A l’origine des naufrages
En effet, dans toute l’Europe, des lois dites « d’immigration choisie » criminalisent les « sans papiers ». Ceux-ci sont poussés à l’exil par la décomposition des sociétés ravagées par le capitalisme. Et les polices des États de l’Union Européenne, en collaboration avec l’agence Frontex, contraignent ainsi ces exilés à contourner les voies légales pour circuler. Ces personnes subissent alors la violence, le racket, la faim et la soif, voire l’exploitation sexuelle et le travail forcé.
– 1998 : la loi Turco-Napolitano (gouvernement Prodi) décide de « régler la question de l’immigration » : elle officialise la notion d’immigration « clandestine », laquelle implique une procédure de criminalisation du réfugié, du demandeur d’asile, et concentre dans des centres de rétention toutes les personnes soumises à un jugement d’expulsion.
– 2002 : la loi Bossi-Fini (gouvernement Berlusconi) décide le renvoi immédiat des migrants dits « clandestins ». Pour un permis de séjour, il faut posséder un permis de travail ; pour un permis de travail, il faut avoir un permis de séjour. Ainsi, tout migrant qui met les pieds sur le territoire italien commet un délit d’immigration clandestine. (Même s’il obtient le statut de réfugié politique, la procédure pour délit se poursuit). Chaque clandestin sera condamné à 5000€ avant d’être expulsé.
Toute personne qui aide un supposé clandestin à mettre le pied sur la terre d’Italie peut être condamné pour « complicité de délit de clandestinité » des personnes. Les pêcheurs au large de Lampedusa qui portent secours à une personne en train de se noyer peuvent se voir confisquer leur bateau et être condamnés.
Frontex est une petite armée qui, basée à Varsovie et placée sous l’autorité d’un général finlandais, déploie ses forces aux frontières de l’Europe (vingt-six hélicoptères, vingt-deux avions, cent treize navires, quatre-cent soixante treize appareils techniques - radars mobiles, caméras thermiques, sondes mesurant le taux de gaz carbonique émis, détecteurs de battements de cœur…) (a). Chargée de missions de surveillance en Méditerranée et d’opérations de charters d’expulsés, Frontex a bien d’autres fonctions. Jean Ziegler la qualifie « d’organisation militaire quasi-clandestine ».
Ce dispositif pousse ainsi les migrants à s’embarquer par centaines sur des rafiots (5000 migrants se sont noyés en 2012). Dès lors tout migrant n’a plus le choix que de faire appel aux réseaux mafieux, lesquels sont confortés par les lois italiennes et les institutions de l’UE. Derrière l’hypocrisie des mots et des « journées de deuil national », il y donc les politiques et les lois qui interdisent le droit de circuler librement.
En dépit de ces lois, le 3 octobre 2013, au large de Lampedusa, deux pêcheurs ont sauvé 12 migrants. Témoins du naufrage, ils se sont adressé aux gardes côtes qui leur ont répondu « nous ne pouvons rien faire, nous devons attendre la confirmation du protocole à suivre ».
Note a : Chiffres de l’inventaire donné par Frontex en 2010, in Xénophobie Business