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Pour le retrait du projet de loi Peillon
Escif, Street Art vs Capitalism
L’objectif de la bourgeoisie de faire baisser le coût de la formation se traduit tout d’abord dans la loi par une baisse du nombre d’heures d’enseignements qui doivent dispenser un simple smic culturel, fondé sur les compétences.
À l’école élémentaire et au collège, le smic culturel se traduit par le maintien du socle commun initié sous Sarkozy. Ce socle est un enseignement réduit, type « smic », fondé sur les compétences. Pour Peillon, c’est ce socle commun et non plus les programmes disciplinaires qui doit organiser l’enseignement obligatoire.
L’annexe du projet de loi explique en effet que : « La scolarité obligatoire doit garantir les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle de connaissances et de compétences constituant la culture commune de tous les jeunes », et que « La conception et les composantes du socle commun seront donc réexaminées par le Conseil supérieur des programmes afin qu’il devienne le principe organisateur de l’enseignement obligatoire, dont l’acquisition doit être garantie à tous ».
L’article 19 inscrit dans la loi que, pour tous les niveaux, les programmes définissent, en plus des connaissances, les compétences !
Concernant le lycée, l’annexe du projet de loi rappelle que « Le lycée français est (...) un des plus coûteux et des plus denses au monde ». Le rapport de la concertation propose « un allègement (…) des heures d’enseignement », et donc la poursuite de la politique de Sarkozy.
L’enseignement à distance était assuré dans certains cas précis. Dorénavant il pourra s’adresser à tous et un « service public de l’enseignement numérique et de l’enseignement à distance » sera créé. Ce service public doit notamment « Mettre à disposition des écoles et des établissements d’enseignement des services numériques permettant de prolonger l’offre des enseignements qui y sont dispensés et faciliter la mise en œuvre d’une aide personnalisée aux élèves. » (article 10).
Un enseignement à moindre coût, de moindre qualité et permettant de contrôler les enseignants (et élèves). La rigueur budgétaire laisse penser qu’il s’agira plus de remplacer du personnel (dont des enseignants) par des espaces numériques (ce qui se passe à l’université avec l’e-learning est illustratif du processus qui va se développer : cours en visioconférence, utilisation de plateformes numériques pour le contrôle continu…). Au collège, l’initiation technologique inclura dorénavant une « éducation numérique » (article 31).
La baisse du « coût de formation », pour les entreprises est également permise grâce à la « formation tout au long de la vie », c’est-à-dire une formation directement payée par le travailleur ou les parents des élèves. Avec l’article 3 du projet, est ajouté, dans les missions du service public de l’éducation, que ce service prépare les élèves « à une formation tout au long de la vie ». Dans l’ « exposé des motifs » de la loi, il est précisé que ce service « les prépare à l’éducation et à la formation tout au long de la vie : c’est-à-dire qu’il doit apprendre, mais aussi apprendre à apprendre. » La volonté de la bourgeoisie que les travailleurs se forment toute leur vie à leur frais est traduite par la compétence « apprendre à apprendre », compétence clé exposée par l’OCDE, reprise par le Medef...et par Peillon ! L’objectif de cette compétence : que l’élève apprenne à compenser seul les savoirs que l’école ne dispense plus : seul... ou en mettant la main au porte-monnaie (cours, formations payantes).
Les diplômes ont une valeur nationale si les examens sont les mêmes pour tous, et donc si la formation est la même pour tous. Une façon de disloquer la valeur nationale des diplômes est donc de « diversifier les parcours », « multiplier les offres de formation », ce qui individualise les formations. Peillon prévoit donc le smic culturel pour tous et des suppléments divers et variés à côté de ce smic. Les suppléments se traduisent par la mise en place de « parcours », terme récurrent dans le projet de loi, et d’une « approche pédagogique différenciée » qui individualisent les formations.
