Edito Face au gouvernement : quelle alternative ? Une VIe République ? Ou un autre gouvernement ?
Depuis un an, le gouvernement désigné par Hollande a fait ses preuves : c’est un gouvernement au service de la bourgeoise. Il suffit d’indiquer deux mesures emblématiques : les 20 milliards de crédit d’impôt pour les patrons, et la loi ANI développant la flexibilité et la précarité dans l’emploi.
Ainsi Hollande met-il en œuvre, dans ses grandes lignes, le programme qu’il avait annoncé. Or ce n’est pas pour ce programme, mais pour en finir avec la politique de Sarkozy, que les travailleurs ont chassé Sarkozy et élu une majorité PS (et Front de gauche) à l’Assemblée nationale.
Depuis la formation du gouvernement Hollande-Ayrault, soutenu par les élus du PS, d’Europe Écologie et de Radicaux (groupe bourgeois dit « de gauche »), le PCF apporte un « soutien critique » au gouvernement. S’il a voté « contre » un certain nombre de lois, ce fut après avoir présenté moult amendements, jamais en appelant à la mobilisation contre un projet jugé inacceptable. Dans d’autres cas, il s’est abstenu, ou bien a voté franchement « pour ».
Ainsi a-t-il voté « pour » les emplois d’avenir, dispositif qui accroît la précarité ; et soutenu la loi Peillon qui disloque davantage l’enseignement public : après s’être d’abord abstenu à l’Assemblée, le PCF a voté en bloc, le 25 mai au Sénat, « pour » cette loi réactionnaire. Ce fut là un appui décisif qui a permis au gouvernement d’avoir une majorité au Sénat. Puis les députés du PCF-Front de gauche ont voté « pour » en deuxième lecture. De fait, ce soutien à l’un des plus importants projets gouvernementaux vaut intégration du PCF au dispositif gouvernemental.
En l’occurrence, quoiqu’il en dise, le PCF, avec son Front de gauche, ne fait pas seulement partie de « la majorité parlementaire » élue en 2012 (comme il se plait à l’expliquer), mais aussi de la « majorité gouvernementale » qu’il dénigre à l’occasion. Cela est fait sans que le PCF intègre formellement le gouvernement.
À plusieurs reprises depuis un an, les travailleurs ont exprimé leur refus de cette politique. Ils l’ont fait à Florange en exigeant la nationalisation des hauts fourneaux, ils l’ont fait à Pétroplus en exigeant la nationalisation de la raffinerie, ils l’ont fait à Peugeot, par la grève et les manifestations, ils l’ont fait dans l’enseignement par la grève contre le décret de réforme des rythmes scolaires.
À chaque fois, les dispositifs de concertation et de dialogue social, le refus des directions syndicales d’un combat frontal contre le gouvernement ont entravé la mobilisation des salariés. Faut-il rappeler que, jusque fin novembre, toutes les directions syndicales ainsi que le PS, le PCF et le PG ont refusé de répondre à la demande des ouvriers de Florange, formulée dès le mois de juin, de nationalisation du site sidérurgique ?
Mais, au PS comme au PCF et dans les instances syndicales, beaucoup redoutent que ce dialogue social ne suffise pas, et qu’éclatent des mouvements spontanés de travailleurs contre la politique du gouvernement. De ce point de vue, le vote « pour » la loi Peillon a aussi une fonction préventive, qui vise à rendre beaucoup plus difficile les réactions des enseignants quand ils découvriront, avec les décrets d’application, la réalité de la loi Peillon.
Cette politique a provoqué quelques résistances parmi les parlementaires, ceux du Front de gauche, mais aussi du PS (ainsi que des Verts). Ainsi, le 28 mai, les élus PCF et les élus écologiques ont-ils voté contre la loi Fioraso qui conforte la loi Pécresse d’autonomie des universités, la LRU de 2007. La raison la plus évidente de ce vote contre est que personne n’a oublié les deux immenses mobilisations (automne 2007 et printemps 2009) contre la LRU. Au point que, à l’université, l’intersyndicale a dû réaffirmer son exigence de retrait de la LRU.
