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« Refonder l’école » ? ... pour faire « baisser le coût du travail »
Les entreprises capitalistes ne cessent de le répéter, elles souhaitent « faire baisser le coût du travail ». Derrière ce leitmotiv se cachent deux souhaits : faire baisser les salaires des travailleurs en activité et faire baisser le coût de leur formation.
L’organisation du système éducatif a une influence directe sur la formation, le niveau des salaires et le coût de cette formation. La bourgeoisie et ses représentants le savent parfaitement : « l’Éducation est à la base de la compétitivité d’un pays » explique le rapport Gallois sur la compétitivité française, remis au début novembre au premier ministre. Il suggère de « rapprocher le système éducatif et les entreprises ».
Tout bénéfice que les entreprises empochent est pris sur la plus value que produisent les travailleurs. C’est le travail qui, dans le cycle de production, crée la valeur. En effet, dans l’économie capitaliste, le montant du salaire est inférieur à la valeur réellement produite sur le temps travaillé. Par exemple, si un salarié travaille 8 heures, sa rémunération correspondra à la valeur produite sur 6 heures et non sur 8 heures (ce qu’on se garde bien de lui dire). Le montant de cette rémunération est aussi le produit de combats collectifs qui se sont traduits par la mise en place de conventions collectives, conventions qui imposent aux employeurs de rétribuer leurs salariés selon des grilles de salaires. Dans ces grilles, le salaire (défini par un indice) correspond à une qualification (le métier, poste occupé) qui est fondée sur la formation (diplôme) et l’expérience. Les conventions et statuts collectifs limitent la concurrence entre les salariés.
Pour faire baisser la valeur de la force du travail (son « coût »), le patronat essaye de détruire les conventions collectives, d’en modifier le contenu. Son objectif est d’augmenter la concurrence entre les salariés ; c’est ce qu’il appelle la flexibilité du marché.
Un des moyens trouvés est de redéfinir les qualifications codifiées dans les grilles des conventions collectives. Il s’agit pour le patronat d’imposer que ces qualifications soient de moins en moins décrites en termes de métiers ou de postes (qualifications nationales) mais de plus en plus sur des compétences de l’individu (qualifications individualisées). Ainsi, le salaire correspond toujours à une qualification, mais la qualification devient individualisée ; on passe du caractère collectif des grilles (seul le poste était évalué, pas le travailleur), des qualifications, à un caractère individualisé (le travailleur est évalué).
Un autre moyen, complémentaire, est de dissocier les qualifications des diplômes. Les grilles de qualifications codifiées dans les conventions collectives et statuts nationaux sont référencées aux diplômes nationaux. L’existence de diplômes à valeur nationale limite l’individualisation des qualifications (et des salaires). C’est pourquoi la bourgeoisie (européenne, avec le processus de Bologne, française avec le Medef) cherche à développer la logique de compétences dans l’enseignement. L’individualisation des parcours, et des diplômes, l’évaluation des compétences individuelles remplacent l’évaluation des connaissances acquises dans le cadre de programmes et d’horaires nationaux lors des examens sur épreuves disciplinaires nationales. L’objectif est ainsi d’individualiser les diplômes, ce qui permettra d’individualiser les qualifications.
La diminution du « coût » de la force de travail passe par la diminution du coût des salaires (via la dislocation des diplômes nationaux et des qualifications nationales) mais également par la diminution du coût de la formation des travailleurs ou des futurs travailleurs, lors de leur formation initiale (avant leur premier boulot) et lors de leur formation continue (dans le cadre de leur contrat de travail ou quand ils sont au chômage).
Pour réduire le coût de la formation, la bourgeoisie prône la « formation tout au long de la vie », c’est-à-dire la formation des travailleurs à leurs frais. La logique des compétences intervient dans la diminution du coût du travailleur en activité (qui a un diplôme individualisé, prenant en compte des compétences) et dans la diminution du coût de la formation du travailleur (ceci se traduit par la compétence « apprendre à apprendre »).
La réforme Peillon a pour rôle de diminuer le coût des travailleurs en activités, via la dislocation des diplômes nationaux, mais également de réduire le coût de la formation des travailleurs, via notamment la réduction du nombre de cours et la baisse du niveau de qualification des enseignants. L’école doit, en outre, faire intégrer aux élèves la nécessité de se former tout au long de leur vie, d’où le leit motiv d’ « apprendre à apprendre ». L’idée est de rendre les jeunes et les salariés responsables de leur « employabilité ». Évalués en permanence, ils sont contraints de maintenir leurs compétences, de les faire évoluer, d’en acquérir de nouvelles… à leurs frais. Être « employable », c’est accepter la « flexibilité » sous toutes ses formes : flexibilité géographique, flexibilité professionnelle, flexibilité du salaire.
Le « redressement productif » doit ainsi se faire sur le dos des travailleurs, en réformant notamment le système éducatif. Peillon est très clair : « Redressement productif, priorités éducatives, il faut absolument se rapprocher. », « On a besoin d’espérance, de montrer que la France a des capacités et je veux que l’Éducation nationale participe pleinement dans cette reconquête, dans ce redressement qui doit être celui du pays dans les années qui viennent » (le 15 novembre au Centre des Arts et Métiers de Lille).
La dislocation des diplômes nationaux et des conventions collectives, la baisse pour le patronat du coût de la formation s’accompagnent d’une soumission étroite de l’école au patronat. Peillon a précisé ce 15 novembre : « J’installerai en 2013 un conseil éducation économie pour que les chefs d’entreprises soient représentés à l’Éducation nationale. » (L’express 15/11/2012)