Ainsi, le projet prévoit la mise en place d’une « éducation artistique et culturelle » dispensée sous forme de « parcours » organisés « tout au long de la scolarité des élèves » et qui pourra « s’inscrire dans le cadre d’un partenariat avec les collectivités territoriales », voire des « organismes » associatifs, privés (article 9). Ce parcours intégrera des enseignements dans le cadre des établissements et une éducation artistique et culturelle faisant intervenir des organismes hors éducation nationale (l’annexe explique « Ce parcours doit s’appuyer sur les apports conjugués de l’institution scolaire et de ses partenaires »). C’est la voie ouverte à une diminution des heures d’enseignement proprement dites, à une inégalité des contenus entre établissements. L’apparition du terme d’éducation « culturelle » est lourde de conséquence, car sous ce terme peuvent entrer nombre de disciplines (comme les sciences, avec la « culture scientifique »). Et justement le projet de loi de décentralisation confère aux régions le pouvoir de fédérer et coordonner « les initiatives visant à développer et diffuser la culture scientifique, technique et industrielle, notamment auprès des jeunes publics. », et notamment en partenariat avec les établissements publics nationaux... (article 20)
L’article 23 du projet Peillon ajoute, au projet d’orientation scolaire et professionnelle des collégiens et lycéens, un « parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel ». « Les administrations concernées, les collectivités territoriales, les organisations professionnelles, les entreprises et les associations contribuent à la mise en œuvre de ce parcours. » Mise en place prévue au collège : rentrée 2015. L’annexe précise : « Ce parcours ne se limite plus à une option de « découverte professionnelle » proposée uniquement aux élèves destinés à l’enseignement professionnel, mais il s’adresse à tous et trouve sa place dans le tronc commun de formation de la sixième à la troisième. Au-delà, ce parcours se prolonge au lycée ».
Au collège, à côté de l’enseignement commun, pourront être proposés, de la 6e à la 3e des enseignements complémentaires (article 29 - de tels enseignements pouvaient déjà être proposés en 4e et 3e). Si ces enseignements ne peuvent dorénavant préparer à une formation professionnelle qu’en 3e (et non plus en 4e et en 3e), tous peuvent, dès la 6e « comporter des stages contrôlés par l’État et accomplis auprès de professionnels agréés. » Ces enseignements seront donc pour certains des stages, et pour d’autres des cours complémentaires.
En outre, dans le tronc commun du collège sont mis en place des « approches pédagogiques différenciées ». Le tronc commun ne sera donc plus vraiment « commun » mais « différencié ». Et la presse peut affirmer que le collège reste « unique », tout en devenant « différencié », non « uniforme ». Les parcours pourront ainsi être individualisés au sein même d’un établissement. Et pour accentuer les différences entre deux collèges, ceux-ci seront plus autonomes : « Les collèges doivent pouvoir disposer d’une marge de manœuvre dans la gestion de leur dotation afin que les équipes pédagogiques puissent concevoir des actions pédagogiques et des parcours scolaires favorisant la réussite de tous » (annexe).
Pour le lycée, l’annexe explique que les évolutions porteront entre autres sur « des parcours plus diversifiés et des séries rééquilibrées ». Rappelons que le rapport de la concertation prévoyait des « parcours plus flexibles » avec notamment la « mise en place de « crédits », c’est-à-dire des modules à points, comme à l’université. Cela pourra toujours être ajouté par décret.
« Parcours d’éducation artistique et culturelle personnalisé » pour tous (en collège et lycée), « parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel » pour tous (en collège et lycée), « approches pédagogiques différenciées » (au collège), « enseignements complémentaires » divers (pouvant inclure des stages, au collège) multiplieront la diversité des formations et augmenteront les inégalités entre élèves (et futurs travailleurs).
L’individualisation des formations, par la multiplication des « parcours », favorise les évaluations individuelles au détriment des évaluations nationales. La modification du contenu des diplômes, du mode d’évaluation, contribue également à disloquer la valeur nationale des diplômes.
En effet, le projet de loi modifie la nature des diplômes actuels ou refuse de mentionner, pour l’instant, leur devenir. Ainsi, si l’article 32 supprime la note de vie scolaire, il supprime aussi les acquis qui doivent être validés par le brevet (connaissances et compétences) et ajoute que « Les conditions d’attribution du diplôme sont fixées par décret ». Que deviendra le brevet ? Redeviendra-t-il un diplôme sanctionnant uniquement des connaissances ? On peut plutôt penser que l’accent sera mis sur une évaluation essentiellement par compétences. Dans l’ « exposé des motifs » on lit : « L’évolution du socle commun nécessite en effet de repenser le rôle de ce diplôme, qui intervient au terme de la scolarité obligatoire et de l’acquisition théorique du socle ». Et l’annexe explique que le Conseil Supérieur des Programmes « se prononce notamment sur l’évolution du diplôme national du brevet et son articulation avec la validation du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ainsi que sur l’évolution des différents baccalauréats généraux, technologiques et professionnels. »
L’article 34 modifie le contenu du bac : il ajoute au contrôle des connaissances le contrôle des compétences. Comme les programmes, le bac sera redéfini en ce sens.
