Enseignement, Université, Recherche
Le projet sur le Supérieur : une LRU-2 qui accroît l’autonomie et la soumission aux entreprises
Le projet de loi de 79 pages présenté au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) des 18-19 et 25 février 2013 modifie le code de l’éducation et le code de la recherche. Il est accompagné d’un « exposé des motifs » de 26 pages qui, après avoir précisé, sur 12 pages les objectifs du Président de la République et du gouvernement, commente chacun des 70 articles du projet rassemblés en six titres.
Dans la lettre qu’elle a adressée, le 13 février, aux membres du CNESER, Geneviève Fioraso énonce les objectifs : réorienter résolument les études vers « l’insertion professionnelle », et réorganiser les établissements afin de « stimuler la contribution des acteurs scientifiques à la croissance et à la compétitivité ». Telles étaient d’ailleurs, dès le départ, les orientations données par le gouvernement au comité de pilotage des assises, les mêmes que celles affirmées dans le programme du PS. Quant au programme du Front de gauche (PCF-PG), s’il prévoit l’abrogation de la LRU et du Pacte de recherche, il annonce aussi le maintien de la décentralisation, l’autonomie des collectivités territoriales. Et l’inscription dans la constitution de la « démocratie participative », c’est à dire de l’institutionnalisation de la cogestion.
Les missions de l’ESR seraient redéfinies. Elle devrait contribuer « à la compétitivité de l’économie nationale et à la réalisation d’une politique de l’emploi prenant en compte les besoins des secteurs économiques et leur évolution prévisible » ainsi qu’à « l’attractivité du territoire national » (article 4). La « formation tout au long de la vie » (FTLV) doit remplacer « la formation initiale et continue » ; les résultats de la recherche doivent être « transférés » aux entreprises (art.5) [1]. C’est ce qui doit définir toutes les formations du Supérieur et leurs contenus.
Comment ? En imposant une « continuité » entre les activités de formation, de recherche et d’innovation et de transfert des résultats de la recherche vers les entreprises (art.7).
Cela explique que le gouvernement veuille une co-tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) sur toutes les formations : sur les BTS, les CPGE qui relèvent du ministère de l’Éducation nationale, sur la formation des médecins et des métiers de la santé qui relève du ministère de la santé, sur nombre d’écoles d’ingénieurs qui relèvent des ministères de l’agriculture de l’industrie/redressement productif…
La « co-tutelle » fait peur, dit Fioraso : « Nous avons donc décidé de changer de formulation pour pouvoir aboutir ». Le projet de loi dit que le MESR « coordonne », mais le contenu reste le même.
Les contrats pluriannuels passés entre l’État et les établissements de l’enseignement supérieur ou avec les établissements publics de recherche seront soumis à une stratégie nationale de recherche. Cette stratégie sera élaborée sous la direction du ministère après concertation avec le monde économique et les régions (art.11). La totalité des enseignements et de la recherche doivent être, en permanence, au service des entreprises : « performance », « croissance de la compétitivité », « redressement du pays »… reviennent en leit motiv.
La « priorité donnée à la jeunesse » du candidat Hollande ne pouvait faire illusion [2]. Le contenu en est à nouveau affirmé dans l’exposé des motifs du projet Fioraso : « enseignants, chercheurs, étudiants » ont une « mission commune au service du redressement national ». Le projet de loi qui, pour la première fois, lie « l’enseignement supérieur à la recherche » veut modifier le code de l’éducation en ce sens.
Il s’agit, pour assurer la défense du capital français de faire baisser la valeur de la force de travail [3]. Et, comme au Québec, en Grande-Bretagne et au Chili, cela s’accompagnera de l’élévation considérable des frais d’inscription.
La fusion du « conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie » avec « le conseil national de l’emploi » en « un conseil national de l’emploi, de l’orientation et de la formation professionnelle » annonce l’étroite soumission de toutes les formations (initiale et professionnelle) aux besoins du patronat. Tout l’enseignement supérieur doit s’y soumettre.