De même, plusieurs dizaines de députés du PS, avec ceux du PCF, ont refusé de voter la loi transcrivant l’ANI, loi anti ouvrière issue des négociations des directions syndicales avec le MEDEF.
Et lorsque le Front de gauche a proposé au Sénat une loi d’amnistie - au demeurant limitée - en faveur des salariés condamnés pour leur combat durant les années Sarkozy, les sénateurs du PS, après l’avoir édulcorée, ont voté ce projet, en dépit des réticences gouvernementales. Il restait à la voter à l’Assemblée.
Mais sur injonction du MEDEF, le gouvernement a exigé que l’Assemblée nationale ne discute pas de ce projet. Car un tel vote des députés du PS et du PCF aurait constitué un précédent inacceptable.
On voit donc comment une ligne de rupture peut s’esquisser entre la majorité parlementaire et le gouvernement.
D’un côté, le gouvernement Hollande-Ayrault, aux ordres du patronat, et de l’autre une majorité parlementaire (le PS et le Front de gauche), elle aussi soumise au patronat, mais qui a des comptes à rendre aux salariés qui l’ont élue.
Il ne s’agit en aucun cas de mythifier ces députés et sénateurs du PS et du PCF. Il ne s’agit pas non plus de « faire pression » sur cette majorité. Mais de montrer qu’il y a une faille dans le dispositif gouvernemental, qu’il est possible d’opposer ces élus à la politique décidée par le gouvernement.
N’est il donc pas possible, pour enfoncer un coin dans cette faille, de combattre pour imposer, par les grèves et manifestations, à cette majorité PS et PCF qu’elle cesse d’obéir à ce gouvernement et au MEDEF, et qu’elle rejette les lois réactionnaires en cours de vote ou en préparation ?
C’est dans cette situation que Mélenchon se déclare prêt à être Premier ministre... si Hollande le lui propose ! Idée saugrenue : pourquoi Hollande irait-il s’encombrer de Mélenchon ? Et comment Mélenchon, qui se dit l’ennemi de la Vè République, peut il rêver d’être « choisi » par le Président ? N’est-ce pas conforter le pouvoir présidentiel, typique du bonapartisme de la Vè République ?
Et puis, pour gouverner avec quelle majorité ? Mélenchon répond : avec le Front de gauche et la gauche du PS, soit, à l’étape actuelle 30 ou 40 députés. Ce n’est pas sérieux.
Par contre, ce « rêve » de Mélenchon a le mérite d’illustrer l’actuelle situation politique : effectivement, il faut un autre gouvernement, et sans attendre de prochaines élections. Mais si Mélenchon prétendait vraiment former un autre gouvernement, il devrait non pas rêver d’être « reconnu » par Hollande, mais devrait en appeler à la mobilisation en direction des députés du PS et du PCF : pour exiger d’eux : Cessez de voter ces loi réactionnaires ! Démissionnez ce gouvernement ! Formez un autre gouvernement qui, par exemple, expropriera la sidérurgie ou abrogera l’ANI. C’est possible puisqu’une telle majorité s’est constituée au Sénat pour voter la loi d’amnistie.
Il s’agit ainsi d’ouvrir une issue à la mobilisation, faute de quoi les travailleurs restent entravés, condamnés à accepter l’actuel gouvernement par crainte du retour de Sarkozy ou de ses amis.
Or, à cette question du pouvoir qui se pose de plus en plus, Mélenchon répond : « Sixième République ! ». Et il a convoqué une manifestation le 5 mai à cette fin. Celle-ci regroupa plusieurs dizaines de milliers de manifestants, ce qui atteste d’une disponibilité au combat politique, d’une recherche d’une issue politique. Mais en quoi la VIè République serait-elle une issue ?