L’individualisation des diplômes sera ainsi accentuée par la loi grâce au développement de l’évaluation des compétences. L’annexe précise qu’il « faut faire évoluer en profondeur l’organisation des enseignements et leur évaluation », « faire évoluer les modalités de notation et d’évaluation des élèves ».
Le contrat d’objectif était conclu entre l’établissement et l’autorité académique. Il devra dorénavant également être conclu avec les collectivités territoriales ! (article 38) Ces contrats appelés contrats tripartites vont augmenter le poids des régions dans la gestion des établissements : si les régions « s’engagent » sur des objectifs, c’est à dire sur les résultats de l’établissement, comment imaginer qu’elles n’assurent pas un certain co-pilotage de l’établissement ?
Dans les écoles élémentaires, se profile une soumission du même type. En effet, dans les écoles, le conseil d’école comprend notamment des parents d’élèves élus (appelé comité de parents) et les maîtres. Ce conseil établit et vote le règlement intérieur de l’école et le projet d’école. L’article 35 prévoit de modifier le rôle de ce conseil : « la composition et les attributions du conseil d’école et du comité des parents sont fixées par décret ». La loi laisse la porte ouverte à l’introduction d’un représentant « du monde économique et social ».
Un conseil « école-collège » est institué. Il pourra proposer au conseil d’administration au collège et au conseil d’école de l’école élémentaire « que certains enseignements (…) soient communs à des élèves du collège et des école. ». Qui sera dans ce conseil ? Réponse dans un décret ultérieur.
Des projets éducatifs territoriaux sont introduits par la loi (article 40). Ils associeront « aux services et établissements relevant du ministre chargé de l’éducation nationale d’autres administrations, des collectivités territoriales, des associations et des fondations ». Ils mettront en place les activités périscolaires. C’est donc, en dernier ressort, les collectivités qui, par le biais de ces projets, mettront en œuvre, selon les particularités locales, l’organisation de la semaine annoncée dans le projet de décret sur les « rythmes ». On introduit ainsi la confusion entre temps scolaire et périscolaire, entre « enseignements » et « activités » ; et on soumet les enseignants, comme le contenu de certains enseignements, aux pouvoirs locaux.
Les rythmes scolaires : derrière ce leit motiv, un objectif est affirmé dans l’annexe : « La réforme des rythmes doit agir comme un levier pour faire évoluer le fonctionnement de l’école autour d’un projet éducatif territorial ».
Ainsi, les collectivités territoriales, voire les entreprises, interviendront dans l’organisation de l’enseignement public.
L’article 34 modifie le rôle du bac : cet examen sanctionne dorénavant, pour l’ensemble des bacs (généraux, techniques et professionnels), « une formation équilibrée qui permet de favoriser la poursuite d’études supérieures et l’insertion professionnelle ». Dans l’ « exposé des motifs », il est précisé que « L’article L. 334-1 sera modifié afin d’expliciter les objectifs du diplôme, communs aux trois voies : sanctionner une culture et des compétences permettant à chaque bachelier la réalisation d’un projet d’études supérieures et d’un projet professionnel à plus ou moins long terme ».
Avec l’individualisation des parcours et la soumission des établissements d’enseignements aux collectivités territoriales, les jeunes devront se soumettre aux besoins de l’économie du territoire qui leur dictera les « parcours » à suivre. Le pilotage des établissements sera progressivement soumis aux besoins des bassins d’emplois. Et comme il y aura autant de contrats que d’EPLE, c’est la marche à la dislocation du cadre national de l’Enseignement public qui est ainsi programmée.
C’est là un des aspects essentiel de la mise en œuvre du « redressement productif et de l’insertion professionnelle » qui a fait « consensus » lors de la Grande conférence sociale et que l’on retrouve dans l’annexe du projet de loi d’orientation. Le « parcours individuel du jeune » devra se soumettre aux besoins de l’économie du territoire et, dans le cadre de l’ « autonomie », le pilotage des établissements sera progressivement soumis aux besoins des bassins d’emplois. Et comme il y aura autant de contrats que d’EPLE, c’est la marche à la dislocation du cadre national de l’Enseignement public qui est ainsi programmée.
La baisse du coût de la formation des élèves passe également par la baisse du coût des enseignants en poste. Quelles sont les mesures prévues ?