La stratégie nationale de l’enseignement supérieur « est élaborée et révisée périodiquement sous la responsabilité du ministre chargé de l’enseignement supérieur. Les priorités en sont arrêtées après une concertation étroite avec les partenaires sociaux et économiques, la communauté scientifique et d’enseignement supérieur, les autres ministères concernés et les collectivités territoriales » (art. 3 du projet Fioraso).
Décentralisation et projet de loi sur l’Enseignement supérieur et la recherche sont coordonnés. Le projet de loi de décentralisation modifierait aussi le code du travail et le code de l’éducation. Dans le cadre des orientations du plan national, la région définirait un schéma régional de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’innovation (art.25 du projet de décentralisation). Ce sont donc les entreprises et les régions qui, dans le cadre de la concertation avec l’État, imposeraient la carte des formations et son évolution selon leurs besoins.
Toutes les formations du Supérieur doivent être « professionnalisées » au détriment des savoirs disciplinaires et des formations généralistes aptes à développer un esprit critique.
Pour cela, université, STS, IUT, CPGE seront soumises au ministre de l’ESR chargé de coordonner toutes les formations « post secondaire » : « chaque lycée disposant d’au moins une classe préparatoire aux grandes écoles ou d’une section de techniciens supérieurs, conclut une convention avec un ou plusieurs établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel de son choix afin de prévoir les modalités selon lesquelles sont établis des rapprochements dans les domaines pédagogiques et de la recherche et sont facilités les parcours de formation des élèves » (art.18).
Le projet Fioraso se situe dans la continuité de la LRU, l’enseignement supérieur doit fonctionner comme une entreprise : non seulement l’autonomie budgétaire et de gestion des ressources humaines est totalement maintenue (responsabilité et compétences élargies, RCE), mais les processus d’autonomie accentués (transferts d’immobiliers aux régions, etc) accompagneront le désengagement de l’État. L’annonce de nouvelles « économies » de 250 millions d’euros sur le budget 2013 va dans ce sens : l’université, la recherche doivent fonctionner comme une entreprise.
Pour la jeunesse, c’est la mise en cause du droit aux études de son choix au profit des seules formations « utiles »… au patronat.
Le LMD est totalement maintenu. Mis en place par les décrets de 2002 (précisés par l’arrêté Pécresse de 2011 et l’élaboration, en 2012, des référentiels de compétences licence), le LMD a introduit la professionnalisation des études. Il a mis un terme au cadrage national des diplômes (cadrage défini en termes de programmes et d’horaires nationaux). Le titre III du projet de loi qui traite des formations de l’enseignement supérieur s’inscrit dans cette continuité.
La mise en ligne d’une partie des enseignements est, selon la ministre, l’un des « enjeux pédagogiques » de la réussite de tous les étudiants. Il s’agit de généraliser les cours en ligne, comme en médecine à Grenoble (520 heures d’enseignement multimédia sous forme de DVD en 1ère année et du tutorat assuré par des étudiants de 3ème année). Au nom de la « démocratisation », finis les amphis bourrés… Et de belles et nouvelles économies de postes d’enseignants sont ainsi annoncées.
L’extension de la professionnalisation est le deuxième aspect de ces « enjeux pédagogiques ». Toutes les formations doivent être conçues en vue de « l’insertion professionnelle ». C’est la négation, pour un jeune, du droit aux études disciplinaires de son choix. Chaque étudiant est prié de « constituer un projet personnel et professionnel sur la base d’une spécialisation progressive des études ». La loi prévoit une continuité entre le second cycle du second degré et le premier cycle de l’enseignement supérieur. Le contenu de ce continuum « bac - 3 » / « bac + 3 », c’est la « pluridisciplinarité » de la licence avec une spécialisation en L3. Le sens de cette « pluridisciplinarité » est donné par les référentiels nationaux de compétences en licence qui redéfinissent les formations en « compétences transférables », « compétences préprofessionnelles » et « compétences disciplinaires ». Les contenus disciplinaires de ces nouvelles licences sont réduits au profit de savoirs pédagogiques transposables en « savoir faire » mobilisables dans l’entreprise. Exemple : si la compétence « savoir faire une synthèse » est mobilisable au service de l’entreprise, peu importe la réelle maîtrise des contenus disciplinaires sur un sujet donné en histoire, en biologie… Et avec cette dissolution des disciplines dans un magma pluridisciplinaire, on peut faire appel à des enseignants sans obligation de recherche, ce qui permet des économies budgétaires.
