Les véritables enjeux de la guerre de Sécession
Les États-Unis acquirent, de haute lutte, leur indépendance en 1783. Mais cette indépendance valait pour les colons qui se libéraient des Anglais, et non pour les indiens, ni les esclaves d’origine africaine. De fait, durant plus de 60 ans, l’esclavagisme se maintient et se renforce dans les États du Sud dont l’économie est fondée sur l’exploitation des esclaves et l’exportation des productions agricoles.
Cette situation entre alors en contradiction avec le développement industriel du Nord, qui a besoin de salariés. Les litiges se multiplient, en particulier à propos des esclaves en fuite vers le Nord.
La question est explosive avec la création de nouveaux États à l’Ouest. Les esclavagistes veulent y étendre leur emprise, tandis que la bourgeoisie du Nord veut installer des « fermiers libres ».
Les esclavagistes sont représentés par les Démocrates tandis que le Parti républicain défend la bourgeoisie industrielle, et choisit Lincoln comme candidat. L’élection de celui-ci en novembre 1859 conduit les États du Sud à la sécession, décision intolérable pour la bourgeoisie du Nord.
Mais durant sa première phase, la guerre, ouverte en avril 1861, est menée par Lincoln dans le respect de la Constitution. Il combat d’abord contre la sécession, non pour mettre fin à l’esclavage. La guerre s’enlise, avec d’immenses pertes humaines. Et Lincoln recherche le compromis, ne proposant que des mesures partielles ou graduelles. Ainsi, la loi du 16 avril 1862 abolit l’esclavage dans la capitale fédérale et son État, mais en indemnisant les anciens propriétaires d’esclaves.
Le 30 juillet 1862, Engels s’inquiète auprès de Marx : « si le Nord ne prend pas tout de suite une orientation révolutionnaire, il va recevoir une raclée sans précédent ». Ce qu’entend Engels par « orientation révolutionnaire », c’est la décision de mettre fin à l’esclavage, sans délais, et sans indemnisation des propriétaires, ce qui constitue une mesure révolutionnaire bourgeoise.
Marx est plus optimiste : « À mon avis tout cela prendra un autre tour. Le Nord va se décider à faire sérieusement la guerre, va recourir à des moyens révolutionnaires (…) des guerres de ce genre doivent se mener de manière révolutionnaire alors que, jusqu’ici, les Yankees ont essayé de la mener selon des méthodes constitutionnelles ».
Dans un article début août, Engels et Marx prennent en compte les mesures partielles adoptées, ainsi que la populaire loi sur la terre, le homestead bill du 20 mai 1862, qui organise la distribution de terres aux colons. Et concluent : « Nous n’avons assisté jusqu’ici qu’au premier acte de la guerre civile : la conduite constitutionnelle de la guerre. Le second acte, révolutionnaire, est imminent ».
Une orientation révolutionnaire
Le pronostic se réalise. Le 22 septembre, Lincoln signe la Proclamation décrétant l’émancipation des esclaves dans les États sécessionnistes à compter du 1er janvier 1863. C’est la mesure révolutionnaire attendue. Le cours de la guerre en est bouleversé, au profit du Nord.
Pourtant, ce n’est pas une mesure d’abolition générale. Elle ne concerne que les esclaves des États qui persistent dans la Sécession. Elle ignore les 20% d’esclaves qui se trouvent dans les États esclavagistes qui sont restés dans l’Union avec le Nord. Mais la force de cette proclamation vient du fait qu’elle est une mesure de guerre rompant avec la constitution, qui pousse les esclaves à déserter en masses, et les Noirs à s’engager dans l’armée.
En novembre 1864, Lincoln est réélu. La Première Internationale qui vient d’être créée félicite « le peuple américain » pour cette réélection gagnée, selon elle, au cri de guerre « mort à l’esclavage ».
Certes, le XIIIè amendement à la constitution ne sera ratifié que le 18 janvier 1865. Mais c’est là une bataille constitutionnelle. Et l’essentiel a été joué à l’automne 1862. La Constitution ne peut qu’intégrer, tôt ou tard, ce qui s’est tranché par la guerre et la mobilisation des Noirs : l’esclavage est ainsi aboli. Mais ni la question du droit de vote pour les anciens esclaves, ni celle de leur droit à la terre ne sont réglées. Le combat de Noirs pour leurs droits élémentaires était loin d’être fini.