Des enseignants multi-tâche : la mise en place d’ « approches pédagogiques différenciées » au collège (article 29), de parcours ou modules à côté du tronc commun réduit au smic culturel, la création d’un cycle CM2-6ème piloté par un conseil école-collège, avec enseignements et projets d’écoles commun et donc des échanges de service (article 36 du projet), diversifient les tâches des enseignants. L’article 36 est très clair : « Il est institué un conseil école-collège qui propose au conseil d’administration du collège et aux conseils des écoles des actions de coopération et d’échange. Le conseil école-collège peut notamment proposer que certains enseignements ou projets pédagogiques soient communs à des élèves du collège et des écoles. La composition et les modalités de fonctionnement de ce conseil sont fixées par décret ». L’ensemble de ces mesures ouvrent la voie à la dislocation du statut.
La logique sera la même pour le lycée, en prévoyant une continuité « bac -3 bac +3 », des « parcours plus diversifiés »… on prépare ainsi une étape ultérieure : l’unification du lycée et du premier niveau universitaire, de la même manière que l’on prépare une future unification de l’enseignement primaire et du collège.
Au collège et au lycée, le numérique permettra de « prolonger l’offre des enseignements (…) et [de] faciliter la mise en œuvre d’une aide personnalisée » (article 10). Le numérique est également un outil d’individualisation des métiers, de flexibilisation de leur travail.
L’immixtion des collectivités territoriales dans les tâches des enseignants prépare leur sortie de l’éducation nationale. L’acte III de la décentralisation prévoit que dans les CIO, les Copsy seraient mis à disposition de la région. Cette menace pèse sur tout le personnel.
Augmentation du nombre d’heures et annualisation des services : ceci commence avec la réforme des rythmes qui sera l’objet d’un prochain décret. Elle « sera engagée dès la rentrée scolaire de 2013 et achevée à la rentrée 2014 dans le premier degré. Elle consistera à revenir à neuf demi-journées de classe à l’école élémentaire » (annexe). Rappelons que le rapport de la concertation a fixé comme objectif de « Rompre avec la rigidité des emplois du temps hebdomadaires en se donnant la possibilité de globaliser un certain nombre d’heures ».
L’annexe précise que la durée de l’année scolaire pourra « évoluer au cours des prochaines années ». Ce sont les collectivités qui, en dernier ressort, décideront de l’aménagement du temps scolaire. Et donc d’une partie des obligations de service des enseignants.
La baisse du coût de la formation des élèves passe également par une baisse du coût de la formation des futurs enseignants. Ceci est notamment permis par la redéfinition des concours et l’évaluation des compétences.
L’annexe explique que « Le cadre national des formations dispensées et la maquette des concours de recrutement, (...) seront fondés sur une plus grande prise en compte des qualités professionnelles des candidats et sur le développement des savoir-faire professionnels. »
Un document de travail daté du 14 novembre et donné aux syndicats présente une redéfinition de la nature des concours. Les épreuves s’appuieraient « sur les compétences, notamment professionnelles », acquises à partir de la 2ème année de licence. Au concours, il sera donc demandé aux candidats d’avoir acquis, durant leurs études, des « compétences professionnelles ». Cette professionnalisation des études transfère sur l’étudiant le coût de la formation professionnelle initiale.
La loi crée des École supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). Non seulement les ESPE maintiennent la « mastérisation », mais elles poursuivent le processus par une redéfinition du métier des enseignants. La formation donnée dans les ESPE s’appuiera « sur un référentiel “métier” fixé par le ministère de l’Éducation nationale, futur employeur, qui décline les compétences nécessaires à l’exercice du métier ». Dans cette formation dite « intégrée », la maîtrise des disciplines n’est plus un préalable pour l’exercice du métier d’enseignant. Quant à la formation pédagogique, elle a pour mission de « transformer les pratiques professionnelles ». Dans la boite à outils des « nouveaux » enseignants, on trouve : « utilisation des ressources numériques, traitement des besoins éducatifs particuliers, accompagnement du handicap, problématiques liées à l’orientation, à l’insertion professionnelle et à la connaissance du marché du travail, prévention des situations de tension et de violence, formation aux thématiques sociétales… » (annexe)
Peut-on s’en étonner puisqu’une part importante de ce « nouveau métier » sera de faire acquérir la compétence « apprendre à apprendre », c’est à dire à « éduquer et à se former tout au long de la vie » ?
Au vu de ces premiers éléments, une conclusion s’impose : rien ne peut être corrigé dans ce projet de loi entièrement construit pour disloquer l’enseignement public. Ce texte n’est ni amendable ni négociables. C’est d’ores et déjà son retrait intégral qui doit être exigé. Or les concertations se poursuivent (sur le projet de loi, puis ultérieurement sur les projets de décrets). Il faut donc également exiger : assez de concertation, rupture immédiate des « négociations ».