Le développement de l’alternance deviendrait une modalité à part entière de la formation. L’objectif est de doubler le nombre d’étudiants en apprentissage dans le Supérieur. Dans le même temps, le gouvernement prépare un nouveau texte de loi sur l’apprentissage et la formation professionnelle et les Chambres de commerce et d’industrie réclament que l’apprentissage « soit aidé à tous les niveaux, du bac + 2 à l’enseignement supérieur. » [4]
Il faut « qualifier tout au long de la vie », dit l’exposé des motifs : durant toute sa vie, le jeune, puis le salarié est prié d’acquérir les compétences nécessaires à… son employabilité, c’est à dire à la performance des entreprises. C’est la négation des diplômes à valeur nationale et des qualifications collectives (conventions et statuts).
La formation continue réalisée par l’université doit se développer. La recherche de financements privés incitera les établissements à développer ces « formations » et accroitra leur soumission aux entreprises.
Depuis le LMD, la procédure d’habilitation permet, tous les quatre ans, à chaque université de faire reconnaître par l’État un diplôme. Toute licence se définit par un domaine (exemple : Sciences, Technologies, Santé), une mention (exemple : Physique) et une spécialité (exemple : Sciences de la Matière) [5]. À partir de chaque maquette présentée par une université, le CNESER habilite un diplôme sur la base de sa spécialité (dans le cadre d’une mention et d’un domaine). Cela a conduit à plus de 8000 intitulés de licences et de masters avec de fortes différences pour une même mention (les contenus d’une mention « psychologie » peuvent être très différents et les horaires varier du simple au double).
Mais les propositions du projet de loi Fioraso (comme celles du comité de suivi de la licence de janvier 2013) ne rétablissent en rien le cadre national des diplômes. Elles aménagent, voire approfondissent le processus engagé en 2002 (LMD). Une nomenclature nationale des licences sur la base des mentions serait imposée ; le nombre des mentions serait réduit (le rapport du comité de suivi de la licence propose une liste de 42 mentions générales). Si le diplôme n’est plus défini sur la base de la spécialité mais sur la base de la mention, la diversité des contenus des diplômes va être considérablement accrue. C’est ce qu’introduit le remplacement de la procédure d’habilitation nationale des diplômes par une procédure d’accréditation de l’offre de formation d’un établissement.
La procédure d’accréditation concernera chaque établissement qui passera un contrat avec l’État. L’établissement « accrédité » pourra alors délivrer, pour la durée du contrat pluriannuel, une offre de formation et des diplômes nationaux sanctionnant ces formations. Cette accréditation sera soumise d’une part au respect des axes stratégiques du contrat passé entre l’université et l’État et d’autre part aux spécificités et moyens financiers de chaque université. Les diplômes dits nationaux seront ainsi référencés à des mentions nationales, mais les parcours des étudiants seront individualisés et soumis aux exigences locales. Les contenus et les heures effectuées - selon la « spécialisation progressive » de chaque étudiant - seront listés dans le supplément au diplôme. C’est un nouveau pas considérable dans l’individualisation des diplômes.
