci vont tout faire pour ne pas « déranger » le gouvernement pendant les élections. Pire : en s’engageant dans la concertation du pacte de responsabilité alors même que se mènera la campagne électorale des municipales (puis des européennes), les dirigeants syndicaux se préparent à apporter une aide puissante au gouvernement et à sa politique. Ce qui n’empêchera pas d’ailleurs les partis bourgeois (UMP, Front National, etc) de tirer les marrons du feu électoral.
À l’inverse, si l’on veut mettre en échec cette politique réactionnaire, si l’on veut que ce projet ne puisse être présenté à l’Assemblée (ou alors qu’il y soit rejeté), si l’on veut que les travailleurs puissent engager le combat pour leurs revendications, il convient de mettre au centre de l’activité politique des semaines à venir le combat contre la politique de dialogue social et contre le projet de pacte :
À Bas le Pacte social !
Aucune concertation sur ce pacte !
À bas toute la politique de dialogue social !
17 janvier 2014