Marx écologiste : un livre salutaire
Note de Lecture
L’écosocialisme est à la mode et par les temps qui courent on n’ose presque plus se réclamer simplement du marxisme.
Il est de bon ton de « réconcilier marxisme et l’écologie », de rompre avec le « productivisme », comme si le productivisme n’était pas un des aspects du capitalisme, mais plutôt un pêché originel partagé aussi bien par les capitalistes que par les partisans de la planification socialiste. Dans ce concert de bons sentiments écologistes, le livre de John Bellamy Foster nous ramène aux textes marxistes (Marx, mais aussi Engels ou Lénine) et remet les idées en place.
La thèse de Foster
Contrairement à ce que prétendent certains, Marx et Engels ont toujours tenu compte de l’interaction entre l’homme et la nature. C’est même un élément fondamental du matérialisme dialectique. C’est le stalinisme qui a occulté ces analyses. Revenir à Marx permet donc de situer correctement l’écososialisme, dont Foster est un des principaux théoriciens, comme partie prenante du marxisme [1].
Les sources de la pensée marxiste
Le matérialisme dialectique a pour origine la philosophie matérialiste d’Épicure autant que la dialectique hégélienne. De cette pensée matérialiste Marx en a tiré une conception de l’humanité comme partie intégrante de la nature, qui elle-même est le résultat de modifications apportées par l’homme. Il s’oppose donc à la conception bourgeoise de deux entités distinctes. Pour Marx, l’homme ne peut dominer la nature qu’en s’adaptant à ses lois. Il développe donc le concept d’interaction métabolique. L’homme, comme les autres espèces animales rend à la terre, sous forme de déchets, les nutriments qu’il y a puisés pour sa consommation (ainsi que les corps sans vie des morts), qui contribuent ainsi à la reconstitution des sols. Deux ouvrages particulièrement importants développent ces aspects : le Livre III du Capital et la Dialectique de la nature d’Engels
L’analyse de la crise agricole : réconcilier la ville et la campagne
Vers le milieu du XIXè siècle, éclate une grave crise dans l’agriculture : le capitalisme a développé les villes ; pour nourrir ces masses de prolétaires qui s’y entassaient, l’agriculture est devenue de plus en plus intensive. Mais les déchets des villes ne sont pas rendus aux terres agricoles, mais déversés dans la mer ou les rivières. Les sols s’appauvrissent, en particulier en azote.
On importe alors massivement du guano du Pérou, mais les ressources s’épuisent vite. On fait main basse sur les champs de bataille des guerres napoléoniennes pour récupérer les ossements humains et enrichir les sols en azote. Mais les champs de bataille aussi s’épuisent. La crise durera jusqu’à la découverte des engrais azotés.
Ayant étudié le chimiste allemand Von Liebig, Marx parle alors de rupture métabolique provoquée par l’anarchie et la gabegie capitaliste. Le socialisme qu’il pense proche devra rompre radicalement et installer une gestion rationnelle des sols, réconcilier les villes et la campagne, et « rendre les matières empruntées au sol ». Le social-démocrate allemand K. Kautsky écrira en 1899 un important ouvrage sur la question agraire dans lequel il développe l’analyse de l’épuisement des sols.
La Révolution russe : Lénine et les conservationnistes
Lénine, prit part personnellement au développement de l’écologie en union soviétique. Il crée la 1re réserve naturelle en 1919, dans le sud de l’Oural. Il encourage les savants dit « conservationnistes » qui développent une pensée à rapprocher de la notion actuelle de soutenabilité, en particulière pendant la NEP (1921,1928). Pendant cette période, Boukharine développe la théorie de l’intégration de l’homme dans la biosphère. Mais Staline et Lyssenko éliminent physiquement ces savants, qu’ils déportent en Sibérie. On sait ce qu’il advint de Boukharine.
En occident aussi, la pensée marxiste, dominée par les penseurs soviétiques, est donc déformée et nombre de marxistes occidentaux affirment qu’il n’y a pas chez Marx de lien entre l’homme et la nature. Cet aveuglement perdure jusqu’à aujourd’hui.
La théorie de la seconde contradiction
Foster polémique contre certains éco socialistes comme l’américain James O’Connor souvent cité en France. Ces fervents partisans de la théorie de la « seconde contradiction » reprochent à Marx de l’avoir négligée.
Qu’est-ce que la seconde contradiction ?
À côté de la première contradiction (l’augmentation de la plus-value, et l’impossibilité de réaliser le profit, du fait des inégalités de revenu, ce qui entraine des crises de surproduction) ils définissent la deuxième comme provenant de l’épuisement des matières premières qui engendre une augmentation des coûts de production et donc une crise du profit.
De même que la première contradiction engendre la force matérielle capable de la dépasser, la classe ouvrière, la seconde engendre les mouvements sociaux, le mouvement écologiste par exemple. À l’époque actuelle de développement du capitalisme, c’est cette seconde contradiction qui est prépondérante selon eux, et partant la lutte des classes s’avère secondaire.
Foster reprend Marx qui, à juste titre ne reconnaît pas à la « deuxième contradiction » de rôle majeur dans les crises du capitalisme, qui s’en accommode très bien : quand il y a pénurie de pétrole il développe le nucléaire, puis les gaz de schiste ou les éoliennes. Le prétendu capitalisme vert en est un bon exemple de cette capacité du capital à vendre y compris « la corde qui le pendra ».
Marx, lui, insiste à juste titre sur la notion de rupture métabolique que le capitalisme dans sa folle anarchie impose entre l’homme et la nature. Par ailleurs le capital ne détruit pas seulement les conditions de production, il s’en prend aux conditions même de la vie qui sont sans rapport avec le procès de production capitaliste. Par exemple, la couche d’ozone.
Il appartiendra au socialisme de dépasser cette rupture par une organisation rationnelle et une planification maitrisée.
Le prolétariat doit prendre le pouvoir
Cette polémique peut paraître oiseuse au lecteur qui ne connait pas les contradicteurs de Foster mais elle est importante car elle se situe en fait en défense du marxisme contre ceux qui en dénaturent la pensée : il est particulièrement important de réaffirmer qu’il ne peut y avoir de solution à la destruction de l’environnement sans l’expropriation des capitalistes et la socialisation de la production.
Et que la seule force capable d’en finir avec ce mode de production, que l’agonie où il est entré rend de plus en plus destructeur, c’est le prolétariat. Et c’est le prolétariat qui mettra fin aux crises de surproduction capitaliste et pourra instaurer un système rationnel qui rétablisse le lien métabolique entre l’homme et la nature. Il lui faut pour cela prendre le pouvoir.
Un livre donc à lire et à utiliser dans les discussions politiques avec les « décroissants » et plus largement tous ceux qui renvoient dos à dos capitalisme et socialisme dans leur prétendu commun dédain pour l’écologie. En rétablissant des vérités théoriques, et historiques, Foster rend à Marx toute sa place dans la pensée écologique et au révisionnisme stalinien l’entière paternité du « productivisme socialiste ».
Un seul regret. Foster fait totalement l’impasse sur l’opposition de gauche et le mouvement trotskyste qui n’a jamais rompu la continuité de la pensée marxiste et donc a toujours intégré les questions d’environnement, pas encore baptisées « écologie » à ses développements théoriques.
Note de Lecture de : John Bellamy Foster, Marx écologiste, Éditions Amsterdam