Dans le cadre des concertations sur le projet de loi Fioraso, le 20 février, la direction de l’UNEF (et celle de la FAGE) annonce qu’elle aurait obtenu des engagements sur « un véritable cadrage national des contenus (disciplines et nombre d’heures) et des intitulés de diplômes ». Notons que l’UNEF a déjà fait des annonces de ce type en 2007, lors de la LRU. Qu’en est-il ? Selon le texte issu du CNESER (25 février), le code de l’éducation serait ainsi précisé :
« L’accréditation, par son contenu et ses modalités, prend obligatoirement en compte la qualité pédagogique, les objectifs d’insertion professionnelle et la nécessité d’un lien entre les équipes pédagogiques et les représentants des professions concernées par la formation » « Le cadre national des formations comprend la liste des mentions des diplômes nationaux regroupés par grands domaines ainsi que les règles relatives à l’organisation des formations. »
Rien n’est donc rétabli en termes de contenus disciplinaires, de programmes et d’horaires nationaux. L’arrêté qui fixera les règles relatives à l’organisation des formations imposera-t-il des contenus disciplinaires et des horaires nationaux ? Comment le pourrait-il puisque ce « cadrage » national porte sur une liste de mentions (donc de grands ensembles de formations) et non sur les spécialités ?
Pire, cette nomenclature nationale des mentions s’inscrit totalement dans le cadre des référentiels nationaux de compétences, liés au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP). Elle ne met pas ces nouveaux diplômes en relation avec les conventions collectives. Or, le RNCP est un outil de la gestion des ressources humaines et de la mobilité professionnelle qui se substitue au système de qualifications collectives. Les « objectifs d’insertion professionnelle » pris en compte pour l’accréditation facilitent la « gestion des ressources humaines ». Ils donnent la possibilité à l’université de faire évoluer très rapidement le contenu des formations selon les besoins économiques du moment, selon les moyens de l’université…
« La mention doit être définie en s’appuyant sur des dénominations compréhensibles pas les lycéens et les étudiants et s’appuyant sur de grands champs disciplinaires. Il semble raisonnable de prévoir une quarantaine de telles dénominations. Ensuite, il reviendrait à chaque université de décider d’ouvrir tel ou tel parcours ou telle option en fonction de ses spécificités et de ses moyens financiers. Ces parcours ou options étant précisés dans le supplément au diplôme, délivré à tout diplômé, et dans la fiche RNCP (répertoire national des certifications professionnelles) et qui constituent de ce fait un enjeu majeur pour la lisibilité de l’architecture des formations et la possibilité d’une insertion professionnelle à ce niveau.
Une licence pourrait être réputée être de mention « D » si au moins 90 crédits, sur les 180 crédits nécessaires à l’obtention du diplôme, relèvent de la discipline « D ».
Ainsi, 50 % du diplôme pourrait n’avoir rien à voir avec la mention pédagogique du diplôme. Cela n’empêcherait pas ce diplôme d’être reconnu dans cette nomenclature.
Alors, n’y a-t-il pas un lien entre la participation active de l’UNEF à ce comité de suivi de la licence et le fait qu’elle puisse être rassurée par de telles règles ?
Pour l’UNEF, l’important, c’est la promesse de Fioraso de « revaloriser la démocratie étudiante » avec « un conseil pédagogique (actuel CEVU) dont le nom n’est pas encore arrêté mais composé à 40% d’élus étudiants [qui pourra] décider des modalités d’examen et de contrôler les maquettes de chaque diplôme ». Un nouvel espace de cogestion pour cautionner la dislocation du cadre national.
La loi prévoit le regroupement des établissements d’enseignement supérieur, voire privés et des organismes de recherche en une trentaine d’établissements publics d’État :
« Article L.719-10 : Sur un territoire donné, qui peut être académique ou inter académique, dans le cadre d’un projet partagé, les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du ministère chargé de l’enseignement supérieur et les organismes de recherche partenaires coordonnent leur offre de formation et leur stratégie de recherche et de transfert. Les établissements d’enseignement supérieur relevant d’autres autorités de tutelle peuvent s’y associer. À cette fin, les regroupements mentionnés à l’article L.719-11 mettent en œuvre les compétences transférées par leurs membres ».