Passons sur le fait que cette République préserverait la fonction présidentielle. Et notons que, comme l’actuelle, elle protègerait le système capitaliste puisque le programme du PG, comme celui du PCF, exclut toute nationalisation sans indemnité. Tout au plus envisage-t-il la nationalisation de quelques banques et entreprises, avec indemnisation des actionnaires.
Mais, en outre, pour aboutir à cette VIè République, si l’on en croit le Parti de Gauche (cf. À Gauche du 26/4/2013), il faudrait d’abord « un Président du Front de gauche », lequel devrait « recourir à l’article 11 » de la Constitution actuelle « pour demander au peuple d’approuver par référendum » la convocation d’une Assemblée constituante. Ainsi cette VIè République serait la fille respectueuse de la Vè République !
Ensuite, il y aurait l’élection d’une Assemblée constituante. Puis, « s’ouvrira un gigantesque débat public » grâce auquel « l’Assemblée constituante (…) votera un projet de constitution ». Et ce n’est pas fini ! Il faudra ensuite que le peuple approuve « par référendum » ce projet de constitution. Puis il faudra de nouvelles élections pour un nouveau gouvernement… Mais combien de centaines de milliers de travailleurs supplémentaires seraient licenciés durant cet infernal processus électoral ? Et combien de centaines de milliards d’euros seraient transférés à l’étranger par la bourgeoise ?
Et cela, alors que les travailleurs attendent des mesures claires et immédiates, comme l’interdiction de tous les licenciements, ou la régularisation de tous les sans papiers !
Si Mélenchon croyait vraiment qu’une nouvelle république est nécessaire, il y aurait une autre mesure à prendre, infiniment plus rapide et efficace : mobiliser les travailleurs en expliquant « il y a une majorité à l’Assemblée qui a été élue pour faire une autre politique. Les travailleurs sont en droit d’exiger que cette majorité PS et PCF chasse ce gouvernement », ce qui serait l’acte de décès de la Vè République, « et adopte immédiatement des mesures d’urgences comme la nationalisation (sans indemnité) de toutes les banques et l’interdiction de licenciements ».
Ce n’est pas constitutionnel ? La belle affaire ! Dans l’Histoire, toute nouvelle constitution est une rupture brutale, issue d’une situation révolutionnaire ou imposée par la contre révolution.
Si on veut en finir avec la Vè République, on commence donc par faire appel à la mobilisation des travailleurs. Une gigantesque manifestation à l’Assemblée nationale (et non place de la Nation, comme le 5 mai) n’y suffirait pas ? C’est vraisemblable. Mais la voie de la Grève générale fait partie des chemins que le prolétariat de ce pays a déjà empruntés.
Le combat pour la rupture avec le capital implique en même temps le combat pour que les directions syndicales cessent de soutenir le gouvernement. Ce combat est d’autant plus nécessaire que toutes les contre-réformes du gouvernement ont été précédées d’un long dialogue social, revendiqué par Hollande et le MEDEF. L’ANI, la loi Peillon, la loi Fioraso, ont été préparées par de telles discussions. Ensuite, l’Assemblée ne fait guère que ratifier le résultat de ce dialogue, même si certains votent contre. Et c’est ce qui va se passer avec la nouvelle conférence sociale destinée à préparer de nouvelles mesures contre les acquis des travailleurs, les retraites en particulier.
Bien évidemment, imposer une telle rupture impliquera d’immenses mobilisations. Mais l’explosion politique qui vient d’avoir lieu en Turquie montre une fois encore que le mouvement spontané peut jaillir à tout moment, et poser d’emblée, à partir d’une revendication particulière, la question du gouvernement.
Ce sont de telles mobilisations spontanées de cette ampleur qu’il convient de préparer. Et le combat pour mettre fin au dialogue social, et en finir avec la politique du gouvernement, avec le gouvernement lui même, s’inscrit dans cette perspective.