Edito : Élections en Allemagne, une difficulté dans la collaboration de classes
S’il y a un pays où la collaboration de classes est institutionnalisée, c’est bien l’Allemagne.
Dans le cadre de « l’économie sociale de marché », cette collaboration touche le syndicalisme tout autant que les partis politiques : cogestion largement développée dans les entreprises, interdiction des grèves en dehors d’un cadre restreint et très règlementé…
Et tant au niveau de différents Länder qu’au niveau fédéral, se constituent des gouvernements de collaborations de classes en tout genre, que ce soit autour du Parti social-démocrate - tel le gouvernement de coalition SPD-Verts de Schröder de 1998 à 2005 - que dans des formules dites de « grande alliance » dont le dernier exemple fut le cabinet Merkel CDU/CSU-SPD de 2005 à 2009.
Et, durant les dernières années marquées par la crise économique et de nombreuses lois anti ouvrières, cette collaboration s’est approfondie.
Dans ces conditions, les commentateurs attendaient des dernières élections au Bundestag (chambre basse du Parlement fédéral) une poursuite sereine de cette politique.
Il n’en n’a rien été. Dans un premier temps, la presse s’est enthousiasmée par la nouvelle victoire de Merkel : l’Allemagne de Merkel prenait sa place dans la mythologie après celle de Bismarck… et puis, 48 heure après, la fumée s’est dissipée et l’avenir et apparu soudain beaucoup plus compliqué pour la formation du futur gouvernement. Que s’est-il passé ?
Du côté des partis bourgeois, on fait grise mine. Certes les partis chrétiens démocrates allemands CDU-CSU réalisent un score remarquable et frisent la majorité absolue… Mais c’est en récupérant une partie des voix de leur allié sortant, le FDP, parti historique de la bourgeoisie libérale allemande qui perd les 2/3 de son électorat et passe sous la barre des 5% pour la première fois depuis 1949. Le FDP est expulsé du Bundestag et Merkel perd ainsi son allié. L’apparition d’un parti protectionniste et anti euro (AfD), a capté des électeurs hostiles à la politique de Merkel tout en n’ayant pas lui non plus les 5% nécessaires pour être représenté au Parlement.
Cette situation traduit les inquiétudes croissantes d’une fraction de la bourgeoisie face à l’avenir du système financier et monétaire international, dont l’euro est une pièce majeure.
Reste alors la solution classique d’une alliance avec le SPD.
Même s’il gagne 2,7% des voix, le SPD, après quatre ans d’opposition, demeure traumatisé par sa défaite historique de 2009 où il a perdu plus de 11% de ses suffrages, avec un score inférieur à celui de 1949.
Cette défaite historique fut le produit de la politique menée par Schröder (2002-2005) contre laquelle se sont développées d’importantes mobilisations en 2004, et surtout de la participation du SPD à la « grande coalition » (CDU-CSU/SPD) dirigée par Merkel de 2005 à 2009. Autour du programme « assainir, réformer, investir » la grande coalition a mis en œuvre les « réformes » du marché du travail, en particulier la loi Hartz IV votée sous Schröder. Les électeurs du SPD n’ont toujours pas digéré ces années qui ont porté un coup terrible au SPD : il est passé de 800 000 adhérents en 1998 à moins de 460 000 en 2013 et ses liens avec le mouvement syndical et les mobilisations se sont distendus.
Peter Steinbrück, candidat du SPD en 2013, fut un défenseur de Hatz IV et le SPD n’a pas remis en cause ce passé. D’où les résultats du 22 septembre 2013 dont Steinbrück tire les conséquences en démissionnant de ses responsabilités.
Bündnis 90/Die Grünen (Alliance 90/Les Verts) s’était préparé, lors de son dernier congrès, à une possible alliance avec la CDU. Et certains de ses députés s’y déclarent prêts. Mais ce parti petit bourgeois, qui s’est historiquement construit par son alliance avec le SPD, connaît une crise profonde (trois dirigeants historiques dont Jürgen Trittin démissionnent du groupe parlementaire). Et son programme a fait fuir une partie de ses électeurs : l’aile dite « modérée » qui considère que « les entreprises doivent être partenaires des Verts » souhaite une grande coalition avec Merkel. Le développement des énergies vertes pour compenser la sortie du nucléaire annoncée pour 2020 sont autant d’espaces de nouveaux profits pour les entreprises et de ponts entre la CDU et les Verts.
Die Linke, quant à lui, perd le tiers de ses voix, corrélativement à la politique mise en œuvre, en particulier à Berlin - diminution des aides sociales, fermeture de crèches, privatisation partielle de l’hôpital, etc - et à son programme. Rappelons que cette organisation tant aimée de Mélenchon n’est pas une organisation que l’on peut qualifier d’ouvrière : une part majeure provient de l’ancien SED-PDS, parti créé par Staline dans l’Allemagne de l’est. Ainsi, Gregor Gysi, le président du groupe au Bundestag, est-il soupçonné d’avoir travaillé avec la Stasi (la police politique de l’ex RDA)…
Tout cela explique pourquoi, pour le monde du travail en Allemagne, l’alliance SPD-Die Linke-Verts clamée par certains en France n’est pas porteuse d’une alternative.
Minoritaire dans les deux chambres du Parlement, Angela Merkel est confrontée pourtant à l’absolue nécessité de trouver un nouveau partenaire. Il lui faut affronter des dossiers très lourds : ralentissement de la croissance et des exportations, explosion du prix de l’électricité, montée en flèche des loyers, accentuation de la misère des retraités… Et elle doit, au compte du capitalisme allemand, assurer le leadership en Europe. Elle a besoin d’un gouvernement stable.
Reste donc comme solution gouvernementale un accord entre Merkel et le SPD. C’est là que surgissent les difficultés, car une majorité de militants semble refuser une telle alliance. Certes, c’est là un argument aux mains de la direction du SPD pour faire monter les enchères dans les tractations avec Merkel, et obtenir quelques compensations en échange d’un accord : la mise en place d’un SMIG par branches par exemple.
Mais les résistances internes au SPD semblent fortes, qui témoignent de la nature du SPD : irrémédiablement défenseur de l’ordre bourgeois mais marqué par son origine, celle d’un parti ouvrier.
Dans ces conditions, l’échec d’un accord serait une bonne chose pour les travailleurs allemands. Cela ne changerait rien à la nature du SPD. Mais ce serait un point d’appui pour la résistance des travailleurs sur leur terrain, celui des mobilisations sociales. L’exigence immédiate, c’est donc : À bas les tractations ! Aucun accord entre le SPD et la CDU ! Si un accord devait se réaliser l’exigence de la rupture restera nécessaire. 6 octobre 2013
Résultats
• Unions chrétiennes (CDU/CSU) - tête de liste Angela Merkel : 41,55% (311 sièges sur 630, + 72) • Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) - tête de liste, Peter Steinbrück : 25,74% (192 sièges sur 630, + 46) • Die Linke - tête de liste collectif : 8,59% (64 sièges sur 630, - 12) • Allaince90-Les Verts - tête de liste Katrin Göring-Eckhardt et Jürgen Trittin : 8,44% (63 sièges sur 630, - 5) • Parti libéral démocrate (FDP) - tête de liste Philipp Rösler : 4,76% (0 siège, -93) • Alternative pour l’Allemagne (AfD) - tête de liste : Bernd Lucke : 4,7% (0 siège sur 630) • Parti pirate allemand - tête de liste Bernd Schlômer : 2, 19% (0 siège) |