Un contrat de site sera alors conclu « entre le ministre chargé de l’enseignement supérieur et les établissements » (regroupés ou non) d’un même territoire (Article L.719-11-1). Les moyens et crédits en emplois attribués par l’État seront partagés entre les établissements. Et la mise en œuvre de l’agenda stratégique national se fera par « l’intermédiaire des contrats pluriannuels conclus avec les organismes de recherche et les établissements d’enseignement supérieur » (art 11).
Ce contrat sera complété par des contrats d’objectifs avec les collectivités territoriales ; ils prendront « en compte les orientations fixées par les schémas régionaux » (L.711-1). Or, la loi de décentralisation affirme « le rôle des régions en matière de formation en redéfinissant le périmètre et la portée du plan régional de développement des formations supérieures prévu pour l’élargir à l’ensemble des formations » (art. 25 du projet de loi de décentralisation). L’offre de formation des établissements sera donc de plus en plus liée au plan régional (lequel sera établi en relation avec les besoins des entreprises du territoire et leur évolution).
Par conséquent pour obtenir une accréditation un établissement devra présenter une offre de formation qui tienne compte à la fois des axes stratégiques du contrat pluriannuel et de la cohérence avec besoins locaux. Il pourra donc être contraint, par les impératifs budgétaires, à des choix de formations dans certains domaines jugés « compétitifs » (au détriment d’autres formations). Et il sera contraint par le plan régional à adapter ses formations au bassin d’emploi. L’évaluation à postériori (lors du renouvellement de l’accréditation) permettra de voir si ses engagements ont été tenus.
L’autonomie budgétaire de la LRU (RCE) sera renforcée. S’y ajoutera l’autonomie de l’offre de formation. C’est la régionalisation de tout le système d’enseignement et l’individualisation totale des diplômes que va organiser cette LRU-2. Les contrats d’objectifs et de moyens (COM) accompagneront la mutualisation des moyens (secrétariats, etc) et le désengagement de l’État.
Un agenda stratégique de la recherche - harmonisé avec celui du programme européen Horizon 2020 - sera inscrit dans la loi.
Cette stratégie sera coordonnée par un Conseil stratégique de la recherche (fusionnant le CNESER et le Haut conseil de la science et de la technologie). Ce conseil, présidé par le Premier ministre, proposera les grandes orientations stratégiques nationales de recherche et participera à leur mise en œuvre et à leur évaluation.
Dans ce but, l’AERS sera remplacée par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (26 membres dont 9 personnalités extérieures).
« Un agenda stratégique de la recherche, inscrit dans la loi, en définit les priorités. Il sera harmonisé avec celui du programme européen Horizon 2020 qui cible dans cette période :
– la santé, le changement démographique et le bien-être
– la sécurité alimentaire et la bio-économie
– une énergie propre, sûre et efficace
– la mobilité et les systèmes urbains durables
– la gestion sobre des ressources et le changement climatique
– des sociétés innovantes, intégrantes et adaptatives
– la sécurité en Europe
– ainsi que les thèmes transversaux comme les sciences humaines et sociales et le numérique
– et les technologies associées (biotechnologies, micro et nanoélectronique, matériaux…).
Le contenu de l’agenda fera l’objet d’un échange préalable approfondi avec l’ensemble des parties concernées : scientifiques, institutionnelles, économiques ».
(Exposé des motifs du projet de loi Fioraso).
Certains aspects ne seront pas dans la loi (cela évitera qu’elle soit retoquée). Or, on veut créer un nouveau livre dans le code de la recherche. La loi autorisera le gouvernement à procéder par ordonnance. Ce livre V « relatif à l’exercice des activités de transfert pour la création de valeur économique » accroitra la pression pour imposer aux établissements une recherche au service immédiat des entreprises.
Toute la recherche publique sera orientée sur des sujets pouvant intéresser les entreprises, générer des brevets. C’est ce qui se passe dans nombre d’États. Ainsi, au Canada, l’université valorise la commercialisation des résultats des recherches financées par l’État ; elle participe à la création d’entreprises bénéficiant des innovations issues de la recherche : « L’attribution des financements selon les résultats est une redoutable incitation au développement du système. Au Canada, il existe même un palmarès des universités qui obtiennent le plus de subventions ; les lauréates sont qualifiées d’université de recherche » [5b]. Et aux États-Unis, c’est la réputation de l’université qui détermine le montant plus ou moins élevé des frais d’inscriptions ainsi que la valeur des diplômes qu’elle délivre.
Sous couvert de coopération, les regroupements d’établissements sur une base académique (ou inter-académique) en « communautés » créeront des mastodontes de 60 000 à 70 000 étudiants.
Les PRES seront remplacée par des communautés scientifiques dirigées par un président d’université élu par le CA avec la participation des représentants extérieurs (on réintroduit ici, ce que la mobilisation contre la LRU avait écarté). Le CA comportera de 24 à 34 membres et c’est le recteur qui nommera les personnalités extérieures (lesquelles pourront être choisies selon leur accord avec les projets stratégiques gouvernementaux). 30% seront des personnalités extérieures, « parce que nous pensons que les sites doivent être davantage ouverts sur leurs écosystèmes » (Fioraso).
Le nouveau conseil académique résultant de la fusion entre le CEVU et le CS pourra comporter jusqu’à 20% de personnalités extérieures (art 28). Ce conseil décidera de la politique de formation et de recherche de l’université, embauchera et gèrera son personnel. On ne parle pas de « Sénat académique », car « ce n’est pas notre culture », dit Fioraso. Mais sa mission sera « plus que consultative ».
Ces dispositifs de pilotage managérial donneront plus d’ampleur aux stratégies de site : « Tous les établissements, quel que soit leur statut préexistant, auront intérêt à avoir une réflexion stratégique commune. » [6] C’est ce que l’on veut, dit Fioraso Ces regroupements ne s’appelleront pas « communautés » mais universités, précise-t-elle. Le terme de « communauté » indique simplement qu’ainsi seront mutualisées nombre de missions.
Un tel dispositif donnerait les moyens aux patrons d’imposer leurs choix : sur les formations, les recherche, les stages, l’alternance, y compris sur les diplômes définis localement par les établissements accrédités.
« Depuis la loi Faure de 1968, en passant par la loi Savary de 1984, les différentes lois sur l’enseignement supérieur et la recherche ont renforcé cette belle notion qu’est l’autonomie, il faut qu’elle soit totalement appropriée » [6]. Autonomie et décentralisation vont de pair : elles permettent un système moins coûteux et plus sélectif avec des filières d’excellence pour une minorité (ceux qui peuvent payer) et des parcours débouchant sur des attestations/diplômes dévalorisés.
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Alors que déjà, dans certaines universités, des filières ferment pour équilibrer les comptes (13 TD à Nanterre, diminution de moitié des heures de certains CM de psycho à Lyon2, etc), ce projet de loi va conduire à la disparition de milliers de formations et de pans entiers de la recherche… Le Haut Conseil de l’évaluation imposera ses critères pour évaluer les établissements d’enseignement, de recherche, les laboratoires, les formations et diplômes et les personnels. Les mutualisations de personnels, les suppressions de cours en présentiel (cours en ligne) annoncent de nouvelles dégradations des conditions de travail, la fin des libertés académiques, l’explosion de la précarité : le refus du ministre d’abroger le décret de 2009 qui prévoit la modulation des services aux enseignants-chercheurs participe de ces objectifs. Le désengagement de l’État au profit des régions, de financements privés (fondations ou autres) est ainsi programmé. De même que la hausse des droits d’inscription.